Données personnelles : l’impuissance n’est pas le consentement

Les chercheurs Joseph Turow, Michael Hennessy et Nora Draper ont publié une très intéressante enquête qui souligne que le marketing a dénaturé la relation qu’il entretien avec les consommateurs sur la question des données personnelles. Le marketing nous répète que les consommateurs sont satisfaits de céder leurs données personnelles en échange d’offres personnalisées (tout comme les politiques “nous assurent que les citoyens sont prêts à renoncer à leur vie privée pour plus de sécurité”, ironise le sociologue Antonio Casilli sur Facebook), mais ce discours sous-entend un raisonnement fallacieux, celui d’un compromis, d’un arbitrage librement consenti et mutuellement avantageux pour les individus et les entreprises. Or, les consommateurs ne pensent pas que ce compromis soit équitable.

trade fallacy

Selon les chercheurs, le choix de fournir des informations personnelles à des commerçants ne s’explique pas par une mauvaise connaissance des tenants et aboutissants du commerce numérique. En fait, les gens qui en savent le plus sur les pratiques du marketing en ligne et comment celui-ci exploite leurs données sont plus susceptibles que les autres d’accepter de céder leurs données, lorsque ces scénarios sont transposés dans la vie réelle (et ce alors qu’ils montrent la réalité de l’intrusion qu’ils représentent – repensez à l’histoire du boulanger).


Vidéo : si votre boulanger était une application. Cette vidéo produite par une organisation de consommateurs danois montre les réactions des consommateurs quand leur boulanger leur demande les mêmes informations que bien des applications : « J’aimerais consulter les cinq derniers SMS que vous avez envoyés » ; « J’aimerais connaître votre numéro de téléphone » ; « Où étiez-vous hier à 20 heures ? » ; « Je viens avec vous pour voir où vous allez ».

Pour les chercheurs ce comportement ne peut s’expliquer que par la résignation. Plus qu’un compromis où chacun serait gagnant, le comportement du public montre plutôt qu’il est résigné et démuni.

“La démission du public se produit quand une personne pense qu’un résultat indésirable est inévitable et se sent impuissante à l’arrêter”.

“Plutôt que de se sentir capable de faire des choix, les Américains croient qu’il est futile de gérer ce que les entreprises peuvent apprendre à leur sujet. L’étude souligne que plus de la moitié des consommateurs américains ne souhaitent pas perdre le contrôle sur leurs informations, mais pensent aussi que cette perte de contrôle a déjà eu lieu”.

L’impuissance n’est pas le consentement.

Le sondage réalisé par téléphone par les chercheurs auprès de 1500 personnes montre ainsi que 55 % du public est en désaccord ou fortement en désaccord avec l’affirmation qu’ils se sentent à l’aise avec l’idée qu’un magasin où ils font leur course peut utiliser les informations qu’il a sur eux pour améliorer ses services à leur égard. 70 % sont en désaccord avec l’idée qu’un magasin surveille leurs activités en ligne en échange d’une connexion Wi-Fi dans le magasin. Et 91 % sont en désaccord avec l’idée que les magasins puissent recueillir des informations à leur insu en échange d’un rabais. A l’heure où de plus en plus d’entreprises envisagent d’utiliser des techniques mobiles dans leurs magasins, cette étude sur les attitudes des consommateurs face à la surveillance commerciale donne un autre son de cloche… que celui que promulgue notamment Facebook avec les beacons, ces balises qui veulent marier commerce physique et activité numérique.

84 % souhaiteraient avoir le contrôle sur ce que les commerçants peuvent apprendre à leur sujet. 65 % conviennent qu’ils ont au final peu de contrôle sur la surveillance commerciale.

Bien sûr, pour de nombreuses personnes, le fait que les services que l’on utilise se souviennent et apprennent de nos préférences est plus un avantage qu’un problème, rappelle le New York Times en revenant sur l’enquête, mais beaucoup d’entre eux comprennent mal les politiques de confidentialité. 58 % des consommateurs pensent, à tort d’ailleurs, que quand un site web a une politique de confidentialité, cela signifie que le site ne partagera pas leurs informations sans leur permission…

Exposés à la réalité de la surveillance, bien des gens sondés en refusent les offres. Ainsi 43 % des répondants ont dit qu’ils accepteraient un rabais si un supermarché gardait des enregistrements détaillés de leurs achats, mais seulement 19 % qu’ils les accepteraient si le supermarché pouvait les utiliser pour faire des hypothèses sur leur origine ethnique – et ce alors que beaucoup détiennent déjà ces données et qu’ils peuvent faire ce type de corrélation.

Tim Cook d’Apple soutient que les entreprises qui offriront aux consommateurs le plus de contrôle et montreront aux utilisateurs comment leurs données sont utilisées se différencieront de leurs concurrents. En attendant, la plupart des entreprises se comportement plutôt comme Uber, qui en juillet changera sa politique de confidentialité permettant à son application de se connecter aux données de localisation des utilisateurs, si l’application est lancée, comme si elle est en arrière-plan. C’est-à-dire qu’il saura quasiment tout le temps où sont ses utilisateurs, même quand ils n’utilisent pas son application.

Comme beaucoup d’utilisateurs de bien d’autres applications, il faudra se résigner à ce que nos données soient extraites par-devers nous ou refuser d’utiliser le service. Un choix qui n’est pas un choix puisqu’un consentement non explicite n’est pas un consentement.

Définitivement, l’impuissance n’est pas le consentement.

Hubert Guillaud

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  1. Pour Usbek&Rica, Cyril Fiévet revient sur notre contrainte à accepter les CGU. Il pointe également une étude qui montre que celles-ci enflent démesurément au détriment de la précision, montrant que la « politique en matière de protection de la vie privée est devenue moins informative au fil du temps, malgré la montée en flèche du nombre de mots utilisés pour la décrire ».