Internet ne nous séduit pas seulement par ses contenus, mais par sa structure

La lecture de la semaine nous provient de The Atlantic, sous la plume de Megan Garber (@megangarber) et s’intitule « comme vous n’avez pas de lion à fuir, vous avez cliqué sur ce lien ».

« Vous voici à nouveau sur internet, commence Megan Garber. Vous voilà à nouveau en train de traîner dans le World Wide Web. Mais pourquoi êtes-vous ici ? Je veux dire, est-ce que vous savez vraiment pourquoi vous êtes ici ? Pour quoi, au final, vous – nous, puisque moi aussi j’y suis avec vous – nous revenons toujours à cet endroit fou, jour après jour ?

Il est facile d’attribuer le magnétisme continu exercé par le web à la combinaison entre la puissance de la « relation humaine » et des « vidéos de chats ». Mais ça n’est pas la seule raison. L’internet ne nous séduit pas seulement par ses contenus, mais pas sa structure.


Image : Screen Blast par Ayton Gray.

C’est l’hypothèse de Tom Stafford, un chercheur en sciences cognitives de l’université de Sheffield, en Grande-Bretagne. Selon lui, l’internet offre le même type d’incitation et de récompense que, par exemple, les machines à sous : vous pouvez appuyer et perdre un nombre incalculable de fois. Mais quand pour une fois vous gagnez – même le plus minuscule des jackpots – votre patience est récompensée. La monotonie du geste répété est justifiée par le gain. Vous ressentez un afflux de dopamine. Vous êtes heureux. Eh bien selon Stafford, internet fonctionne un peu de cette façon, en offrant des récompenses cognitives : le potin alléchant ou l’e-mail sincère comme friandise. La récompense est immédiate et cela ne fait que renforcer l’attraction de l’internet. Comme expérience sociologique massive, internet nous transforme en chiens de Pavlov : il nous conditionne à répondre, automatiquement et physiquement, à la promesse de récompenses à venir. Les petits trésors que nous trouvons nous remplissent de joie. Quand ils s’espacent, nous sommes en manque. Et nous savons exactement où les trouver.

Donc oui, la prochaine fois que vous vous demanderez si vous passez trop de temps sur Facebook ou autre, rappelez-vous cela : vous perdez votre temps parce que votre cerveau le veut. Le charisme d’internet est une fonction provenant non seulement de tout ce qu’on y trouve de bien, mais aussi de mécanismes de survie proprement humains et adoucis par le temps : des mécanismes qui ont évolué depuis longtemps, en réponse à des ennemis dangereux. Si vous n’arrivez pas à arrêter de regarder des vidéos de chat, c’est à cause des lions.

C’est la théorie de Linda Stone, une chercheuse qui a étudié les effets physiologiques de l’usage d’internet. Selon elle, une bonne part de notre comportement compulsif vis-à-vis de nos écrans – et de nos e-mails en particulier – peut être attribuée à la réponse en fuite ou combat qui trouve son origine quand les premiers hommes devaient échapper à leurs prédateurs. Cette réponse est une fonction de notre système nerveux autonome (une condition appelée aussi neuro-végétative), et nous prépare, comme son nom l’indique, soit à fuir le prédateur, soit au contraire à l’attendre et à le combattre. L’internet, une large plaine dont l’herbe cache tant de dangers, peut activer la même réponse chez l’homme contemporain. Dans un même paquet, il offre le combat et la fuite. Lire des e-mails ou être penché sur son écran, explique Stone, mettrait les gens dans une sorte d’état d’attente. Près de 80 % des gens arrêtent temporairement de respirer, ou se mettent à respirer lentement quand ils vérifient leurs mails ou regardent leur écran. Stone appelle cela l' »apnée de l’e-mail ». Et elle l’attribue au fait que nous anticipons la réponse éventuelle que nous devrons fournir à la lecture de ce que nous découvrons sur notre écran. La surveillance de notre écran, à laquelle nous nous livrons un peu à la manière d’un drone, révèlera peut-être un mail de notre patron ou le mot d’un ami. Et, quand cela se produit, nous devrons nous mettre en action pour répondre. Et nous anticipons cela, avance Stone, en retenant notre respiration – c’est-à-dire en emmagasinant de l’énergie – pendant que nous regardons notre écran. Echelonner sa respiration est, de cette manière, un mécanisme de survie. C’est le système que nous avons développé, malgré nous, pour évoluer dans l’environnement inquiétant qui s’étend devant nous – un environnement qui, de plus en plus, se révèle être celui de nos écrans. »

Xavier de la Porte

Xavier de la Porte (@xporte), producteur de l’émission Place de la Toile sur France Culture, réalise chaque semaine une intéressante lecture d’un article de l’actualité dans le cadre de son émission.

L’émission du 1er juin 2013 avait pour thème « l’art numérique existe-t-il ? », à l’occasion de la parution d’un numéro spécial d’Art Press consacré à cette question. Pour discuter de cette question, Xavier de la Porte recevait Norbert Hillaire, professeur à l’université de Nice-Sophia Antipolis, critique d’art et artiste, qui a coordonné ce numéro d’Art Press ; Sylvie Coëllier, professeure d’histoire de l’art à l’université d’Aix-Marseille, où elle dirige le Laboratoire d’études en sciences des arts ; et Jean-Paul Fourmentraux, sociologue, maître de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’université de Lille et chercheur associé à l’Ecole des hautes études en sciences sociales et auteur de L’oeuvre virale : Net Art et culture Hacker.

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0 commentaires

  1. Merci de continuer à nous faire découvrir des « petits trésors ». Je considère que passer du temps à surfer dans internetactu.net et une friandise de qualité que je savoure à chaque semaine.

  2. Xavier, Linda Stone est intéressante mais tu te souviens que je t’ai parlé de la « théorie de la simplicité » de Jean-Louis Dessalles qui me parait plus profonde et scientifiquement fondée… A quand un pdlt ?