Radio logicielle, Radio révolution ?

Imaginez un téléphone portable capable de fonctionner partout dans le monde, de surfer sur la plupart des réseaux sans fil, et de se transformer en système de positionnement par satellite ou en téléviseur miniature. Ce terminal à tout faire devrait devenir une réalité grâce à la Radio logicielle (software-defined radio). Cette technologie permet de fabriquer des radios flexibles, capables de s’adapter aux différents standards en téléchargeant un simple logiciel. Longtemps réservées aux labos de recherche, ces radios « intelligentes » arrivent enfin sur le marché. Par Yann Philippin.

Imaginez un téléphone portable capable de fonctionner partout dans le monde, de surfer sur la plupart des réseaux sans fil, et de se transformer en système de positionnement par satellite ou en téléviseur miniature. Ce terminal à tout faire devrait devenir une réalité grâce à la radio logicielle (software-defined radio). Cette technologie permet de fabriquer des radios flexibles, capables de s’adapter aux différents standards en téléchargeant un simple logiciel. Longtemps réservées aux labos de recherche, ces radios « intelligentes » arrivent enfin sur le marché. Par Yann Philippin.

Quel est le point commun entre un téléviseur, un talkie-walkie, un téléphone mobile, un système de positionnement par satellite et une carte Wi-Fi pour ordinateur portable  ? Ce sont tous des radios, c’est-à-dire des machines capables de capter (et/ou d’émettre) des ondes électromagnétiques et de décoder les informations qu’elles transportent. Aujourd’hui, ce travail est assuré par des puces électroniques spécialisées, programmées à la naissance pour traiter une seule gamme de fréquences, selon un standard bien précis. Résultat  : les différents types de radios sont non seulement incompatibles, mais cantonnés à leur petite spécialité.

Mais une petite révolution se prépare  : la radio logicielle (software-defined radio, SDR), qu’on appelle aussi « radio reconfigurable » ou « radio intelligente ». Cette technologie utilise des puces généralistes, capables, comme leur nom l’indique, de passer d’un standard à un autre en choisissant le logiciel approprié. Un téléphone portable SDR pourrait ainsi accéder à tous les réseaux utilisés dans le monde. Les différents corps d’armée (marine, aviation, infanterie), seraient enfin capables d’utiliser leurs réseaux respectifs, ainsi que les services d’urgence (police, Samu, pompiers). Deuxième avantage  : les SDR pourraient s’adapter automatiquement aux nouvelles normes de communication sans fil, en téléchargeant le logiciel correspondant.

L’utilité de la radio logicielle devient de plus en plus évidente à mesure que les standards prolifèrent. La téléphonie mobile compte à elle seule trois normes deuxième génération (GSM, Cdma et Tdma), deux normes 2,5G (Gprs, Edge), et trois normes 3G  : le W-Cdma européen, le Cdma2000 américain, et le TD-Cdma chinois. Auxquels il faut ajouter Bluetooth, qui permet aux appareils électronique de communiquer à courte portée, ainsi que Wi-Fi, pour accéder aux réseaux locaux sans fils. Et d’autres se profilent déjà à l’horizon, comme la 4G, le Wimax, ou encore le 802.20. Fabriquer un téléphone Wi-Fi et Bluetooth nécessite donc au moins quatre puces radio différentes. « Or, les consommateurs réclament des téléphones de plus en plus multistandards, capables de répondre à leurs différents besoins, explique Seppo Aaltonen, directeur marketing chez Nokia. La SDR est donc très intéressante, à condition qu’elle soit viable économiquement. »

Ce n’est pas encore tout à fait le cas. « Il y a une pénalité à payer pour bénéficier de la flexibilité, explique Jason Delaney, chercheur au laboratoire anglais Roke Manor de Siemens (http://www.roke.co.uk). Une radio logicielle revient encore plus cher et consomme plus d’énergie qu’une puce spécialisée. Pour l’anecdote, l’un des premiers prototypes militaires a mis sa batterie à plat en quelques secondes. »

Mais universitaires et industriels travaillent dur pour faire disparaître ces inconvenients. Un vaste programme de recherche cofinancé par l’Union européenne a démarré au début de l’année : le projet européen E2R (http://www.e2r.motlabs.com). Le SDR Forum (http://www.sdrforum.org), le consortium de promotion de la radio logicielle basé aux Etats-Unis, compte déjà 128 membres, dont bon nombre de poids lourds (la Nasa, Toshiba, Orange, Boeing, Sharp, Motorola, etc).

Aujourd’hui, le produit le plus prometteur sur le marché s’appelle Sandblaster. Cette puce SDR, conçue par la start-up new yorkaise Sandbridge (http://www.sandbridgetech.com), est compatible avec la plupart des standards de téléphonie mobile 2G et 3G, mais aussi avec Bluetooth, Wi-Fi et le système satellitaire GPS. « Notre puce peut même assurer plusieurs connexions différentes en même temps, comme la 3G et Bluetooth, et consomme à peine plus que la puce spécialisée équivalente », affirme le PDG de Sandbridge, Guenter Weinberger. Il a reçu le soutien d’investisseurs de poids, comme le géant allemand des puces Infinéon (http://www.infineon.com) et le groupe Siemens, qui pourrait être le premier fabricant à intégrer la puce à ses téléphones. « Sandblaster sera complètement au point cette année et les premiers appareils seront disponibles en 2005 », estime Rudi Hamann, de Siemens Ventures.

D’autres start-up se sont lancées sur le créneau des puces reconfigurables, comme l’américaine QuickSilver Technologies (http://www.qstech.com) et l’anglaise Exilent, issue d’un labo de recherche de Hewlett Packard. Les multinationales ne sont pas en reste  : Infineon a racheté Morphics Technology (http://www.morphics.com), Philips a absorbé Systemonic (http://www.systemonic.com), et Motorola Morpho Technologies (http://www.morphotech.com). Mais le plus ambitieux est sans doute Intel. Il y a deux ans, le numéro un mondial des microprocesseurs a lancé le programme de recherche « Radio Free Intel » (http://www.intel.com/labs/radio/index.htm?iid=labs+radiofree_homepage&), qui vise à introduire une radio logicielle dans toutes ses puces. Sans oublier le projet GNU radio (http://www.gnu.org/software/gnuradio), dont l’objectif est de mettre au point un téléphone universel à base de logiciels libres.

Mais certains experts restent prudents. « Je pense que les téléphones classiques à bas coûts, vont continuer à dominer le marché, estime Peter Weichsel, responsable de la division technologie de Booz Allen & Hamilton à Berlin. Les fabricants sont soumis à une telle pression sur les prix que l’arrivée de la radio logicielle dans les téléphones me semble peu probable avant cinq ans. » Selon lui, le vrai potentiel de la SDR concerne les antennes relais, qui forment l’infrastructure des réseaux de téléphonie mobile. « La radio logicielle va considérablement réduire les coûts de maintenance et d’investissements des opérateurs . Je pense que la plupart des nouvelles stations de base seront équipées d’ici trois à quatre ans. »

Dans ce domaine, les sociétés les plus actives sont également des start-up, comme l’anglaise PicoChip (http://www.picochip.com) et l’américaine Airnet (http://www.aircom.com). Mais c’est Vanu (http://www.vanu.com), issue du prestigieux Massachusetts Institute of Technology (MIT), qui a développé la solution la plus originale  : une station de base bâtie autour d’un serveur standard fonctionnant sous Linux. « Un réseau cellulaire coûte tellement cher qu’un opérateur doit l’amortir pendant plusieurs années, ce qui freine l’innovation, explique le PDG, Vanu Bose. Avec la SDR, il sera beaucoup plus facile de tester puis de déployer de nouveaux services. » Les antennes-relais logicielles pourraient également apporter l’internet rapide dans les zones rurales. « Avec le Wimax, qui offre un plus longue portée que le Wi-Fi, une même station de base pourra à la fois gérer les communications des téléphones mobiles et fournir un accès internet sans fil là où l’Adsl n’est pas disponible », explique Jean-Louis Hurel, directeur marketing de la division radio d’Alcatel.

En attendant, les principaux utilisateurs de la SDR restent les militaires. Aux Etats-Unis, un programme baptisé Jtrs (Joint Tactical Radio System) doit fournir d’ici une quinzaine d’années des radios logicielles à l’ensemble des corps d’armée. « La Navy, l’Armée de l’air et l’Armée de terre ont tellement de systèmes différents qu’ils ne peuvent pas communiquer entre eux », explique Will Strauss, président du cabinet d’études américain Forward Concepts (http://www.fwdconcepts.com). General Dynamics (http://www.generaldynamics.com) a déjà livré 208 radios logicielles à la Marine et a remporté un contrat de 5,3 millions de dollars faire pour en faire évoluer 61 vers la norme Jtrs. En France, Thales (ex-Thomson CSF, http://www.thalesgroup.com) a remporté en janvier dernier deux contrats d’un montant global de 22 millions d’euros avec le ministère de la Défense, dont l’un porte sur la mise au point de radios logicielles compatibles Jtrs.

Enfin, le 11 septembre a démontré le potentiel de la SDR pour les services d’urgence. Dans de nombreuses villes américaines, les radios de la police, des pompiers et des ambulances sont incompatibles, ce qui peut se révéler lourd de conséquences en cas d’attentat. En France, les Samu des différentes régions ne peuvent pas utiliser leurs réseaux respectifs, et la police a délibérément choisi de déployer un système propriétaire, différent du standard européen Tetra. Vanu et Thales ont mis au point des prototypes capables de faire le lien entre les différents standards, qui permettront par exemple aux pompiers de demander un accès temporaire au réseau de la police.

A l’avenir, les radios logicielles seront capables de d’adapter automatiquement à leur environnement, et pourront « apprendre » à fonctionner de façon optimale. « Si le terminal et l’infrastructure sont tous les deux équipés de systèmes radio logiciels, il n’y a plus de limites, s’enthousiasme Vanu Bose. Le téléphone pourra contacter l’antenne et lui dire “Je veux passer un appel par visioconférence, mais je n’ai que telle réserve de batterie disponible“. L’antenne analysera le spectre, la météo, le niveau de saturation, et répondra  : “Le mieux, c’est que tu utilises cette fréquence et ce standard, voilà le logiciel nécessaire“ » A ce moment-là, la SDR méritera vraiment qu’on l’appelle « radio intelligente ».

Yann Philippin

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