Suède : que construisent les services publics numériques ?

L’année dernière, la 10e édition de Lift avait été secouée par la présentation de Russell Davies sur l’innovation dans les services numériques du gouvernement britannique. Kristin Heinonen (@kristinheinonen), analyste de tendance numérique à Medievärlden Premium, une société de conseil suédoise, était chargée cette année de faire la même chose pour nous présenter les innovations numériques du gouvernement suédois. C’était certainement un peu moins décoiffant, mais ça restait très intéressant.

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Image : Kristin Heinonen sur la scène de Lift, photographiée par Ivo Naepflin.

La Suède est le pays d’entreprises que vous connaissez tous, comme H&M, Ikea, Spotify, Skype ou Minecraft… Mais le pays connaît d’autres succès dont on n’entend moins parler. La Suède et l’un des pays les plus connectés du monde… où 90 % des habitants ont un accès à haut débit, ou tout autant payent leurs déclarations d’impôts en ligne, et où 70 % des adultes accèdent aux services de l’Etat en ligne et plus de 50 % utilisent des systèmes de paiement en ligne. La moitié de la population utilise Swish, un service universel de paiement mobile qui a moins de 3 ans, qui permet d’échanger de l’argent depuis son mobile.

Pour comprendre le succès du numérique en Suède, il faut revenir aux années 90, explique Kristin Heinonen. Quand le gouvernement et les grandes entreprises suédoises ont décidé de déployer le haut débit et de faire de la Suède un acteur de l’usage des nouvelles technologies. L’enjeu alors n’était pas seulement de déployer des outils pour les affaires, mais également de déployer des outils pour servir et interagir avec les citoyens. Dans les années 90, les ordinateurs étaient encore très chers, peu nombreux… L’une des grandes réformes de l’époque a été la possibilité de louer un ordinateur domestique à un prix très bas. Quelque 2 millions de Suédois en ont profité. Tant et si bien qu’en 1996, l’accès à internet était le cadeau de Noël numéro un en Suède. C’est assurément ce qui a permis de développer les premiers usages, les premières formes d’appropriation dans toutes les tranches d’âges de la population suédoise. Entre 1995 et 2005, l’accès internet est passé de 2 % à 95 % de la population.

Le Fisc suédois a lancé son premier site web en 1996 et en 2002, il a lancé un service permettant de déclarer ses revenus par SMS, via un simple identifiant et la somme de ses revenus. Aujourd’hui, 72 % des Suédois déclarent leurs impôts via des outils numériques. En 2011, le fisc a lancé une application, qui chaque année bat des records d’utilisation. La combinaison d’utilisateurs précoces et d’une forte confiance dans les autorités a permis aux services publics numériques de se développer rapidement et fortement.

Vous le savez peut-être, en Suède, les congés parentaux sont assez généreux, explique Kristin Heinonen au public de Lift, en montrant les superbes photos de Johan Bäveman sur les pères Suédois qui valorise les pères qui prennent leurs congés parentaux pour s’occuper de leurs enfants. Historiquement pourtant, la procédure de demande d’allocation de congés parentaux et de congés enfants malades était compliquée. Depuis 2012, le service a lancé une application d’une grande simplicité permettant de faire une déclaration en quelques clics et d’être dédommagé en 2 jours. Aujourd’hui, 90 % des bénéficiaires l’utilisent. Si ce service était difficilement joignable par téléphone, ils ont lancé une page Facebook pour répondre aux questions des parents qui connaît un très grand succès.

« Bien sûr, tout n’est pas encore parfait en Suède. Certains services sont encore difficiles d’accès. Beaucoup de services publics numériques sont encore compliqués à utiliser. Mais quand on voit des agences gouvernementales embaucher des designers, on se dit qu’il y a là un pas dans la bonne direction. Si les agences ont besoin de designers, c’est parce que les attentes des usagers changent. Les citoyens demandent des fonctionnalités. »

Kristin Heinonen revient bien sûr sur le stimulant exemple britannique, qui a simplifié l’usage des services en ligne, permettant par exemple de demander un nouveau passeport quand on se l’est fait voler ou qu’on l’a perdu, depuis son téléphone. Le nouveau site Gov.uk, centré sur l’utilisateur, aurait permis au gouvernement britannique d’économiser quelque 61 millions de livres en 2015. La Suède n’a pas de tels chiffres à avancer, certainement parce que son processus de transformation a été moins concentré. Cela n’empêche pas le pays de continuer à innover, nous explique Kristin Heinonen en évoquant Kry.se, une application lancée par une clinique privée en coopération avec le ministère de la Santé, qui permet aux habitants de Jönköping de joindre leur médecin en vidéo.

« A l’avenir, beaucoup de pays vont commencer à ressembler à la Suède ». Le Fisc suédois reçoit des visites des services publics du monde entier qui viennent s’inspirer de ses réalisations. Mais l’avenir de la simplification des procédures repose sur l’intégration de l’intelligence artificielle aux services publics, conclut Kristin Heinonen en évoquant Amy, une intelligence artificielle qui programme votre calendrier depuis vos e-mails. Demain, des assistants automatisés nous aideront à remplir nos déclarations fiscales ou tout autre document pour les services publics.

Pour Kristin Heinonen, plus qu’un enjeu de réduction des dépenses publiques, ou de satisfaction des usagers, la transformation des services publics a d’abord un impact sur la façon dont sont perçues les autorités. Tous les grands moments de nos vies sont marqués par des interactions avec les institutions publiques. Le design ne peut peut-être pas tout changer, mais il peut permettre au moins d’éviter l’abandon et d’ajouter de la dignité.

Pour l’analyste de tendance numérique suédoise, l’enjeu de la transformation des services publics n’est pas qu’une question de satisfaction ou de confiance, mais il est d’abord une question de dignité. « Quand les services publics offrent de grands services numériques, qui vous rendent plus informés, vous permettent de gagner du temps et résolvent vos problèmes, ils n’apportent pas seulement de la satisfaction, mais d’abord et avant tout un sentiment de dignité. Le bon fonctionnement des services publics élève le niveau de confiance mutuelle. Et ce sont ces relations-là – satisfaction, dignité, confiance – que tout gouvernement devrait chercher à construire entre lui et ses concitoyens. »

Hubert Guillaud

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  1. Il semble que dans cet exemple suédois, la dématérialisation totale s’accompagne surtout de davantage de numérique (intelligence artificielle, etc.) ; à la même heure, on parle en France du nécessaire retour en force de la médiation physique pour accompagner la dématérialisation totale en 2016 d’un certain nombre de services (impôts, inscription à Pole emploi, prime d’activité), qui risque de laisser sur le pavé un certain nombre de gens… D’où mes interrogations : a-t-on loupé le coche en France, manqué quelque chose dans l’accompagnement des usages et le basculement au tout numérique ? Focalise-t-on l’effort sur les mauvaises problématiques ? C’est un vrai sujet pour l’avenir des lieux de médiation et de services publics et privés, qui nous questionne dans l’expédition Softplace….