Envisager le futur est-il ce qui nous distingue des autres espèces ?

Qu’est-ce qui nous distingue des autres animaux ? Le langage ? Notre capacité à créer et utiliser des outils ? La coopération ? La culture ?… Si chacune de ces réponses a été apportée, aucune n’est spécifiquement propre à notre espèce.

Homo ProspectusPour certains scientifiques, ce qui nous distingue des autres espèces serait notre capacité à envisager le futur, expliquent le journaliste John Tierney et le psychologue Martin Seligman – coauteur de Homo Prospectus et fondateur du Centre de psychologie positive de l’université de Pennsylvanie (Wikipédia) – dans une tribune pour le New York Times.

Plus que des Homo Sapiens, nous serions donc plutôt des Homo Prospectus, car nous prospérons en considérant les perspectives qui sont les nôtres – et ce serait d’ailleurs cela qui nous rend « sage » et nous distingue des autres espèces. Regarder l’avenir est une fonction centrale de notre cerveau, avancent-ils. « Le comportement, la mémoire comme la perception ne peuvent être compris sans apprécier le rôle central de la prospection. Nous apprenons non en stockant des enregistrements statiques, mais en retouchant continuellement des souvenirs et en imaginant des possibilités futures. Notre cerveau ne voit pas le monde en traitant chaque pixel dans une scène, mais en se concentrant sur l’inattendu. Nos émotions elles-mêmes sont moins réactives au présent que des guides pour nos comportements futurs. » La dépression désormais n’est plus tant considérée comme liée aux traumatismes passés et aux tensions présentes, que comme une divergence de vision par rapport à ce qui nous attend… expliquent-ils.

Notre culture ne s’est développée que par anticipation… « Nous faisons des sacrifices aujourd’hui pour gagner des récompenses demain, que ce soit dans cette vie ou dans l’au-delà promis par tant de religions ». Une étude par exemple a demandé à 500 personnes d’enregistrer leurs pensées et humeurs, montrant que nombre d’entre celles que nous avons dans la journée sont plus tournées vers le futur que le passé… et que la prise en compte d’événement passé est souvent utilisée pour voir ses implications futures. Lorsqu’on planifie quelque chose, nous serions moins stressés, notamment parce que la planification transforme une masse chaotique de préoccupations en une séquence organisée, nous permettant d’introduire de la cohérence dirait Daniel Kahneman. Si nous avons tendance à envisager ce qui pourrait mal tourner, nous aurions deux fois plus de réflexions positives sur ce que nous espérons que de réflexions inquiètes. Plusieurs études ont montré que les personnes déprimées s’écartent de la norme par leur tendance à imaginer moins de scénarios positifs en surestimant les risques futurs.

La fluidité de la mémoire – qui, au lieu d’enregistrer fidèlement le passé, réécrit en continu les choses – peut sembler un défaut, mais en fait c’est une fonctionnalité dont le but est d’améliorer notre capacité à faire face au présent et plus encore à l’avenir, estime Martin Seligman. « Pour exploiter le passé, nous le métabolisons en extrayant et en recombinant les informations pertinentes pour nous adapter à de nouvelles situations ».

Le but principal des émotions est de guider les comportements futurs et les jugements moraux pointent certaines études (.pdf), selon les spécialistes de ce que l’on appelle désormais la « psychologie prospective« . Les émotions permettent par exemple de faire preuve d’empathie avec les autres pour mieux prédire leurs réactions et s’y adapter.

Reste que si le futur nous obsède, nous ne sommes pas pour autant obsédés par la mort, certainement parce que nous savons qu’il n’y a rien qu’on puisse faire contre elle. Regarder devant nous implique assurément de ne pas regarder trop loin ou de ne pas regarder le pire.

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