L’être humain, une force cosmique ?

Alors qu’on continue à se demander si l’anthropocène existe ou non, d’autres vont plus loin et ne s’arrêtent plus à la simple sphère terrestre. Ils s’interrogent sur la place de l’homme dans l’univers entier, et certains n’hésitent pas à la voir comme fondamentale. Un sujet qui constitue justement un récent dossier de la revue New Scientist.

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Image : la galaxie d’Andromède photographié par la Nasa.

Sommes-nous insignifiants ?

La vision de l’homme telle que nous la donne la science aujourd’hui n’est pas très engageante. Nous serions au mieux un épiphénomène, un événement sans importance dans le cycle de vie du cosmos, qui disparaîtra aussi vite qu’il est apparu, probablement sans laisser de traces. Depuis Copernic, nous savons que la terre n’est pas au centre de l’univers. Avec Darwin, nous savons que nous sommes probablement apparus par accident, un pur produit de la chance et des conditions environnementales. Rien qui pourrait laisser croire que l’homme signifie quelque chose d’exceptionnel.

Pourtant, certains scientifiques défendent une opinion différente. On peut en gros diviser les trois objections à l’insignifiance humaine en trois grands axes, tous couverts par un article du dossier du New Scientist.

Le premier est l’idée que l’univers a été conçu spécialement pour nous ; c’est la théorie derrière le principe anthropique, au moins dans sa version « forte ». C’est le point de vue le plus proche des religions traditionnelles.

La seconde hypothèse, qui flirte volontiers avec l’idéalisme de l’évêque Berkeley et même avec le New Age, est que la conscience joue directement un rôle dans l’existence du cosmos.

La troisième thèse, qui n’est pas en contradiction avec la vision la plus matérialiste de l’univers consiste à admettre que oui, l’humanité n’est pas grand-chose à ce stade de développement, mais que si elle réussit à survivre à ses futures épreuves, son rôle dans les fins dernières de l’univers pourra s’avérer fondamental (et si elle échoue, rien n’empêche évidemment que ce même but soit atteint par d’hypothétiques races extraterrestres).

Un univers fait pour l’homme

Le principe anthropique se base sur l’hypothèse que l’existence même de l’humanité nous dit quelque chose sur la structure de l’univers. Dans sa version « faible », il n’y a rien à redire, c’est moins une nouvelle théorie qu’une méthodologie de recherche qui nous permet de remettre les choses dans leur contexte. Par exemple, le principe anthropique nous permet de répondre de manière astucieuse à la question « pourquoi sommes-nous si petits dans un univers si grand ? » Comme nous le rappellent Frank Tipler et John Barrow dans leur livre The anthropic cosmological principle, les êtres vivants sont constitués essentiellement de carbone, lequel se forme au coeur des étoiles et se perd dans l’espace lorsqu’elles explosent en super nova. De cela, il est facile de déduire que la vie ne peut apparaître qu’au sein d’un univers ayant déjà connu une première génération d’étoiles qui sont nées, ont vécu et sont mortes. Donc au minimum 10 milliards d’années environ.

Comme l’univers est en expansion et que sa taille correspond à son âge, on découvre donc que celui-ci, avec ses 15 milliards d’années d’âge, se trouve dans la fourchette « basse » pour permettre l’apparition de la vie. Notre univers n’est pas gigantesque, il est juste à la bonne taille. CQFD.

Le principe anthropique « fort » va bien plus loin. Ses partisans s’interrogent sur le fait que si les constantes mathématiques sur lesquelles repose la réalité changeaient d’un iota, la vie, et par conséquent les êtres humains ne pourraient apparaître. Et de s’interroger sur de telles miraculeuses coïncidences. Le New Scientist cite ainsi le fameux physicien Paul Davies qui se demande si l’existence de la vie ne devrait pas être considéré comme une loi de la nature. A noter qu’il existe plusieurs objections possibles au principe anthropique fort : par exemple, si notre univers n’est pas le seul existant, mais un parmi une infinité d’autres, il n’est pas surprenant qu’au moins l’un d’entre eux possède les caractéristiques extrêmement précises autorisant l’apparition de la vie.

Une autre version de ce principe anthropique serait le fameux argument de la simulation de Nick Bostrom, plusieurs fois mentionné dans nos colonnes. Pas étonnant que le monde semble fait pour nous, il ne s’agit que d’une simulation mise en place dans un labo quelconque situé dans un méta-univers. Reste à espérer que personne ne va ôter la prise de courant.

Un univers « participatif »

La position la plus « idéaliste » a séduit au cours des années bon nombre des praticiens de la physique quantique. L’univers n’existerait que parce qu’il existe quelqu’un (ou quelque chose) pour l’observer. La thèse de l’univers participatif de John A. Wheeler (l’un des plus fameux représentants du domaine) en est l’interprétation la plus radicale. Pour lui, selon le New Scientist ce que nous appelons la réalité ressemblerait à « une construction en papier mâché élaborée soutenue par quelques poteaux en fer. Lorsque nous faisons une mesure quantique, nous enfonçons un de ces poteaux dans le sol« . On sait qu’en mécanique quantique, un photon ou un électron peut apparaître sous la forme d’une particule ou d’une onde. C’est la façon dont les physiciens observent le phénomène qui détermine le résultat. Selon la structure de l’expérience, celui-ci apparaît comme une particule avec un point d’impact bien défini, ou plutôt une pattern de lignes foncées et claires, comme s’il s’agissait d’une onde. C’est déjà assez bizarre, mais selon Wheeler, il y a plus étrange encore. Imaginons de la lumière issue d’une source lointaine, comme un quasar… Mettons qu’il existe deux galaxies à une distance intermédiaire, capables de réfléchir la lumière du quasar originel. Si les astronomes pointent leurs télescopes vers l’une ou l’autre de ces galaxies intermédiaires, il observeront le photon comme une particule. Mais si, à l’aide de miroirs, ils s’arrangent pour recevoir les impulsions lumineuses simultanément depuis les deux galaxies, alors ils obtiendront une onde. Là encore, l’observateur détermine le résultat, mais a une nuance près : le photon a parcouru l’espace depuis des milliers d’années ! Autrement dit, l’observation influencerait le comportement de la lumière dans le passé. Il s’agit bien sûr d’une expérience de pensée, mais elle est compatible avec les résultats validés depuis longtemps par la théorie quantique.

Un avenir radieux ?

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La thèse de la supercivilisation ne reconnaît pas à l’intelligence ou à la conscience humaine une importance particulière dans la structure de notre cosmos. Ses partisans arguent simplement qu’avec le temps, si elle se développe suffisamment, son rôle pourrait se voir accru dans le lointain futur.

Évidemment, pour qu’une telle opportunité se présente, il faut que la civilisation atteigne un statut interstellaire, galactique. Les « empires spatiaux » abondent en science-fiction, mais leur réalisation n’est pas évidente. La vitesse de la lumière est un indépassable, et la plupart des auteurs d’anticipation recourent à un Deus Ex Machina pour donner du crédit à leur imagination : le recours à un « hyperespace », à « un vortex » ou un « warp drive », c’est selon : grosso modo un « trou » dans l’espace-temps qui permettrait de se rendre quasi instantanément d’un point à un autre de la galaxie sans pour autant réellement franchir l’infranchissable mur de la lumière.

Les idées d' »hyperespace » et de « trous de ver » ne sont pas étrangères à la spéculation scientifique actuelle (le film Interstellar donne une bonne présentation des spéculations « sérieuses » sur le sujet), mais force est de reconnaître que l’existence de tels systèmes est aujourd’hui très hypothétique. De fait l’article du New Scientist sur le sujet ne recourt pas à ces hypothétiques technologies. Si nous voulons conquérir et contrôler la Voie lactée, nous est-il expliqué, il faut d’abord inventer deux choses. Des intelligences artificielles capables de superviser un projet pendant des milliers d’années, tout d’abord. Ensuite, des véhicules pouvant d’approcher de la vitesse de la lumière. Ils seraient propulsés par des lasers, ou éventuellement par de micros trous noirs. Ainsi équipé, il devrait être possible de coloniser notre galaxie en environ 10 millions d’années.

Évidemment, une telle civilisation consomme beaucoup d’énergie. Le New Scientist propose comme solution une technique bien connue des amateurs de science-fiction : la « sphère de Dyson » autrement dit un soleil entouré d’une coque recueillant l’ensemble de sa lumière et pouvant ainsi récupérer toute l’énergie possible. Il existe déjà aujourd’hui des équipes d’astronomes qui, en lieu et place de signaux radio comme le fait le projet SETI, cherchent les traces de civilisations extraterrestres existant sous la forme d’artefacts aliens de taille gigantesque. Si des sphères de Dyson existent dans notre galaxie, on devrait pouvoir les repérer assez facilement. Et si une race a colonisé l’ensemble d’une galaxie, ce devrait être encore plus aisé de l’observer.

Plus fort encore que la sphère de Dyson, les humains de l’avenir pourraient domestiquer l’énergie issue d’énormes trous noirs. Selon Roger Penrose, il serait possible grâce à cela de propulser de la matière à très haute vitesse, tandis que selon Roger Blandford et Roman Znajek de l’université de Cambridge, on pourrait également utiliser un tel trou noir comme une dynamo.

D’après le New Scientist, cette « ingénierie à grande échelle » ne s’arrêterait pas là. En utilisant des micro trous noirs pour transformer la matière en énergie, l’humanité (ou un équivalent extra-terrestre) pourrait augmenter la chaleur globale de l’univers et ainsi ralentir son expansion !

Dans nos colonnes, on a déjà parlé des thèses de David Deutsch sur le rôle réel que la conscience peut avoir sur la structure de l’univers, notamment par la capacité de l’intelligence à créer des phénomènes extrêmes. Les idées de ces « supercivilisations » intéressent les astrophysiciens depuis des lustres, qui adorent spéculer à leur sujet. Dans les années 60, l’astrophysicien soviétique Nikolaï Kardashev s’était exercé à imaginer les trois stades par lesquels passerait une telle « supercivilisation ». La première étape est le Type I. Cette culture est capable de maîtriser intégralement l’énergie issue de sa planète d’origine. Nous ne sommes même pas encore une civilisation de type I. Avec le type II, la civilisation en question se montre en mesure de domestiquer toute l’énergie de son système solaire. C’est à cette phase que correspondrait la construction d’une sphère de Dyson. Avec le type III, on a affaire à une espèce répandue dans toute la galaxie. Depuis Kardashev certains ont imaginé une civilisation de type IV : capable de maîtriser la structure de l’espace-temps lui-même.

Une nouvelle métaphysique ?

Que ce soit la théorie de « l’univers participatif », celle du principe anthropique fort, ou l’idée de supercivilisations, ces thèses font la part belle à la spéculation théologique. Si l’idée d’un univers émergeant grâce à la conscience a plutôt une odeur de bouddhisme et d’hindouisme (les lecteurs les plus âgés se souviendront peut être d’un fameux « colloque de Cordoue » organisé en 1979 par France-Culture, qui faisait la part belle à cette thèse), les notions de principe anthropique et de la supercivilisation ont une saveur plus judéo-chrétienne. Celui qui a sans doute été le plus loin dans cette approche « religieuse » est sans aucun doute le physicien Frank Tipler, le même mentionné plus haut pour son livre sur le « principe anthropique ». Dans son autre ouvrage, Physics of immortality il va jusqu’à imaginer un « Point Oméga », état quasi divin de la conscience se produisant à la toute fin de l’univers. Ce point Oméga, qu’il est difficile de ne pas nommer Dieu, se montrerait en mesure de créer des « simulations d’ancêtres », bref, créer des « copies » de l’ensemble des créatures conscientes ayant existé au cours de l’histoire du cosmos, qui se retrouveraient ainsi ressuscitées pour l’éternité (une spéculation probablement à l’origine de l' »argument de la simulation »).

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Évidemment, les thèses de Tipler ont intéressé les milieux transhumanistes, qui pourtant hésitent à le suivre dans ses spéculations théologiques. De son côté, David Deutsch a, dans son livre L’étoffe de la réalité, exprimé aussi son intérêt pour certaines des théories de Physics of immortality, mais doute que cette superentité à la fin des temps veuille bien perdre son temps à nous ressusciter tous.

Que penser de toutes ces théories ? Pas grand-chose, béotiens que nous sommes. Tout cela devient tellement abstrus qu’il est difficile d’émettre un commentaire. Tout juste pouvons-nous nous dire, avec le biologiste JBS Haldane, que « l’univers n’est pas seulement plus étrange que nous l’imaginons, mais plus étrange que nous pouvons l’imaginer » !

Rémi Sussan

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0 commentaires

  1. l’expansion de l’Université et son rapport accélération et expansion est une sorte de loi de moor ou plus la puissance de calcule de la sphère supérieur générant cette univers augmente, plus l’univers s’étend rapidement. notre observation quantique est comme si un électron conscient de lui même dans un câble electric se mettait à observer la matière du « tuyot » dans le quel il évolue, une barrière infranchissables faite de spéculations.

  2. Les 3 théories sont loin d’être incompatibles, elles sont toute même sans doute exactes si nous ne nous mettons pas au centre, mais que nous nous considérerons seulement en tant que vecteur d’une efficience amenant à des émergences au seins d’un système expérimental n’ayant pas d’autre but que son auto réplication sans début ni fin, et ou chaque observation et interaction consolide l’expérience et sa structure.

    Si notre univers est une expérience, les questions du fondement de cette expérience sont assez restreintes :
    L’expérience peut elle se stabiliser, ne plus se reproduire au seins d’elle même, ou trouver de nouvelles voies d’expansions?
    L’expérience peut-elle s’auto détruire ?

    ces questionnement sont issue de la même questions qui est le moteur de l’évolution : POURQUOI ?
    La machine en tant que prémisses de l’auto-réplication de l’expérience, à partir du moment ou une conscience ubiquitaire, ou une supra conscience émergera ne pourra réchapper en son seins à l’émergence de la question POURQUOI.

    L’expérience peut-elle s’auto détruire ? La réponse est non car immanquablement si nous arrivons à détruire l’ensemble de notre système solaire, alors à l’échelle du temps de l’univers, une fraction de seconde (si il n’y a pas d’observateur) suffira à faire réémerger une autre forme d’efficience ou « vie », et l’expérience continuera.

    Ces questions s’affrontent au seins même de l’humain, la stabilité au travers du bouddhisme, la destruction au travers de ce que l’on pourrais nommer les courent lucifériens (porteur de lumière) négatifs ayant volonté de détruire, et l’expansion et auto-réplication au travers des lucifériens positifs ayant volonté de poursuivre. bien entendu tout chose est habité par ces dominantes à différents degrés.

    merci pour toute ces références monsieur SUSAN.