Le retour de l’informatique analogique

Pour cette nouvelle année 2019, l’historien des sciences Georges Dyson a écrit un curieux essai pour le fameux site des « digerati », edge.org. Pour lui, nous assistons à un retour de l’ordinateur analogique, qui constituera la prochaine révolution technologique.

Rappelons que la technologie analogique repose sur les ondes (comme dans les vieux téléviseurs à tube cathodique) et se base sur la notion de « plus ou moins » tandis que le numérique repose sur les notions de « oui » et de « non ». Comme l’écrit Dyson : « Les ordinateurs numériques traitent des nombres entiers, des séquences binaires, de la logique déterministe, des algorithmes, ainsi que du temps conçu comme une séquence d’événements discrets. Les ordinateurs analogiques traitent de nombres réels, d’une logique non déterministe et de fonctions continues, et du temps tel qu’il existe dans le monde réel, comme un continuum. En informatique analogique, la complexité réside dans la topologie et non dans le code. »

Cette différence de conception entraîne d’importantes conséquences : « L’informatique numérique, intolérante aux erreurs et aux ambiguïtés, dépend de définitions précises et d’une correction d’erreur à chaque étape. L’informatique analogique tolère non seulement les erreurs et les ambiguïtés, mais s’en nourrit. »

Selon Dyson, l’histoire des ordinateurs a commencé lorsqu’on a utilisé des composants analogiques en surplus de la Seconde Guerre mondiale, pour les assembler de manière à créer les premiers ordinateurs numériques. La révolution technologique à venir ira exactement dans le sens inverse. On assemblera des ordinateurs numériques pour en créer de plus puissants, analogiques.

Mais qu’on n’aille pas imaginer cela littéralement comme la création d’un nouveau type de machine. Pour Dyson, cette révolution est en effet déjà en cours, et ce retour à l’analogique s’exprime sous la forme des entreprises qui produisent, contrôlent et diffusent l’information. Ce sont elles, ces nouveaux « ordinateurs analogiques » : « Ces nouvelles organisations hybrides, bien que construites sur des ordinateurs numériques, fonctionnent comme des ordinateurs analogiques à une vaste échelle mondiale. Elles traitent l’information sous forme de fonctions continues et traitent les flux de bits de la même manière que les tubes cathodiques traitent les flux d’électrons ou que les neurones traitent l’information dans un cerveau. »

Conséquence de cette révolution invisible, plus personne n’est aux manettes. On croit encore avec naïveté que les algorithmes sont en charge, ou même, les programmeurs qui les développent. Mais aujourd’hui, ces structures économiques sont largement devenues indépendantes. Elles ne se contentent pas de décrire la réalité sous la forme de modèles, elles construisent cette réalité.

« Le moteur de recherche n’est plus un modèle de connaissance humaine, il devient la connaissance humaine. Le réseau social performant n’est plus un modèle du graphe social, il devient le graphe social. »

On comprend que cet « effet de miroir » à l’infini puisse aisément échapper à tout contrôle ! Il est bien difficile du coup pour des institutions traditionnelles de comprendre, prédire ou réguler ces « machines » économiques. « Les gouvernements, attachés à des modèles et à des systèmes de contrôle obsolètes, se retrouvent laissés en arrière ».

La vision de Dyson est assez proche des conceptions de Danny Hillis sur l’âge de l’intrication. On ne peut non plus s’empêcher de penser aux réseaux neuronaux de « deep learning », dont les résultats (justes ou faux) sont produits de manière incompréhensible. Mais là, il ne s’agit plus d’un logiciel, d’une machine, mais de notre environnement social global. Peut-être est-ce là une revanche de la Nature, qui nous montre ainsi l’inanité de toute tentative de contrôle ?

« La prochaine révolution verra l’ascension des systèmes analogiques avec lesquels se terminera la domination de la programmation numérique. La réponse de la Nature à ceux qui ont cherché à la contrôler à l’aide de machines programmables a consisté à nous permettre de construire des machines dont la nature dépasse tout contrôle programmable. »

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