Où va l’économie numérique ? (2/3) : robotisation ou monopolisation ?

« C’est peut-être difficile à croire, mais avant la fin de ce siècle, 70 % des emplois d’aujourd’hui sera remplacé par l’automatisation. Oui, cher lecteur, même votre travail vous sera enlevé par des machines. En d’autres termes, votre remplacement par un robot n’est qu’une question de temps », affirme Kevin Kelly (@kevin2kelly) dans un passionnant article pour Wired intitulé : « meilleurs que les humains : pourquoi les robots vont (et doivent) prendre votre job ».

Votre remplacement par un robot n’est qu’une question de temps !

Ce bouleversement est induit par une deuxième vague dans l’automatisation, estime Kevin Kelly : une vague centrée sur la cognition artificielle, les capteurs bon marché, l’apprentissage automatique et l’intelligence distribuée. Et cette automatisation profonde va toucher tous les emplois, du travail manuel au travail intellectuel.

Après avoir remplacé les travailleurs à la chaîne, les robots vont remplacer les travailleurs dans les entrepôts. Ils seront capables de récupérer les colis, les trier et charger les commandes dans les camions. Le ramassage des fruits et légumes continuera à être robotisé, jusqu’à ce qu’aucun être humain n’y participe plus, hormis dans quelques fermes spécialisées. Dans les pharmacies, les robots distribueront les médicaments tandis que les pharmaciens se concentreront sur le conseil au patient. Le nettoyage des bureaux ou des écoles sera pris en charge par des robots nocturnes qui commenceront par faire des choses faciles à faire comme nettoyer les planchers ou les fenêtres avant finalement d’être capables de nettoyer les toilettes. Nos camions et voitures seront demain pilotés par des robots…

Alors que les robots ne vont cesser d’être intégrés aux tâches manuelles, ils vont également affecter le travail en col blanc. Narrative Science sait écrire des articles sur le sport à partir de statistiques et de résultats sportifs ou générer des résumés de performance boursière d’une entreprise à partir de textes trouvés sur le web. « Tout travail de paperasserie sera pris en charge par les robots, y compris une grande partie de la médecine. Même les domaines de la médecine qui ne sont pas définis par la paperasserie, comme la chirurgie, seront de plus en plus robotisés. Les tâches de routines de tout travaux à forte intensité d’information pourront être automatisées. » (…) La prise de contrôle par les robots sera épique… Et elle a déjà commencé. »

Si nous sommes à un point d’inflexion, estime Kelly, c’est parce que les machines ont acquis de l’intelligence. « Nous avons des idées préconçues sur la façon dont un robot intelligent devrait regarder et agir, et celles-ci peuvent nous faire oublier ce qui se passe déjà autour de nous. Nous pensons que l’intelligence artificielle doit être proche de celle de l’homme. Mais c’est là faire la même erreur que de croire que le vol artificiel devrait ressembler au vol des oiseaux et battre des ailes. Les robots vont penser différemment. Pour comprendre à quel point l’intelligence artificielle a déjà pénétré nos existences, nous devons nous débarrasser de l’idée que celle-ci sera la même que celle des hommes. »

Les robots de demain seront aussi simples à utiliser que des… ordinateurs

Prenez Baxter, le robot de travail de Rethink Robotic, conçu par Rodney Brooks (Wikipedia, @rodneyabrooks), l’inventeur du robot aspirateur Roomba. Baxter est un des premiers exemples d’une nouvelle classe de robots industriels créés pour travailler aux côtés des humains. Baxter n’a pas l’air impressionnant. Il a de grands bras musclés et un affichage à écran plat comme de nombreux robots industriels. Et les mains de Baxter effectuent des tâches manuelles répétitives, tout comme les robots d’usine savent le faire. Mais il est différent de trois façons importantes, souligne Kevin Kelly.

Les capacités de Baxter
Image : les capacités de Baxter.

Tout d’abord, il peut regarder autour de lui et indiquer où il regarde en bougeant les grands yeux animés qu’il a sur la tête. Il est capable de percevoir les humains qui travaillent près de lui pour éviter de les blesser. Et les humains peuvent voir s’il les voit. Jusqu’à présent, les robots industriels ne savaient pas faire cela, ce qui expliquait qu’ils devaient être physiquement séparés des humains. Un robot d’usine typique est la plupart du temps emprisonné dans un grillage ou une cage en verre. Ils sont tout simplement trop dangereux parce qu’ils ne sont pas conscients des autres. Cette isolement empêchait jusqu’à présent que de tels robots de travaillent dans une petite boutique par exemple, où il n’est pas facile de trouver de la place pour isoler quelque chose. On ne pouvait pas leur faire passer ou récupérer des matériaux facilement, sans mesures de sécurité lourdes. Mais avec Baxter, vous pouvez le brancher sur une prise de votre garage et travailler à ses côtés, sans risque.

N’importe qui peut former Baxter. Il n’est pas aussi rapide, puissant et précis que d’autres robots industriels, mais il est plus intelligent. Pour apprendre quelque chose au robot, il vous suffit de saisir ses bras et de les guider pour qu’il fasse les mouvements corrects de la séquence qu’il doit faire. « C’est une forme d’apprentissage simple consistant à montrer ce qu’il faut faire. Baxter apprend une procédure, puis la répète. Tout travailleur est capable de faire cet apprentissage au robot. Vous n’avez même plus besoin de savoir lire ou écrire. » Jusqu’à présent, les robots industriels nécessitaient des ingénieurs et des programmeurs hautement qualifiés pour écrire des milliers de lignes de code (et les déboguer) pour instruire le robot d’un simple changement de tâche. Le coût réel d’un robot industriel classique n’est pas son matériel, mais son fonctionnement, souligne Kevin Kelly. Les robots industriels coûtent plus de 100 000 dollars à l’achat, mais il faut compter au moins jusqu’à 4 fois ce montant pour le programmer, le former, le maintenir à jour ou le faire évoluer.

La troisième différence est donc que Baxter ne coûte pas cher. Vendus au prix de 22 000 dollars, nous sommes là dans un rapport de coût bien différent de ses prédécesseurs. Baxter est le premier robot-PC, et comme avec un ordinateur, l’utilisateur peut interagir directement et immédiatement avec lui, sans avoir besoin d’experts et l’utiliser pour des choses peu sérieuses voir frivoles. « De petits fabricants peuvent se l’offrir pour lui faire emballer des marchandises, pour personnaliser la peinture de leurs produits ou gérer leurs machines d’impression 3D. Et vous pourriez même vous en servir pour équiper une usine qui fabrique des iPhone », s’amuse Kevin Kelly.

Brooks spécule déjà sur comment ses robots vont transformer la fabrication d’une manière encore plus brutale que la dernière révolution technologique. « Pour le moment, nous pensons l’industrialisation par rapport à la Chine. Mais les coûts de fabrication s’effondrent à cause des robots et les coûts de transports sont appelés à devenir un facteur plus important que les coûts de production. La proximité ne sera pas chère. L’avenir est à un réseau d’usines localement franchisées où les produits seront fabriqués à quelques kilomètres de l’endroit où on en a besoin. »

Les étapes de notre remplacement par des robots

Kevin Kelly propose une matrice pour comprendre comment le remplacement de nos activités par des robots va évoluer.

Il y a d’abord les emplois que l’homme peut accomplir, mais que les robots peuvent faire encore mieux. Les humains savent tisser le coton, mais les métiers automatisés savent le faire encore mieux que nous et pour quelques centimes. La seule raison d’acheter du tissu fabriqué à la main aujourd’hui, c’est parce qu’on peut apprécier les irrégularités, les imperfections humaines qu’il présente. Mais beaucoup d’imperfections humaines n’ont pas de valeur, dans la conduite de véhicules par exemple.

Pourtant, pour les tâches complexes, nous avons toujours tendance à croire qu’on ne peut pas faire confiance aux ordinateurs et aux robots, souligne Kevin Kelly. C’est pourquoi nous avons été lents à reconnaître la façon dont ils maîtrisent certaines routines conceptuelles et parfois même leur maîtrise de routines physiques. Le pilote automatique sait faire voler un 787, mais, irrationnellement, nous plaçons des pilotes dans le cockpit pour assister le pilote automatique… au cas où. Dans les années 1990, les évaluations informatisées de prêts bancaires ont remplacé les évaluateurs humains. « Nous avons accepté une fiabilité absolue dans la fabrication de robots, bientôt nous allons l’accepter dans l’intelligence robotique et de service. »

Il y a ensuite les emplois que les humains ne peuvent pas faire, mais que les robots savent très bien faire. Si l’homme a du mal à visser une vis en laiton sans aide, l’automatisation est capable d’en visser des milliers à l’heure. Sans automatisation, nous ne saurions pas fabriquer d’ordinateurs qui exigent un certain degré de précision, de contrôle et d’attention que nos corps d’animaux ne possèdent pas. Aucun groupe humain ne saurait chercher à travers toutes les pages web du monde entier sans employer un robot pour cela. Les plus grands avantages que l’on tire des robots et de l’automatisation viennent du fait qu’ils occupent des emplois que nous serions incapables de faire. Nous n’avons pas la capacité d’attention pour scanner chaque millimètre de cellule à la recherche de cellules cancéreuses. « Nous ne donnons pas de bons emplois aux robots. La plupart du temps, nous leur donnons des emplois que nous serions incapables de faire. Sans eux, ces emplois resteraient vacants. »

Il y a également les nouveaux emplois créés par l’automatisation, ceux que nous ne savions pas que nous pourrions faire. Grâce aux robots et à l’intelligence informatique, nous pouvons faire des choses que nous n’aurions jamais imaginé faire. Conduire un chariot sur Mars, imprimer un motif sur un tissu qu’un ami nous a envoyé par e-mail… Des possibilités créées principalement grâce aux nouvelles capacités des machines. Ce sont autant d’emplois que les machines rendent possibles. Avant que nous n’inventions l’automobile, la climatisation, les écrans plats et les dessins animés, aucun habitant de la Rome Antique n’avait souhaité pouvoir regarder de dessins animés en se rendant à Athènes dans un confortable char climatisé. Les premières intelligences artificielles intégrées aux jeux d’action ont donné à des millions d’adolescents l’envie, le besoin, de devenir des concepteurs de jeux professionnels. Un rêve qu’aucun garçon de l’époque victorienne n’a jamais eu. Chaque succès de l’automatisation génère de nouvelles professions – professions que nous n’aurions pas imaginées sans l’impulsion de l’automatisation. Pour le dire autrement, la majeure partie des nouvelles tâches créées par l’automatisation sont des tâches que seulement d’autres automates peuvent réaliser. Il y a fort à parier que les professions qui gagneront le plus d’argent en 2050 dépendront d’automatismes et de machines qui n’ont pas encore été inventées, estime Kevin Kelly. Autrement dit, nous ne pouvons pas voir ces emplois d’où nous sommes, car nous ne pouvons pas encore voir les machines et les technologies qui les rendront possibles. Les robots créent des emplois que nous ne savions même pas que nous voudrions faire. Et ce n’est pas si trivial. « Nos désirs sont inspirés par nos inventions antérieures. L’industrialisation a fait bien plus que prolonger la durée de vie moyenne des hommes. Elle a permis à un grand pourcentage de la population de décider de ce qu’elle voulait être : ballerine, musicien, mathématicien, athlète, créateur de mode, maître de yoga, auteur de fan-fiction… Demain, bien des machines seront capables de faire certains de ces métiers à notre place. Mais nous ne cesserons pas de rêver à trouver de nouvelles réponses à ce que nous voulons faire. »

« Notre travail est de trouver et fabriquer de nouvelles choses, qui deviendront plus tard des tâches faites par les robots. » Dans les années à venir, les robots pilotes de voitures et de camions vont devenir omniprésents. Et cette automatisation va engendrer de nouvelles occupations humaines par exemple pour optimiser nos trajets.

« La révolution technologique éclatera quand tout le monde aura son robot personnel, quand les descendants de Baxter seront à notre entière disposition », estime Kevin Kelly. Imaginez-vous à la tête d’une petite ferme biologique. Votre flotte de robots ouvriers accomplira le désherbage, luttera contre les ravageurs de culture, récoltera les produits tels que prescrits par un robot surveillant qui ne sera rien d’autre qu’une sonde dans le sol. Les robots effectueront tout ce qui peut être mesuré.

A l’heure actuelle, tout cela semble impensable. Nous ne savons pas imaginer un robot capable d’assembler un ensemble d’ingrédients dans un cadeau ou fabriquer des pièces de rechange pour notre tondeuse à gazon ou des matériaux pour notre cuisine. Nous ne pouvons pas imaginer que nos enfants auront des douzaines de robots dans leurs garages, ni qu’ils seront les premiers concepteurs d’appareils.

« Un jour, tout le monde aura accès à un robot personnel, mais en posséder un ne garantit pas le succès », nuance Kevin Kelly. « Au contraire, le succès ira à ceux qui innovent dans l’organisation, l’optimisation et la personnalisation du processus de réalisation de travaux réalisés avec les machines. Le regroupement géographique de la production deviendra important, non pas pour assurer une différence de coût de main-d’oeuvre, mais à cause de la différence qu’introduira l’expertise humaine. C’est la symbiose homme-robot. Notre mission humaine sera de continuer à faire des emplois pour les robots et c’est une tâche qui ne sera jamais finie. »

L’intégration des robots à notre environnement suit une loi naturelle estime Kelly qui en détaille les étapes temporelles avec humour :

1. Un robot/ordinateur ne peut pas faire les tâches que je fais.
2. OK, il peut faire beaucoup d’entre elles, mais pas tout ce que je fais.
3. OK, il peut faire tout ce que je fais, sauf qu’il a besoin de moi quand il tombe en panne, ce qui est fréquent.
4. OK, il fonctionne parfaitement sur des trucs de routine, mais j’ai besoin de le former à de nouvelles tâches.
5. OK, il peut faire mon ancien boulot ennuyeux, parce qu’il est évident que ce n’était pas un travail que les humains étaient censés faire.
6. Wow, maintenant que les robots font mon ancien boulot, mon nouveau travail est beaucoup plus amusant et paie plus !
7. Je suis tellement content qu’un robot/ordinateur ne peut absolument pas faire ce que je fais maintenant.

« Ce n’est pas une course contre les machines. Si nous luttons contre elles, nous perdrons. Il s’agit d’une course avec les machines. Vous serez payé à l’avenir en fonction de la façon dont vous travaillez avec les robots. Quatre-vingt-dix pour cent de vos collègues de travail seront des machines invisibles. Et la plupart des choses que vous ferez ne seront pas possibles sans elles. Il y aura une ligne floue entre ce que vous faites et ce qu’elles font. Vous pourriez ne plus le considérer comme un emploi, du moins au début, car tout ce qui semble être une corvée sera fait par des robots.

Nous devons laisser les robots prendre le relais. Ils vont faire des travaux que nous avons faits, et les faire beaucoup mieux que nous. Ils prendront des emplois que nous ne pouvons pas faire du tout. Ils vont faire des travaux que nous n’avions même jamais imaginé qu’ils pourraient être faits. Et ils vont nous aider à trouver de nouveaux emplois pour nous-mêmes, de nouvelles taches qui élargissent qui nous sommes. Ils nous permettront de nous concentrer toujours plus sur ce que nous avons de plus humain. Laissons les robots prendre nos emplois et laissons-les nous aider à imaginer les emplois qui compteront demain. »

Mais tous les emplois ne sont pas interchangeables

Bien sûr, la vision de Kevin Kelly paraîtra à beaucoup d’entre nous à la fois stimulante et naïve. Stimulante par que Kelly dresse un pont entre robots et ordinateurs. Naïve, car il laisse penser que tout emploi équivaut à un autre.

L’automatisation du monde, que ce soit par des robots, des machines apprenantes, des serveurs ou des algorithmes, n’a pas les mêmes conséquences sur tous les emplois, comme le souligne pourtant sa matrice. Si les emplois de conception se déplacent à mesure que l’automatisation évolue, ce n’est pas le cas des emplois de manutention notamment. Mais l’automatisation ne concerne pas que les emplois productifs. Dans le commerce où la banque déjà, dans les services à la personne demain, des secteurs où l’emploi pèse très lourd et ne sont pas nécessairement délocalisables, les automates se démultiplient également, faisant disparaître nombre d’emplois qui ne sont pas tous remplacés par des emplois de conception.

Comme le soulignaient Erik Brynjolfsson et d’Andrew McAfee dans Race Against the Machine : les machines ont pris la place de certains types d’emplois qui n’ont pas été remplacés. Malgré la croissance économique, celle des emplois n’a pas suivi le même rythme (voir « Vers une innovation sans emplois »). Kevin Kelly semble balayer du revers de la main le fait que les emplois de conception dont nous aurons besoin demain pour faire fonctionner ces robots n’adressent ni les mêmes volumes, ni les mêmes publics que les emplois manuels perdus.

Pourtant, beaucoup d’économistes souhaitent rester optimistes. L’économiste du Laboratoire de recherche sur les systèmes intelligents du Centre de recherche de Palo Alto et du Santa Fe Institute Brian Arthur, qui pourtant dénonçait encore récemment que l’économie numérique ne crée par suffisamment d’emplois, souligne que la productivité américaine pourrait retrouver une croissance de 2 à 3 % par an dans la prochaine décennie à mesure que la robotisation se développera, explique Art Pline pour le magazine Kiplinger. Harold Sirkin, un expert du Boston Consulting Group, prédit qu’à moyen terme, l’automatisation va rendre les services et les biens plus abordables et développer l’emploi. Reste que tous les spécialistes n’ont pas cet optimisme. David Autor, économiste au MIT estime que pour contrecarrer les impacts de la robotique sur l’emploi, il faudra s’appuyer sur l’éducation et la formation des travailleurs pour les faire monter en compétences. Pas si simple.

Pas d’innovation sans automatisation

Néanmoins, là où Kelly touche juste, c’est quand il pointe que nous n’échapperons pas à l’automatisation du monde. Au contraire, même : il semble bien ne pas y avoir d’innovation sans automatisation. C’est d’ailleurs certainement notre manque d’automatisation qui explique en partie notre retard de compétitivité. Comme le souligne l’économiste Michel Volle, dans un entretien publié par Dominique Lacroix : « La France a 5 fois moins de robots que l’Allemagne et 2 fois moins que l’Italie. De plus, le parc français de robots a vieilli. En France, la durée de vie des robots est de 20 ans, en Allemagne, elle est de 10 ans.

Quand on discute de système d’information avec des dirigeants d’entreprise français, on entend très souvent : « L’informatique coûte trop cher ». On en a un exemple avec Henri Proglio à la tête d’EDF. La seule consigne donnée à son Directeur des systèmes d’information a été : « Diminuez le coût de l’informatique ». C’est exactement l’opposé de ce qu’il faut faire. Une informatique modernisée rend l’entreprise plus fluide, permet d’améliorer la relation client, de mieux la documenter. »

Même constat dans les chiffres de la Fédération internationale de la robotique. Fin 2011, la France comptait 34 000 robots, un chiffre à peine plus élevé que celui de l’Espagne (29 000), très inférieur à celui de l’Italie (61 000) ou de l’Allemagne (163 000). Et comme le soulignait Emmanuel Schafroth pour Yahoo ! Finances : « l’écart se creuse par rapport à nos concurrents. L’industrie française a installé un peu plus de 3 000 nouveaux robots en 2011, les Allemands près de sept fois plus ! (…) Selon Alexandre Mirlicourtois, directeur des études économiques de Xerfi études, l’industrie française est tout bonnement en voie d’obsolescence : « nos calculs montrent qu’au niveau mondial, 8 à 10 % du parc est mis au rebut chaque année, contre 4 % seulement en France. Un robot dure plus d’une vingtaine d’années en France contre 10 ans seulement dans le reste du monde », note-t-il. »

Chris Anderson, dans son livre, Makers, la nouvelle révolution industrielle ne dit pas autre chose quand il évoque par exemple le fonctionnement de l’usine de Tesla Motors aux alentours de Détroit, entièrement automatisée avec des robots Kuka. Une usine ressemblant plus à une énorme machine à commande numérique configurable pour fabriquer presque n’importe quoi, permettant de fabriquer simultanément plusieurs modèles d’automobiles différentes, avec des pièces totalement différentes et même en les alternant entre elles.

« Quoiqu’il arrive de Tesla, son modèle de production triomphera. Il reflète simplement l’orientation prise par la puissance des technologies de fabrication numérique. Ce n’est pas une coïncidence si les robots Kuka sont construits en Allemagne. Cette automatisation flexible explique pourquoi l’industrie manufacturière de l’Allemagne parvient à prospérer malgré ses coûts relativement élevés face à la concurrence chinoise au point d’être le moteur de l’économie européenne. »

« L’ordinateur ne se contente pas de piloter l’usine moderne, il en devient le modèle même. Infiniment flexibles et adaptables, les robots industriels universels peuvent être associés pour créer la machine universelle. Et comme les ordinateurs, ils fonctionnent à n’importe quelle échelle, celle de votre bureau comme celle de l’usine Tesla. C’est cela – pas seulement l’essor d’une technologie avancée, mais aussi sa démocratisation – qui est la véritable révolution. »

Un récent rapport de la Fondation pour l’innovation politique, think tank libéral français, presse la France à robotiser son économie pour la sauver, en en présentant les enjeux et les stratégies : la robotisation détruit certes des emplois industriels (mais qui seraient détruits à terme), mais elle seule permet d’ouvrir de nouveaux débouchés et de nouvelles méthodes de production. « En rendant de la compétitivité à l’outil industriel Français, les robots sont l’allié de l’emploi industriel », estime leur auteur, Robin Rivaton, qui appelle à favoriser le renouvellement du parc de robot des industries françaises et à développer leur production en France.

La technologie n’est pas responsable de la montée des inégalités : les monopoles qu’elle favorise, oui !

Pourtant, c’est Paul Krugman, prix Nobel d’économie et éditorialiste star du New York Times qui explique peut-être le mieux que le développement des technologies n’est peut-être pas le coupable idéal. Dans un récent édito intitulé « Robots et barons voleurs » il tente une explication pour comprendre pourquoi les profits des entreprises sont à la hausse alors que les salaires et la rémunération du travail ne suivent pas. Depuis les années 90, les bénéfices des entreprises ont augmenté au détriment des travailleurs en général, y compris des travailleurs les plus diplômés, ceux qui étaient censés réussir dans l’économie d’aujourd’hui et qui, jusque dans les années 90 avaient plus profité que les travailleurs moins diplômés des fruits de la croissance. La technologie désormais déplace tous les travailleurs et pas seulement les moins diplômés. « L’une des raisons pour lesquelles certains fabricants de haute technologie tentent un mouvement de retour de leur production aux Etats-Unis est que la pièce la plus précieuse d’un ordinateur, la carte mère, est essentiellement fabriquée par des robots, donc la main-d’oeuvre asiatique bon marché n’est plus une raison pour les produire à l’étranger. « 

Dans leur livre Erik Brynjolfsson et Andrew McAfee soutiennent que des histoires similaires se jouent dans de nombreux domaines, y compris dans de plus en plus d’industrie de services tels que la traduction ou la recherche juridique. La plupart des emplois déplacés sont hautement qualifiés et à hauts salaires : les inconvénients de la technologie ne frappent plus seulement les travailleurs manuels, souligne Krugman.

« Barry Lynn et Phillip Longman de la New America Foundation soutiennent, de façon convaincante, à mon avis, que l’augmentation de la concentration des entreprises pourrait être un facteur important dans la stagnation de la demande de main-d’œuvre : les sociétés utilisant leurs monopoles grandissants pour augmenter les prix sans verser de gains proportionnels à leurs employés. Je ne sais pas qui du monopole ou de la technologie explique le plus la dévaluation du travail », confesse Krugman, mais il est plus que temps d’y réfléchir vraiment.

Comme le souligne Izabella Kaminska sur Alphaville, le blog du Financial Times, si nous connaissons une stagnation de l’innovation, ce n’est pas parce que l’humanité serait devenue moins innovante, mais parce que les intérêts en place ont une plus grande incitation à imposer de la rareté, à ralentir l’innovation. Ce que viendra d’ailleurs confirmer Krugman quelques semaines plus tard, comme l’explique encore Izabella Kaminska : la puissance des robots et de la technologie permettent certes de réduire le taux d’emploi. Mais plutôt que d’aider ceux qui ont perdu leur emploi à cause de la technologie, les entreprises utilisent la puissance de leurs monopoles pour augmenter le rendement du capital. C’est ce qui explique la montée d’inégalités.

Pour le dire plus simplement, ce n’est pas tant la technologie (la « robotisation » du monde) qui explique la montée des inégalités, que le développement de monopoles basés sur ces technologies.

Hubert Guillaud

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0 commentaires

  1. Bonjour,

    Merci pour ce superbe article. Très intéressant.

    Votre analyse sur le monopole, par ses interrogations, me fait penser aux analyses de Jérémy Rifkin dans son livre ‘la fin du travail’. Livre que j’ai découvert récemment et qui m’a profondément touché sur l’implacable diminution des emplois due à la technologie.

    Il y explique que cette diminution doit impliquer un nouveau contrat social. Il est historiquement fondé sur un revenu proportionnel à sa contribution à la production. Mais si un salarié perd son emploi au nom de l’amélioration de la production est il rémunéré? Pour ne pas exclure de la société les victimes de ce progrès, il faut revoir les clés de contribution de chacun.

    Frédéric

    PS : je n’ai pas trouvé le premier article de cette série…

  2. « A l’heure actuelle, tout cela semble impensable.  » Mais bien sûr que si ! Kelly croit réinventer la poudre et prend ses contemporains pour des crétins, alors que ses projections sont des niaiseries à peine dignes d’une série B ! Bien sûr qu’il est parfaitement envisageable d’avoir sa flotte de robots et de drones. Le problème, c’est (comme toujours) le double tranchant du progrès, les dégats gigantesques qu’ils génèrent. Et puis l’homme, le bug originel, qui ne se contente pas de produire ou de paresser. Tout le côté vicieux de la question est éludée. Inutile -wired-. C’est de la SF de CM2.

  3. Je me demande si ces gourous, polytechniciens et autres prix Nobel n’ont pas été remplacé par des robots, eux qui répètent inlassablement les mêmes constats et mêmes prévisions depuis des décennies, les mêmes confusions aussi, sans jamais proposer une seule idée qui permettrait de ne pas aller dans le mur.

    Exemple de confusion : « travail » et « emploi » ne sont pas du tout la même chose ( « work » et « job » en anglais). Les robots sauront un jour faire tous les « jobs », il ne sauront jamais « travailler » car le « travail » a sens hautement symbolique. Travailler, c’est d’abord à prendre soin de soi-même, de ses parents, de ses enfants et de ses proches, travailler c’est ensuite contribuer aux biens communs accessibles à tous (connaissances, arts, culture, logiciels, etc.), travailler enfin, c’est inventer et mettre en oeuvre à toutes les échelles les moyens qui permettront de léguer une planète vivable aux générations futures.

    Comme le souligne le commentateur précédent (frédéric Abella), l’évolution technologique et la robotisation impliquent un nouveau contrat social. Pas un seul des ces gourous, polytechniciens et prix Nobel n’en parle ! Des robots, je vous le dit? Des robots !

    http://appelpourlerevenudevie.org/

  4. En prime, un air frais qui (re)vient de Chine :
    « Reprendre » de Jean-Michel Truong.

    « Ancien enseignant à l’École centrale de Paris, auteur de plusieurs essais et romans à succès, dont « Reproduction interdite » et « Le Successeur de pierre », Jean-Michel Truong a fondé Cognitech, la première société européenne d’intelligence artificielle. Il travaille en Chine où il conseille des entreprises high-tech. Dans « Reprendre », il expose sa solution pour sortir de la dette sans passer par la case « sang et larmes » à laquelle tous se résignent. « Ce livre est né du scandale qui fut le mien lorsque, rentrant au pays après deux décennies de Chine, je retrouvai une France cataleptique, et le débat politique – c’était aux premiers jours de la campagne présidentielle – en mode psalmodie en boucle des mêmes mantras fatigués, avec une équipe sortant de dix ans aux affaires sans avoir rien vu venir, une autre de dix années d’opposition sans une seule idée neuve, et une classe médiatico-intellectuelle en mode comptage de points, façon Roland Garros, tandis qu’aux extrêmes on affutait les couteaux. »

    Lire la chronique économique de Bernard Girard
    http://aligre.blogspot.fr/2012/12/jean-michel-truong-veut-transformer-les.html

  5. @tous
    Une question me taraude depuis longtemps. Si on automatise, on supprime des emplois, les salariés sont au chomage, ils ne gagnent plus d’argent, ils ne dépensent plus… qui achètent les magnifiques produits fabriqués de la manière la plus optimale possible?
    [Question posée aux Américains dans les années 30…]

    Pour continuer avec la Chine…

    Un restaurant avec des robots, pour accueillir, cuisiner et servir.

    L’établissement compte près de 20 robots, employés à des postes de serveurs ou cuisiniers. Au total les robots exécutent 18 tâches différentes.

    http://www.lemonde.fr/style/portfolio/2013/01/16/des-robots-aux-manettes-d-un-restaurant-chinois_1817775_1575563.html#xtor=RSS-3208

  6. Un robot peut et va remplacer 10 travailleurs, même qualifiés. Les propriétaires de ces robots s’octroient alors une plus grande part de la valeur ajoutée, ce qui explique l’augmentation des inégalités.

    Il vous manque un article qui explique qu’il faut donc taxer les profits, et les distribuer à la population sous forme d’allocation universelle.

    bonne soirée

  7. d’ailleurs j’ai dit allocation universelle, mais je devrais dire dividende universel

  8. Et encore, il manque des exemples de robots utilisés pour la manipulation de données numériques et le traitement de textes automatisés. On parle depuis quelques temps déjà de la mort des journalistes, qui seront remplacés par des automates…

    Internet pullule de robots, ces algorithmes à qui on assigne des tâches ingrâtes comme la recherche de contenus, la publication de contenus, l’analyse de textes et le traitement de données en général.

  9. Article passionnant comme toujours 🙂

    Selon moi, les nouvelles technologies accroissent toujours dans un premier temps les inégalités socio-culturelles (et donc in fine économiques). Ce sont les politiques publiques et l’éducation en particulier qui permettent éventuellement au troupeau de rattraper les précurseurs issus des classes favorisées, le plus souvent.

    Les pouvoirs économiques oligopolitiques ou monopolitiques renforcent bien évidemment ce processus par une moins grande distribution de la richesse créée.

    Comme toujours, la solution passe par la décision politique : quelles sont les règles du « vivre-ensemble » avec lesquelles nous souhaitons fonctionner. Ce que suggère d’ailleurs fort bien la fin de votre papier.

    Les technos ne sont que des vecteurs qui accentuent des tendances, elles ne sont pas neutres certes, et portent une vision politique, mais elles restent soumises à une organisation sociétale plus globale.

    Au plaisir de vous lire à nouveau !

    Cordialement

  10. Merci pour ces excellents articles :
    Où va l’économie numérique ? (1/3) et (2/3)

    Quand pensez-vous publier : Où va l’économie numérique ? (3/3)

    Je suis impatient de le lire

    Cordialement

  11. La troisième partie que j’ai en tête repose pour l’instant plus sur une intuition que sur des preuves que je tente d’accumuler. Mais j’en trouve assez peu. L’idée de cette 3e partie serait de questionner la concentration des entreprises du numérique (qui se développe très fortement, tout en demeurant très petites) et montrer d’ailleurs qu’elle laisse malgré tout de côté l’entrepreneur isolée. Dit autrement, il me semble que le numérique favorise de micro-concentration (Instagram face à Kodak par exemple), mais que la palette d’outils à mobiliser interdit pour autant de plus en plus l’artisanat et l’entrepreneuriat isolé. Comme une cristalisation de la PME… Mais c’est assez diffcile à démontrer hélas.