La dématérialisation, facteur d’exclusion ? – Le Monde.fr

Une tribune lancée par Emmaüs Connect publiée sur LeMonde.fr (et également chez Emmaüs) et signée de nombreuses organisations et personnalités de l’internet revient sur le développement de la dématérialisation de nombreux services publics. 

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Le problème, souligne Emmaüs, est que cette modernisation des services publics, nécessaire et attendue, se fait d’une manière parfois exclusive. Pour nombre de services publics essentiels à chacun (inscription à Pôle emploi, prime d’activité, télédéclaration de revenus rendue obligatoire… auxquels on pourrait ajouter par exemple les déclarations d’Urssaf qui touche des entrepreneurs qui ne sont pas tous à l’aise avec le numérique), ce passage qui à tendance à devenir de plus en plus obligé, devient une double peine pour nombre de citoyens. “Pour les plus de cinq millions de citoyens qui cumulent précarité sociale et numérique, la numérisation représente un facteur d’exclusion supplémentaire". Rendre les services numériques, voire exclusivement numériques, nécessite de réfléchir activement alors aux formes d’accompagnement qui sont mises en place pour les exclus du numérique, pour ceux qui ne savent pas mobiliser ces compétences, qu’ils soient économiquement précaires ou pas. Les acteurs en question en appelle au financement et au développement d’une plateforme commune pour la médiation numérique aux services publics, à “un plan usages”. Pas sûr que cela suffise. Mais la question à le mérite d’être posée et nécessite certainement d’être étayée. Le développement des services publics numériques ne saurait être exclusif : la dématérialisation ne peut pas être obligatoire sauf à poser le conditions de son obligation, notamment celles qu’elle fait peser sur les structures d’accompagnement, qu’elles soient sociales ou pas. 

Parce qu’en 2016 la dématérialisation des services publics fait d’Internet un passage obligé pour accéder à ses droits et à sa citoyenneté, ces publics en difficulté affluent déjà vers les guichets d’aide sociale. Ils viennent chercher de l’aide pour s’inscrire aux services de la protection sociale ou pour actualiser leurs droits. Les effectifs étant insuffisants pour traiter ces demandes croissantes d’accompagnement, ils sont redirigés vers les associations de solidarité et auprès des professionnels de l’accompagnement social.

Une étude conduite en 2015 par Emmaüs Connect montre que l’action sociale subit de plein fouet la dématérialisation totale de services de première nécessité : 75 % des professionnels interrogés par l’association sont contraints à faire les démarches « à la place de » la personne qu’ils accompagnent. Pourtant, seuls 10 % d’entre eux déclarent être formés pour accomplir cette tâche. Les acteurs de la solidarité signalent que les équipes de bénévoles sont confrontées aux mêmes demandes, et au même manque de cadre et de solutions pour y répondre sereinement.

Pourtant, pour accompagner ces publics fragilisés par la dématérialisation, il existe de nombreuses initiatives publiques et associatives, portées par les acteurs de la solidarité ou de la médiation numérique. Ils sont, malgré leur engagement indéfectible, atomisés sur les territoires et dépendants de financements insuffisants. Au final, leurs réponses sont sans commune mesure avec la masse des personnes concernées par la précarité numérique et donc potentiellement en rupture de droits.

Convaincus que le numérique peut-être à la fois vecteur d’égalité des chances et source de développement économique, les signataires de cette tribune, saisis par l’urgence, souhaitent s’unir autour d’une grande initiative citoyenne qui vise à mettre l’action sociale, les médiateurs numériques, les acteurs publics, les opérateurs de la protection sociale, le secteur privé et même chaque citoyen en capacité d’accompagner les plus fragiles vers l’autonomie numérique. Pour moderniser, sans exclure.

Partout où l’enjeu est soulevé, chacun perçoit la profondeur du sujet : comment expliquer alors l’absence d’un plan national qui prendrait la mesure de l’urgence, et l’absence de ligne budgétaire associée ? Un plan « Usages » qui viendrait compléter le plan Très Haut Débit – 20 milliards d’euros d’ici à 2020 – et qui, au même titre que ce dernier, représenterait un véritable investissement, à la fois réaliste et salutaire, pour l’avenir.

Conscients de nos responsabilités, nous, signataires, nous engageons à nous organiser en formant des réseaux d’accompagnement au numérique sur le territoire. Ces réseaux sont déjà en partie existants : ce sont les nôtres, il faut les outiller, les démultiplier et les animer. C’est pour cette raison que nous plaçons une partie de nos espoirs dans le développement de ressources pédagogiques et de parcours de formation en ligne, gratuits et collaboratifs, autour desquels nous pourrons agréger nos forces et nos ressources.

Cette plate-forme Web pour le développement de la littératie numérique permettrait également à une communauté de citoyens, moins formelle mais néanmoins massive et solidaire, d’aider un ami, un parent, un voisin. Nous n’inventons rien, nous nous inspirons directement du succès de pays qui, de l’Australie à la Scandinavie en passant par le Royaume-Uni, ont investi dans cet outil indispensable d’éducation au numérique pour accompagner les publics fragiles à grande échelle. Un défi que nous relèverons collectivement, car nous avons tout et tous à y gagner.

La gazette des Communes revient quant à elle sur le récent colloque de la mission Ecoter qui soulignait l’importance d’accompagner les personnes en difficulté à l’heure de l’e-administration. Plusieurs participants ont visiblement souligné l’enjeu “de faire de la médiation numérique l’un des sujets de la politique de dématérialisation des territoires”. A l’heure où les Espaces publics numériques connaissent plutôt des coupes budgétaires, comme s’en alarme Vecam (et pas qu’à Paris), certains messages semblent difficile à avaler.

MAJ : @emmausconnect a lancé une campagne en ligne sur ce thème, baptisée WeTechCare ! 

Sur Vecam, Valérie Peugeot et Michel Briand signent une tribune énervée contre la dématérialisation des procédures administratives qui empêche nombre de gens d’effectuer les démarches administratives dont ils ont besoin et en faveur des lieux de médiation au numérique. 

Emmaüs ne lance d’ailleurs pas qu’une campagne en ligne, mais une startup solidaire et deux programmes de formation financés par… Google, souligne le Parisien, ce qui semble énerver nombre d’animateurs d’EPN et pas seulement, rappelle LeMonde.fr : “Le partenariat entre Emmaüs Connect et Google.org intervient dans un contexte particulier, alors que le fisc français réclame 1,6 milliard d’euros d’arriérés d’impôts au géant de l’Internet, et que les pouvoirs publics peinent à définir une stratégie pour garantir les droits des publics les plus fragiles.“ Comme le rappelle Valérie Peugeot : “Il ne faudrait pas que la prise en main des médiations numériques par des associations financées par l’économie numérique serve d’alibi à un désengagement de la puissance publique”.

Sur Facebook, Emmanuel Saunier de la Coopérative R2K, confie également son exaspération face aux marketing des projets d’inclusion numérique. 

“Aujourd’hui les professionnels de la médiation numérique sont en concurrence avec des profils ESSEC, HEC , SCIENCES PO et cette concurrence ne porte pas tant sur la qualité de l’action et de l’accompagnement, mais sur le mythe de faire mieux et moins chers grâce au numérique. C’est la promesse de tous ces dispositifs dont le maître mot est « changement d’échelle » à grands coups de millions de bénéficiaires potentiels.

Pour ceux qui comme nous on un peu de recul , et de métier, ces changement d’échelle évoquent des faillites et des échecs retentissants : Celle des centres de formation qui comme le CLAF, vendaient des formations au rabais pour avoir le plus de marchés publics, celle des 800 000 emplois dans les services à la personne dans l’accompagnement informatiques, celle des MOOCS ( 85 % de personnes inscrites ne finissent pas un cursus) etc. etc.”

Gérald Elbaz de MediaCité estime que le défi à venir consiste à construire l’articulation entre l’économie numérique et la médiation numérique

MAJ : A l’occasion des assises de la médiation numérique, le Conseil national du numérique pointe dans une tribune pour Libération pointe les effets d’exclusion sociale liée à une dématérialisation des services publics, sans accompagnement humain.

« Les structures associatives peuvent être des facilitatrices mais elles ne peuvent remplacer l’expertise fiscale, sociale, juridique, des agents des services publics. Elles ne peuvent être le réceptacle de toutes les difficultés de la relation entre l’usager et l’administration dématérialisée. Cela implique nécessairement le maintien d’une alternative humaine effective de la part des pouvoirs publics pour l’accès aux droits dont dépendent les plus précaires. Malgré un contexte budgétaire difficile, il est crucial de dégager des marges de manœuvre et d’y consacrer des ressources. Il ne s’agit pas de recréer les anciens guichets : les gains d’efficience permis par la transformation numérique des grands opérateurs publics peuvent être utilisés pour réinventer une médiation humaine décloisonnée, personnalisée, outillée et valorisée, destinée à garantir l’accès de tous aux droits et aux services essentiels, partout sur le territoire. »

MAJ : Agnès Maillard du Monolecte prend l’exemple très concret de son père, 85 ans, et montre combien ce dernier est démuni face à la multiplication des démarches qui ne peuvent se faire qu’en ligne. Et pose la question de savoir si cette bascule vers la dématérialisation résout la complexité ou favorise la productivité… Pour Agnès Maillard, « la société numérique est totalitaire » car elle s’impose à tous, même à ceux qui n’y ont pas accès.

« Ça a commencé à la Poste, quand mon père n’a plus pu acheter de timbres : « La dame au guichet m’a dit qu’elle ne pouvait plus m’en vendre, qu’il fallait aller à l’automate. Là, il y avait un jeune qui montrait comment ça marchait, je n’ai rien compris. Puis le jeune n’a plus été là. J’ai dû essayer tout seul, mais tu comprends, le temps que je lise tout, l’écran s’est effacé. Et même s’il n’y a personne qui attend au guichet, on refuse de m’en vendre normalement ». »

MAJ : Sur France Culture, Pierre Mazet, chercheur à l’Odenore, l’Observatoire du non recours aux droits, souligne que la dématérialisation des procédures administratives ne réduit pas l’exclusion, mais semble plutôt participer à l’aggraver. L’obligation de passer par le numérique rend pour nombre de publics, les choses moins accessibles. Enfin, la dématérialisation ne signifie pas pour autant simplification, comme on l’entend trop souvent : « Si l’accès aux droits peut être techniquement facilité par la dématérialisation, cela ne change rien à l’absence de simplification des droits en eux-mêmes ».

MAJ : Le Scam, cet abus de faiblesse numérique contre lequel rien n’est fait, explique Cyroul. Enfin, non, parfois, il y a quand même quelques actions d’envergure

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