Faut-il enseigner le jeu de rôle aux IAs ?

Beth Singler (@BVLSingler) le confesse dès les premières lignes de son article pour Aeon : cette anthropologue sociale est également une fan de Donjons et Dragons… Ce qui l’amène se demander pourquoi on n’entraîne pas les IA à jouer à ce jeu plutôt qu’aux Échecs ou au Go.

Ce n’est bien sûr qu’une expérience de pensée, continue Singler (et de fait, créer un logiciel capable de jouer à D&D se heurterait immédiatement à une difficulté majeure que Beth Singler ne prend pas la peine de mentionner, probablement parce qu’elle est évidente : il faudrait y intégrer un super chatbot capable de comprendre aisément les propos du meneur de jeu et de ses partenaires, et de soutenir une conversation complexe !), mais elle nous permet de redéfinir la façon dont nous concevons l’intelligence.

Tout d’abord, D&D demande, de la part des joueurs, une grande flexibilité d’esprit : selon les parties, ils peuvent être amenés à jouer divers rôles, celui d’un elfe, d’un paladin ou d’un voleur. Or « les chercheurs en IA savent qu’il est très difficile d’obtenir un algorithme suffisamment bien entrainé pour être capable d’appliquer ses compétences à plusieurs domaines mêmes légèrement différents – quelque chose que nous, les humains, gérons étonnamment bien. »

Ensuite, D&D implique une intelligence incarnée. Les joueurs se retrouvent autour d’une table, à interagir avec une histoire, et leurs réactions physiologiques, leurs signaux non verbaux, jouent un rôle non négligeable dans le déroulement de la narration. Or, précise Beth Singler, « nous accordons peu d’attention à l’incarnation des agents artificiels, et à la façon dont cela pourrait affecter la manière dont ils apprennent et traitent l’information ».

De plus, jouer à un jeu de rôle implique une intelligence sociale, savoir s’intégrer dans un groupe, une « compagnie », être capable de collaborer…. « Une IA qui pourrait s’impliquer dans une narration sociale s’avère sans doute une base de recherche plus sûre et plus multifonctionnelle qu’une autre qui joue aux échecs ; de plus, il n’y a aucune garantie que les échecs puissent même constituer un pas dans la bonne direction pour élaborer une telle intelligence », rappelle l’anthropologue.

Mais le plus curieux, se demande-t-elle, reste la question de savoir pourquoi les chercheurs de ce domaine se sont si peu intéressés aux jeux de rôle. Ce n’est en tout cas pas par ignorance de l’existence de ces jeux, car, rappelle-t-elle, « D&D a été une icône de la culture technologique pendant les années 1980 et une source d’inspiration pour de nombreux jeux informatiques en mode texte, comme le soulignent Katie Hafner et Matthew Lyon dans Where Wizards Stay Up : The Origins of the Internet (1996). Même aujourd’hui, les chercheurs en IA qui jouent à des jeux pendant leur temps libre mentionnent souvent D&D. »


Image : jeu de rôle version XKCD

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