La participation sans le discours – EspaceTemps.net

Le sociologue Mathieu Berger, spécialiste de la prise de parole profane dans les discussions publiques, s’intéresse aux modes de participation qui sont laissées aux habitants dans les processus délibératifs. Dans un article de recherche que vient de publier Espace Temps, il rappelle que le plaidoyer pour une communication démocratique plus inclusive a longtemps cherché à dépasser le discours construit et rationnel de l’argumentation, pour permettre à d’autres formes de participation de s’exprimer. C’est désormais le cas : visites, reportages vidéos ou photos, expositions de dessins, ateliers, jeux de rôles… sont devenus des outils des organisateurs et animateurs de le participation. Le problème, c’est qu’en lieu et place d’un enrichissement des processus de communication, on assiste plutôt à un tournant où l’image profane se substitue au discours, éludant avec elle les prétentions d’articulation, de problématisation, de synthèse ou de généralisation des participants ordinaires. Plus qu’une inclusion, c’est à une exclusion des discours auxquels on assiste. “Faire participer le citoyen, c’est faire taire son discours”. Plus qu’une question de capacité, bien souvent c’est une question de légitimité ou d’autorisation qui vise à faire taire certains types de discours au profit de celui des professionnels, qui seuls ont droit à la scène, contrôlent les temps de parole, les équipements… Parmi les exemples mentionnés, Mathieu Berger évoque FixMyStreet, qui laisse aux participants le droit de mettre des photos et courts commentaires, qui seront validés par un modérateur qui s’assurera du caractère légitime et véritable du signalement et qui distingue clairement les problèmes signalés de ceux traités. Pour Mathieu Berger, les processus de participation visent à  la “désubjectiver”, la “dépolitiser”… Ils remplacent le discours par la figuration, c’est-à-dire à utiliser des objets, supports non langagiers… 

Mathieu Berger ne plaide pas pour l’abandon de ces méthodes, mais souhaite attirer l’attention sur la réduction sémiotique que l’on observe dans les pratiques participatives. “Ce qui est problématique, ce n’est pas tellement que des citoyens participent à partir d’énonciations centrées sur l’iconico-indexique. C’est plutôt la banalisation de l’idée que ces modalités expressives leur conviendraient mieux.”

Dans leur introduction à un récent dossier sur les usages participatifs de la photographie et de la vidéo, Cécile Cuny et Héloïse Nez présentent celles-ci comme des "instruments de pouvoir ambivalents : aux mains des élites, elles consacrent leur pouvoir ; appropriées par les groupes sociaux dominés, elles peuvent contribuer à subvertir les hiérarchies” . Notre enquête aura peut-être permis de montrer que, dans bon nombre de dispositifs participatifs, l’appropriation par « les groupes sociaux dominés » des moyens de l’image, ou en tout cas leur limitation à ces moyens, contribue aussi à consacrer le pouvoir des élites et à protéger les hiérarchies. (…) Aux professionnels de la politique et aux spécialistes de la ville, le discours sur les biens communs, l’analyse des problèmes urbains et les dispositifs de représentation conventionnels ; aux simples participants les métaphores, les post-it et les gommettes.“

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