A la recherche de la conscience (2/2) : un phénomène de physique fondamentale ?

D’autres scientifiques cherchent eux aussi à intégrer la conscience dans leur théorie, mais descendent pour cela à un niveau encore plus fondamental : celui de la physique. C’est le cas du cosmologiste Max Tegmark qui dans Nautilus revient sur sa thèse selon laquelle la conscience pourrait être considérée comme un nouvel état de la matière. Max Tegmark est par ailleurs l’auteur d’un fascinant ouvrage, Notre univers mathématique, et il est aussi l’un des cosignataires de la fameuse « lettre ouverte » publiée dans le Huffington Post mettant en garde contre les risques de la « superintelligence ».

Une tresse dans l’espace-temps

Sa démonstration est assez complexe. Tegmark commence par rappeler sa théorie très platonicienne sur la nature mathématique de l’univers. Et de bien préciser qu’il ne s’agit pas de dire que le cosmos peut être décrit de manière mathématique, mais bel et bien qu’il EST mathématique. Pour exemple de cette réalité mathématique, l’espace-temps. Il s’agit d’un concept purement abstrait, ce n’est pas un objet, et pourtant il fonde toute la structure de la réalité.

braidUne chose ne peut être décrite simplement en terme de coordonnées spatiales, mais comme une espèce de « traînée », s’étendant le long de l’espace-temps. Pour un objet quelconque, par exemple un rocher, cette trajectoire est assez linéaire : la traînée ressemble à un gros tube. En effet, les atomes qui le constituent, une fois assemblés, vont avoir tendance à bouger très peu, et très lentement.

Pour un être vivant, c’est différent : les éléments qui le constituent sont en constant mouvement et interaction. De fait, il ressemble plus à une tresse spatio-temporelle, un entrelacs de différentes traînées. Mais, continue Tegmark, même la complexité du vivant « pâlit en comparaison aux modèles de traitement de l’information qui se déroulent dans votre cerveau. Vous possédez environ 100 milliards de neurones qui génèrent constamment des signaux électriques… ce qui implique des interactions entre des milliards de milliards d’atomes, notamment du sodium, du potassium, ainsi que des ions calcium. Les trajectoires de ces atomes forment une tresse très élaborée à travers l’espace-temps, dont l’enchevêtrement complexe correspond au stockage et au traitement de l’information d’une manière qui donne en quelque sorte naissance à notre sensation familière de la conscience de soi. Il y a un large consensus dans la communauté scientifique pour admettre que nous ne comprenons toujours pas comment cela fonctionne, il est donc juste de dire que nous, les humains ne comprenons pas encore pleinement ce que nous sommes. Cependant, grosso modo, on pourrait dire ceci : vous êtes un modèle dans l’espace-temps. Un modèle mathématique. Plus précisément, vous êtes une tresse dans l’espace-temps – en fait, l’une des tresses les plus élaborées connues. »

Des aspects quantiques à la conscience

Puisque nous sommes entrés dans le domaine particulièrement spéculatif des rapports entre la conscience et la nature de la réalité, où en est le fameux « serpent de mer » de la conscience quantique ? L’idée avait été popularisée il y a quelques années par le célèbre mathématicien et physicien Roger Penrose, avec l’aide de l’anesthésiste Stuart Hameroff. Sa théorie était que nous ne pourrions comprendre les aspects les plus sophistiqués de notre esprit si nous n’acceptions pas l’idée que dans la formation de nos états mentaux, certains phénomènes comme « l’intrication » (le fait que deux particules quantiques restent indéfiniment en interaction l’une avec l’autre quelle que soit la distance) et la superposition (le fait qu’une particule puisse se trouver dans deux états différents simultanément) entrent directement dans la fabrique de la conscience. Pour Penrose et Hameroff, de tels effets pourraient se produire au sein de notre cerveau à l’intérieur des « microtubules », des tubes de protéines assurant la structure des neurones. L’idée n’enthousiasma guère la communauté scientifique et la théorie tomba dans l’oubli. Il faut aussi reconnaître que voir Stuart Hameroff, scientifique réputé sérieux, s’acoquiner avec le gourou New Age Deepak Chopra (qui aime, lui aussi, à parler de « conscience quantique »), n’a pas aidé à son acceptation.

Pourtant, nous raconte le New Scientist, l’idée pourrait connaître une résurrection si l’on en croit Matthew Fisher, un spécialiste des propriétés quantiques de matériaux.

Fisher s’est intéressé aux effets stabilisateurs et calmants du lithium sur le cerveau, et particulièrement l’isotope Lithium-6 (un même atome peut exister sous la forme de plusieurs « isotopes » qui diffèrent par le nombre de neutrons présents dans le noyau). Une expérience sur les rats, qu’on avait divisé en deux groupes a montré que ceux à qui on avait injecté du lithium-6 se montraient plus actifs que ceux à qui on avait donné une autre variante, le lithium-7.

Quelle pourrait être la cause d’un telle différence sur le comportement ? La cause pourrait venir d’une propriété particulière, le « spin ». Imaginez que le spin décrit comment l’objet quantique tourne sur lui même (mais c’est une métaphore tirée de notre expérience quotidienne, il ne s’agit pas d’une rotation au sens littéral). En général, on dit qu’une particule tournant « dans le sens des aiguilles d’une montre » a une valeur de 0, et dans le « sens inverse » une valeur de 1. Mais c’est compter sans la logique étrange du monde quantique : l’objet peut tourner dans les deux sens à la fois et donc prendre des valeurs entre 0 et 1. Or il se trouve qu’un noyau d’atome possédant un spin de valeur 1/2, la plus basse possible, est capable de résister à la pression des champs électromagnétiques, qui entraînent la fameuse décohérence, ce cauchemar des ingénieurs en informatique quantique. Lors de la décohérence, l’objet perd ses capacités d’intrication et de superposition et se met à se conduire de manière « classique », comme dans notre vie quotidienne.

Or le lithium-6 possède un spin de 1, mais selon Fisher, il est capable, dans un environnement aqueux comme celui d’un organisme de « baisser » son spin à 1/2. Enfin, précise le New Scientist, le lithium ne se trouve pas à l’intérieur d’un être vivant, mais il existe un atome qui possède à peu près les mêmes propriétés : le phosphore. Celui-ci fait partie intégrante de molécules trouvées dans le cerveau, notamment dans le fluide extracellulaire de celui-ci.

Naturellement, comme le reconnaît Fisher, une telle idée reste très spéculative. Et la communauté scientifique reste sur ses gardes. Dans l’attente, Fischer ne prétend pas avoir trouvé là une clé de la conscience en tant que telle : il se concentre actuellement sur le traitement possible de maladies comme la dépression.

image: theoretical and computational biophysics group
image : theoretical and computational biophysics group

Hypothèse folle ? A première vue les thèses sur la conscience quantique sont une insulte au Rasoir d’Occam : la thèse selon laquelle il ne faut pas « multiplier les entités », autrement dit, que la meilleure hypothèse est celle qui ne repose pas sur la recherche de causes mystérieuses et extérieures agissant comme des « Deux ex machina », mais qui cherche au contraire à expliquer les phénomènes de la façon la plus élégante et simple possible. Aller chercher dans les quanta une explication au phénomène de la conscience au lieu de se concentrer avant tout sur la physiologie du cerveau pourrait être un parfait exemple d’un tel « Deus ex machina ». D’un autre côté, nous savons aujourd’hui, et c’est admis et reconnu, que des effets quantiques jouent un rôle dans la photosynthèse. Et Klaus Schulten a émis l’hypothèse – très étayée – que les rouges-gorges européens utilisent, lors de leur migration, un compas impliquant certains effets quantiques (je ne sais pas si cette théorie est universellement admise, mais elle semble en tout cas être reconnue comme crédible par le reste de la communauté). Alors pourquoi pas la conscience ? J’ai également été surpris de lire, dans les papiers (.pdf) du colloque ECAL sur la vie artificielle de 2011, Stuart Kauffman, le prophète de l’émergence mentionné dans l’article précédent, insister lui aussi sur la possibilité d’effets quantiques intervenant dans l’irruption de la conscience… Bref, rien n’est totalement définitif dans ce domaine.

Tout cela nous montre en tout cas que le débat sur la conscience est loin d’être clos. Et surtout, son rôle reste très flou : simple épiphénomène, conséquences d’interactions au niveau physiologique, physique, voire cosmique ? Peut-être pourrons-nous avancer lorsque nous aurons une définition un peu plus précise du terme !

Rémi Sussan

Le dossier « A la recherche de la conscience » :

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0 commentaires

  1. Bonjour,

    l’étymologie du mot Conscience, c’est « savoir en commun ».
    Des savoirs en communs, cela apporte d’autres niveaux de perception qu’une « addition de savoirs ».
    Cela permet par exemple d’évoluer dans l’espace de manière intelligente, c’est à dire en communiquant réciproquement, et en continu, sur ses positions respectives.
    La conscience est un moyen de communications réciproques, alors que le savoir est un moyen de survie de base…

    1. tout a fait le cerveau parait fonctionner de façon coopérative entre ses différent cartes internes

  2. A Benoit

    On parle bien de coopérative de savoirs.

    Expression mis en toute conscience.