Et vous, quel est votre chiffre d’affaires au kilomètre ?

« Cela fait 12 mois que je ne travaille plus assis sur une chaise. Je suis programmeur. J’exerce en milieu rural, dans les Cévennes ». C’est ainsi que se présente Benoit Pereira da Silva (@bpereiradasilva) sur la scène de Lift France, avec calme et douceur. Son titre s’affiche sur l’écran de sa présentation derrière lui : « marcheur-programmeur », version post-post moderne du « chasseur cueilleur ».

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Image : Benoit Pereira da Silva arpentant de long en large la scène de Lift France.

La chaise tue beaucoup

pereiradasilvacognitionLa bipédie est une caractéristique physique des homo sapiens et de quelques autres espèces. La nôtre est permanente, comme l’autruche, explique le développeur qui sait aussi se faire anthropologue. Nos corps et nos capacités cognitives fonctionnent de la même manière que nos ancêtres. « Notre corps biologique est celui du temps de l’évolution, plus que celui du temps de mutation des techniques ou du temps des transformations des modes de vie. » Alors que nos capacités de traitement informatique n’ont cessé de progresser, nos capacités cognitives, elles n’évoluent pas. Et nos capacités physiques ? Benoit Pereira da Silva présente un amusant graphique où il rapproche l’évolution dans le temps de ses capacités cognitives (stables), des capacités de traitement des ordinateurs qu’il utilise et de son poids. Sur le graphique, sa prise de poids jusqu’en 2013, date où il s’est mis à travailler en marchant, est on ne peut plus régulière.

« Notre bipédie n’est plus permanente. Nous passons beaucoup de temps assis ou allongé alors que notre corps est un corps de marcheur, adapté au mode de vie actif des chasseurs cueilleurs », explique-t-il en arpentant la scène de droite à gauche sans jamais s’arrêter, comme si le fait de marcher était le meilleur moyen pour nous en convaincre. Pour lui, ce décalage, ce hiatus est le signe d’un problème de fond, de rythme entre nos modes de travail et de vie. « Les travailleurs du numérique sont tous assis devant des bureaux. Nos corps s’engraissent. Notre système lymphatique déraille. Les cancers et les maladies cardio-vasculaires augmentent. La chaise tue beaucoup. »

Benoit Pereira da Silva à son tapis de marche dans son bureauUn arrêté de la Cour européenne d’avril 2013 est pourtant venu rappeler que tout travailleur pouvait avoir accès à une table ajustable en hauteur pour travailler debout. Pourtant, la plupart des employés de bureau travaillent assis, au moins huit heures par jour. Pour le développeur activiste de la santé, il faut accorder la transformation radicale de nos modes de vie à notre réalité biologique. C’est un impératif de santé publique. En 2009, il a entendu parler des bureaux debout et a lu des témoignages d’informaticiens qui étaient passés au bureau debout voir au bureau marchant, en y ajoutant un tapis roulant. Il a lu l’essai de Frédéric Gros, Marcher, une philosophie. Et a lu les propos du docteur James Levine, qui vient de publier Get Up, qui raconte l’origine de sa lutte contre la posture assise. Inspiré par cette expérience, mal à l’aise avec sa prise de poids, Benoit décide de commencer à travailler debout, puis acquiert un tapis de marche pour ne plus travailler qu’en marchant.

Développer son chiffre d’affaires au kilomètre parcouru

« La marche est un effort doux et continu. Qui prend le contrepied des pratiques par « spasmes » » (c’est-à-dire des pratiques qui nécessitent un effort court et intense, comme la course par exemple, NDE). La marche est une activité lente qui s’inscrit dans un temps long. C’est une activité inconsciente, d’arrière-plan, et qui redonne la faim, le sommeil, épuise, améliore la circulation et consolide les muscles. Contrairement à d’autres activités sportives, elle permet d’être actif sans s’obséder. » Benoit a perdu 20 kilos sans faire aucun régime, juste en marchant en travaillant. Il a retrouvé des cycles de sommeil profond. La faim. La marche a donné une limite à ses journées de travail. Son épuisement physique correspond au temps de travail adéquat d’environ huit heures par jours.

Pourtant, marcher à l’intérieur, sur un tapis roulant n’était pas pleinement satisfaisant. Son statut de consultant lui permet de dégager du temps d’expérimentation. Il imagine alors un bureau nomade pour marcher dans les champs, sur les chemins… Avec l’aide de quelques partenaires, Benoit Pereira da Silva se lance dans la conception d’un bureau nomade, tout terrain, autonome en énergie. Après plusieurs prototypes, il conçoit un bureau équipé d’une caméra montée sur un drone pour partager son expérience. Il met au point un dispositif complexe, équipé d’une carriole pour tirer un panneau solaire pour lui fournir de l’électricité et une batterie… Un dispositif assez lourd qui totalise 50 kilos, dont 25 portés par la carriole (vidéo). Cet été, il a marché 100 km dans les Cévennes.

« Comme les entreprises possèdent des tableaux de bord, j’ai mis en place un tableau de bord de moi-même. » Sur son tapis roulant, Benoit marche à 3 km/h et réalise 20 à 30 km par jours. Il a marché 6333 km sur son tapis depuis 2013, dont 4111 km en 2014. Il marche en moyenne 8 heures par jour. Il a marché en travaillant 333 jours sur 452 depuis le 25 juillet 2013. Il utilise le Pulse de Withings pour compter ses pas, mesurer son temps de sommeil, son rythme cardiaque. La semaine dernière il a fait 271 000 pas, soit environ 207 km. Il produit un journal de données psychométriques et physiologiques, depuis Hours Tracker (un outil pour mesurer son temps de travail et facturer ses clients), depuis les données produites par son tapis roulant, depuis la balance connectée de Withings pour surveiller son poids, depuis Sloccount pour mesurer le nombre de lignes de code qu’il réalise. Il est capable de mesurer son « chiffre d’affaires au kilomètre parcouru ». Un chiffre d’affaires qui progresse. Pour lui, les résultats sont éminemment positifs. Son poids, son sommeil, son travail… tout semble sous contrôle.

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Pour lui, l’avenir du travail doit imaginer des choses compatibles avec nos réalités biologiques, conclut le développeur marcheur. Nous devons réfléchir à des couloirs de marche pour téléphoner, à des open spaces équipés de tapis roulant, à des circuits piétons, à des parcs et fermes pour travailleurs ambulants, à des champs et parcours de travail… Les prototypes qu’il imagine et que d’autres imaginent aussi montrent que les bureaux nomades doivent être encore perfectionnés. On doit encore inventer les pupitres mobiles, les « habits bureaux », les systèmes immersifs, les interfaces d’interaction vocale… Les employeurs doivent s’intéresser à ces systèmes, insiste-t-il. « Il est de notre devoir d’inventer, d’expérimenter, de tester, d’incuber des idées, des astuces, d’imaginer des systèmes libres pour fabriquer des dispositifs à bas coûts », explique-t-il en invitant à rejoindre la communauté des travailleurs marcheurs. La marche, le fait de nous mettre debout est ce qui nous a fait hommes. Comme nous le disions il y a peu, nos outils ne peuvent nous faire oublier notre corporalité.

Hubert Guillaud

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0 commentaires

  1. Ce serait intéressant de connaitre les références de « l’arrêté de la Cour européenne d’avril 2013 ».

  2. Il me semble qu’un vélo avec un pédalier vertical serait mieux.

  3. Pas très convaincant ! On dirait une version moderne d’un hamster en cage en train de tourner dans sa roue !

  4. J’avais vu la roue de hamster de bureau. Dans les deux cela consiste à enchainer (littéralement pour le bureau « nomade ») la personne à son outil de travail.

  5. Une aliénation qui restreint la liberté de mouvement en contraignant l’utilisateur de l’outil à porter une cage (ce qui est effectivement requis dans certains cas pour des raisons de sécurité) ne me paraît, dans le cas présent, pas très enviable.
    J’imagine le temps qu’il doit passer pour retirer (et remettre) son harnachement rien que pour aller aux toilettes…
    Je préfère les système genre stepper ou tapis roulant ou l’on peut travailler debout et qui laissent toute liberté de mouvement. D’ailleurs j’envisage assez ça en ce qui me concerne.

  6. En extension à la conférence #liftFr14 je présenterai dans le cadre des « appdays » chez IBM demain le 6 novembre 2014, 7 sphères ou niveaux d’actions pour un devenir plus mobile, plus ou moins classées par échelle.

    1. Comportements, bonnes pratiques… (Habitus)
    2. Apps, services et plateformes (Systèmes immatériels)
    3. Objets (à l’échelle de la main)
    4. Vêtements, meubles, véhicules, agencements à taille humaine (à l’échelle du corps humain)
    5. Architecture (espace englobant, organisations)
    6. Villes et espaces urbains (dans l’espace élargi)
    7. Politique (en nom collectif pour tous et toutes)

    N’hésitez pas à me contacter via mon site si vous souhaitez avoir accès à la version PDF de cette présentation.
    Le site des appDays 2014 : http://appdays.fr/2014/programme

  7. Bon, on pourrait certainement critiquer beaucoup de choses, il n’empêche que c’est une piste intéressante pour l’avenir du travail, à condition d’améliorer les interfaces homme-machine.

    Sur les critiques, peut-être aurait-il fallu alterner les phases de marche et d’inactivité physique pour établir une corrélation plus claire entre la productivité et la marche. Ma productivité progresse aussi, pourtant je reste assis toute la journée.

    « notre corps est un corps de marcheur, adapté au mode de vie actif des chasseurs cueilleurs ». Certes, mais je ne suis pas sûr que nos ancêtres passaient jusqu’à 8h par jour à marcher. Dans le monde animal, il y a beaucoup d’espèces qui parviennent à se nourrir sans passer 8h à se déplacer, et il ne me semble pas que l’étude des sociétés de chasseurs ceuilleurs soient conclusives sur ce point, sachant que le développement plus récent de l’agriculture (plus de 8h par jour d’activité) n’a pas fait que du bien au corps humain.
    En piochant au hasard dans la littérature scientifique, on semble plus être dans les 3 à 5 heures d’activité quotidienne debout hors loisir avant l’agriculture. Voir par exemple les études sur les Bochimans du désert du Kalahari.

  8. Je ne suis pas un savant, encore moins un anthropologue ou un scientifique mais j’aimerai donner mon avis à ce propos. Certes, la capacité cognitive n’évolue pas et c’est exacte car on peut très bine observé ce phénomène chez plusieurs êtres vivants non seulement l’homme.

  9. @Hadrien la littérature scientifique est très controversée sur le sujet. Les savants ont bien du mal à établir une théorie sûre et robuste sur le processus d’hominisation et sur l’origine de la bipèdie. Personne ne peut véritablement avancer de chiffres précis. Mais est-ce vraiment important?

    Avant, je vivais, l’enfermement corporel sourd que Michel Foucault décrit dans le « Corps utopique ». « Je venais occuper un corps étranger à chacun de mes réveils, occuper « ce lieu absolu, petit fragment de l’espace, ici , jamais ailleurs… » « C’est dans cette cage, que je devais me montrer, à travers cette grille qu’il fallait parler, regarder, être regardé. Mon corps était ce lieu sans recours auquel j’étais condamné. »

    Nous dormons en moyenne 8H ça laisse 16H d’éveil (relatif pour certains). Etre en mouvement, marcher-travailler la moitié de ce temps me semble très raisonnable. J’en fais l’expérience quotidienne et apprend chaque jour un peu mieux à domestiquer ma carcasse de grand singe. Être au monde, devient simple et fluide, adéquat, évident. Je suis à nouveau un corps sans coupure. C’est cette expérience que j’essaie de communiquer, pas vraiment les artefacts intermédiaires qui sont très imparfaits et même peut-être un peu ridicules.

  10. @Hubert : Je ne connaissais pas Steve K. Robert… Mazette ! il est de tous les éléments, homme de vent, d’eau et de terre. Merci pour la trouvaille je vais essayer d’en faire bon usage 🙂

    J’avais identifié quelques développeurs mobiles comme :
    – Michael Tyson, piètre boxeur, mais talentueux développeur d’ http://audiob.ushttp://technomadics.net
    – Chris Dunphy & Cherie Ve Ard de http://www.technomadia.com

    Les techno-nomades sont nombreux et leurs expériences bien qu’intéressantes, sont à la marges, presque hors circuit. Il me semble important d’essayer d’atteindre des masses moins excentrées. Toute la radicalité de la marche au travail se concentre là, dans son inscription au coeur l’activité humaine, et des organisations, sans rupture. Il me semble opportun d’essayer de transformer par flexions, d’agir en souplesse. Cela peut prendre parfois des formes spectaculaires, pour attirer l’attention, mais je suis convaincu que nous devons essentiellement promouvoir une approche douce et diffuse.

  11. Pour ma part je me reconnais assez dans ces longues heures pasées assis devant son écran à développer. Il est vrai qu’on prends du poids, quand perd de la force physique, quand on le dos et les yeux qui travaillent un peu trop…

    Mais je prends ça comme une contrainte due à la fonction, comme dans tous les métiers du monde. J’ai déjà tester de travailler debout, mais on y perd en rendement et en concentration. Pour ma part, je préfère rester assis et me forcer à mon footing journalier pour rentretenir le corps et vider l’esprit.

  12. Nous dormons en moyenne 8H ça laisse 16H d’éveil (relatif pour certains). Etre en mouvement, marcher-travailler la moitié de ce temps me semble très raisonnable.