Au milieu de la bacchanale de la perturbation, honorons les perturbés – New York Times

“Au milieu de la bacchanale de la perturbation, arrêtons-nous pour honorer les perturbés. Les rues des villes américaines sont hantés par les fantômes de librairies et de magasins de disques, qui ont été détruits par les plus grands voyous dans l’histoire de l’industrie de la culture.”

A mesure que la fréquence d’expression se développe, la force d’expression, elle, diminue, pleure le critique et philosophe Leon Wieseltier (Wikipedia) dans une tribune au New York Times en s’en prenant au numérisme. La discussion sur la culture est absorbée par la discussion des affaires. On mesure des phénomènes qui ne peuvent être mesurées. Les concepts économiques saccagent des domaines qui ne l’étaient pas. Là où était la sagesse, règne la quantification. Au-delà de son impact sur la culture, les nouvelles technologies pénètrent encore plus profondément l’identité de l’expérience, la cognition et la conscience. Le technologisme prend la place de la technologie, comme le scientisme remplace la science. “Le notion que les dimensions matérielles et que les interprétations non scientifiques doivent être traduits en compréhension scientifique et qualifier comme connaissance, est de plus en plus populaire à l’intérieur comme à l’extérieur de l’université, d’où les humanités disparaissent”. Qu’importe si l’argument le plus fort pour la défense des humanités n’est pas dans leur utilité, mais dans le caractère non utilitaire… Nous ne sommes pas en train de devenir transhumanistes. Nous sommes en train de devenir posthumanistes. Le posthumanisme choisit de comprendre le monde en termes de forces et de structures impersonnelles et de nier l’importance et la légitimité de l’action humaine. Et Leon Wieseltier d’inviter les intellectuels à réfléchir à la tyrannie de la technologie.

“Toutes les révolutions exagèrent et la révolution numérique n’est pas différente. Nous sommes encore dans le milieu de la grande transformation, mais ce n’est pas trop tôt pour commencer à exposer les exagérations et trier les continuités et les discontinuités. La charge de la preuve incombe aux révolutionnaires, et leur succès sur les marchés n’est pas une preuve suffisante. Les présomptions d’obsolescence, qui ne sont souvent rien de plus que des techniques marketing d’entreprises mastodontes, doivent être examinées scrupuleusement. (…) Le traitement de l’information n’est pas le but suprême auquel l’esprit humain peut aspirer, pas plus que la compétitivité dans une économie mondiale. Le caractère de notre société ne peut pas être déterminé par les ingénieurs.”

Comme le souligne Michel Serres, “notre maîtrise semble échapper à notre maîtrise. "Comment pouvons-nous dominer notre domination ?” Pourquoi chaque technologie est-elle utilisée avant qu’elle ne soit comprise ? Pourquoi vivons-nous toujours un décalage entre une innovation et l’appréhension de ses conséquences ? “Nous vivons dans ce délai, et c’est un bon moment pour garder la tête froide et réfléchir”.

Dans les médias par exemple, l’ivresse de l’expansion quantitative des plates-formes nous a détourné de la question de leur qualité. La révolution numérique ne peut pas se résumer à préférer les exigences du commerce à celles de la culture. Quand toutes les collections de toutes les bibliothèques auront été numérisées, que toutes les archives seront disponibles sur nos écrans, comment favoriser l’émancipation ?

“L’accessibilité universelle n’est pas la fin de l’histoire, seulement le début et les méthodes humanistes seront encore plus urgentes après la numérisation car nous aurons besoin d’aide pour naviguer dans ce fatras sans précédent. Les recherches par mots clefs ne fourbiront pas les contextes de ces mots clés. Les modèles révélées par ces recherches ne permettront pas d’identifier leurs propres causes et leurs propres raisons. Le nouvel ordre ne nous soulagera pas des anciennes charges” de l’humaniste.“Dans une société en proie à des théories et des pratiques qui aplatissent, rétrécissent, et refroidissent le sujet humain, l’humaniste est le dissident." 

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