Blockchain : un rêve technocratique totalitaire – Le Monde

Michel Bauwens (@mbauwens), théoricien de l’économie collaborative et fondateur de la Peer-to-peer foundation, règle son compte à la Blockchain sur Le Monde.fr : 

“La technologie n’est jamais neutre. C’est un terrain de conflit influencé par les imaginaires et les intérêts des personnes en charge de son design. La blockchain dérive ainsi d’une vision de l’homme très particulière : des individus autonomes passent des contrats entre eux. Ils n’ont pas besoin de collectif, de communauté. Et les contrats sont fondés sur une forme de propriété.

(…) La blockchain reste techniquement problématique, pour deux raisons. D’une part, pour créer de la confiance entre deux personnes, elle demande de vérifier l’intégralité du réseau. C’est loufoque ! A cause de l’énergie dépensée, mais aussi en termes de confiance humaine.

Le deuxième danger tient au fait que la blockchain est une organisation automatique. Prenons cette fois-ci l’exemple hypothétique d’un marché de l’assassinat. Avec les contrats intelligents de la blockchain, il fonctionnerait sans personne aux manettes. Si vous avez misé tant d’argent et que cette personne disparaît, la somme est versée sur votre compte. Il devient alors intéressant de financer des assassinats. Il serait difficile d’arrêter ce programme car il vivrait de façon autonome, hébergé sur plusieurs serveurs à la fois. La police ne pourrait pas dire : « Qui sont les responsables ? »

(…) “Nous sommes de plus en plus dirigés par des choix techniques qui n’ont été soumis à aucun débat démocratique. Les règles sont intégrées dans des plates-formes utilisées au quotidien, qui manipulent nos comportements.”

MAJ : sur le site de la P2P Foundation, Michel Bauwens revient sur l’interview publiée par Le Monde et précise son propos : “avec la blockchain, on est dans une vision “trustlessness” où, puisqu’on ne peut pas faire confiance à l’humain, on déporte cette confiance dans la technologie. L’idée sous-jacente est que les individus sont séparés, et qu’ils font société en créant des contrats basés sur la confiance en un algorithme plutôt que dans l’humain.Mon propos était donc simplement d’attirer l’attention sur ces valeurs sous-jacentes. Mais ce n’est pas parce qu’une technologie a un design basé sur des valeurs critiquables qu’elle ne peut pas être changée.”

(…) “La technologie se construit sous forme de couches successives.

Par exemple, internet a d’abord été inventé par les militaires qui voulaient créer une technologie capable de résister à la destruction de la chaîne de hiérarchie grâce au design peer-to-peer. Puis les scientifiques et les activistes se sont emparés de cette technologie pour communiquer entre eux. En 1993, la technologie est sortie des sphères élitistes pour se démocratiser grâce aux navigateurs. Et enfin le commerce s’est aperçu du potentiel de cette technologie et l’a rendue beaucoup moins pair-à-pair pour en tirer des profits.

La blockchain est peut-être, à cette échelle, la deuxième couche après internet qui va permettre de faire baisser le coût d’auto-organisation des humains.”

(…) “Une fois qu’on a bien conscience des catastrophes potentielles du “tout automatisé” et du “tout distribué”, on peut imaginer que la blockchain soit localement mise au service de buts émancipateurs pour des communautés. (…) De mon point de vue, le plus grand potentiel de la blockchain réside dans la création de chaînes logistiques participatives et ouvertes. On peut ainsi imaginer une économie circulaire et ouverte où les transactions seraient simplement vérifiées par la blockchain.”

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