Après la personnalisation… la personnification

L’équipe de Taezoon Park, du programme de recherche d’ingénierie des facteurs humains à Singapour, a construit deux robots, rapporte le Boston Globe. L’un était une infirmière conçue pour prendre la tension et prendre rendez-vous avec un médecin, l’autre un système de surveillance. Dans leur expérience, les chercheurs ont donné deux personnalités différentes à chaque robot. Une version extravertie : le robot parlait fort et rapidement, commençant les conversations au lieu d’attendre qu’on lui parle, faisant des gestes plus animés, l’autre était plus réservé, se déplaçant moins, parlant plus lentement et laissant l’usager initier la communication. Visiblement, les utilisateurs ont préféré l’infirmière robot extravertie et le robot de sécurité introverti.

La personnalité des machines nous influence

Programmer des personnalités aux robots semble encore relever de la science-fiction, mais pour les roboticiens, la robotique sociale est devenue un objectif primordial qui influence notre acceptation et notre perception de leur efficacité, comme le rappelle régulièrement l’une des spécialistes du sujet, Cynthia Breazeal du Media Lab du MIT, conceptrice du récent Jibo, cet ordinateur robotique (voir notamment son intervention sur ce sujet lors de la première édition d’InnoRobo en 2011). Ce que montrent les recherches, c’est que la personnalité que l’on donne à son programme compte tout autant que ses qualités techniques, et que celle-ci doit évoluer selon les tâches que doit réaliser le robot et ses modes d’interactions avec les humains.

Une étude menée par Bernt Meerbeek, chercheur chez Philips, a constaté que les propriétaires d’aspirateurs autonomes aimaient qu’ils soient routiniers, « calmes, polis et coopératifs ». Une autre étude menée par Vanessa Evers professeur en interface homme-machine à l’université de Twente et Wendy Ju du Centre de recherche en Design de l’université de Stanford, va s’intéresser aux personnalités idéales des voitures autonomes. Selon Google, elles doivent savoir être agressives pour ne pas trop céder le passage aux autres véhicules et même être capables de dépasser les limitations de vitesse imposées pour s’ajuster aux flux du trafic !

Les roboticiens Maja Mataric et Adriana Tapus du laboratoire d’interaction dépendant du laboratoire de recherche en robotique de l’université de Californie du Sud ont mené une étude impliquant des robots qui aident des gens dans des exercices de rééducation physique. Leurs résultats ont montré que les robots compréhensifs et positifs étaient plus appréciés par les personnes introverties, alors que les robots plus directifs et fermes étaient plus efficaces avec les personnalités extraverties. Une autre étude menée par Jennifer Goetz et Sara Kiesler de l’Institut d’interaction homme-machine de l’université Carnegie Mellon avec des robots utilisés pour amener des jeunes à suivre un entraînement sportif a montré que si ceux-ci appréciaient le robot le plus ludique, celui qui plaisantait pour faire mieux accepter l’effort, il s’est avéré moins efficace que le robot plus directif. Pour les chercheurs, un robot sympathique n’est pas des plus utile pour obtenir la coopération des humains…

La personnalité du robot peut aussi dépendre de notre capacité de contrôle du robot. Meerbeek a mené une étude sur des robots pour aider les gens à choisir leur programme télé. Un robot nommé Lizzy, convivial et extraverti était en compétition avec Catherine, un robot moins expressif et plus formel. Lorsque le robot était programmé pour prendre davantage d’initiative, les utilisateurs préféraient la bavarde Lizzy, mais lorsqu’il était programmé pour poser plus de questions et attendre des autorisations des humains, ceux-ci ont préféré Catherine. Aaron Elkins du groupe de travail iBug, qui travaille sur le programme de garde-frontière robotique Avatar, un robot détecteur de mensonges capable de poser des questions aux voyageurs pour analyser leur discours et leur langage corporel, a montré qu’un garde souriant et aimable était peu pris au sérieux, alors qu’un robot morose et accusatoire semblait plus refléter l’autorité.

Pour Leon Neyfack, l’auteur de l’article du Boston Globe, la question de la personnalité des robots n’est pas sans poser des questions de fond dans notre rapport aux machines. Comment interagir avec des machines calibrées pour nous traiter exactement de la manière dont nous le voulons ? Leurs personnalités seront-elles transportables sur tous nos objets ? Voudrons-nous qu’elles se comportent différemment quand nous sommes seuls à la maison et quand nous sommes avec d’autres personnes ? Comment va évoluer notre rapport aux machines quand celles-ci seront dotées de personnalités qui nous correspondent parfaitement ? « Nous pourrions commencer à préférer la compagnie des robots à celle des autres, les humains, moins parfaitement optimisés ».


Vidéo : bande annonce du film Her de Spike Jones.

Après la personnalisation, la personnification, prochaine frontière des services ?

Au-delà de la robotique dont le quotidien nous paraît encore lointain, cette question de la personnalité se pose également pour les objets et les logiciels qui nous entourent. Si pour l’instant, ils sont encore rarement dotés de personnalité, la question des modes d’interaction qu’ils ont avec nous risque de se poser avec de plus en plus d’acuité. Un programme d’entraînement sportif doit-il s’adresser à nous gentiment ? Doit-il parler de la même manière à un sportif accompli qu’à un non-sportif qui trouvera toujours une bonne raison pour ne pas tenir ses résolutions en matière de remise en forme ? A-t-on envie que tous les programmes avec lesquels nous interagissons nous parlent de la même manière, de cette façon impersonnelle et polie, lisse, pareille au courrier d’un service marketing dont se plaignait récemment Joanne McNeil en évoquant la standardisation des sollicitations dont nous sommes l’objet lors de notre anniversaire ?

Alors qu’on commence à bien percevoir les limites de la personnalisation (voir également cet article), il est peut-être tant de s’interroger sur le paradigme qui lui succédera et le prolongera certainement : celui de la personnification, cette incarnation de la personnalité dans les programmes.

Attribuer des propriétés humaines aux services web que l’on utilise est certainement une façon simple de développer l’engagement qu’évoquait la designer Maria Bezaitis. Encore faut-il pour cela que les intégrateurs qui programmeront ces personnalités soient au fait de rudiment de psychologie et d’économie comportementale, pour ne pas proposer des outils qui aillent à l’encontre de ce qui favorise la motivation, comme nous le dénoncions à propos de Pavlok, ce bracelet qui délivre des chocs électriques si vous ne tenez pas vos engagements…

Comme le soulignait le designer Soleio Cuervo, l’inventeur du like de Facebook, désormais à la tête du design chez Dropbox, en expliquant récemment sur FirstRound, les vertus de la personnalisation d’un point de vue de designer, les développeurs doivent se souvenir qu’ils ne sont pas tant en concurrence avec d’autres services qu’en concurrence avec les habitudes des utilisateurs. Or, plus de personnalisation aidera-t-elle à s’insérer dans ces habitudes ? A mesure que de plus en plus d’outils de personnalisation feront leur apparition, explique-t-il votre produit aura besoin d’être de plus en plus nuancé… Et la meilleure manière pour y parvenir n’est-elle pas de le doter de personnalité ? Quel type de relation souhaitons-nous avoir avec les services qui nous entourent ? Souhaitons-nous qu’ils soient agréables ? Souhaitons-nous qu’ils nous bousculent ?

Timeful, cet agenda intelligent qui remplit algorithmiquement votre emploi du temps selon ce que vous souhaitez faire et que vous n’avez pas pris le temps de programmer, est capable de faire varier son niveau d’intrusion dans votre agenda selon l’agressivité que vous lui avez demandé d’avoir selon l’importance des tâches que vous souhaitez qu’il programme. Si vous souhaitez donner la priorité au sport, il va démultiplier les ruses pour les programmer dans votre agenda et vous rappeler vos résolutions.

Que Google et Facebook nous fêtent nos anniversaires, soit. Mais qu’ils le fassent sur un mode unique, qui ne sache finalement pas prendre en compte le fait que je n’aime pas ça ou qu’un clin d’oeil ironique me paraitrait plus approprié qu’une recommandation servile est à la base de l’échec même de nombre de démarches marketing. Peut-être que le meilleur moyen de nous proposer des services plus personnalisés est de nous proposer des services personnifiables, qui puissent s’adapter à qui nous sommes plutôt que seulement nous considérer comme un amas de données, une machine.

Hubert Guillaud

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  1. Olivier Ertzscheid sur son blog revient sur un récent brevet de Google pour développer des programmes dotés de personnalités… Et fait l’analyse des enjeux de la personnification : « La « personnalité » algorithmique est donc encore très orientée « data », mais elle a vocation à s’étendre progressivement vers une régulation qui touche non plus seulement nos interactions individuelles avec un objet technique (lecture ou visionnage en streaming, interrogation d’un moteur de recherche, etc.) mais également nos interactions de pair à pair. » (…) « A partir de maintenant, la « personnalisation » de ces nouveaux « assistants intelligents » doit leur permettre non plus seulement de renforcer mais de modifier mes croyances et mes représentations. » Une sorte d’antithèse au test de Turing.