L’enfer de la maison intelligente

Sur Gizmodo, la journaliste Kashmir Hill (@kashhill) raconte comment elle a décidé de transformer son petit appartement de San Francisco en maison connectée. Elle s’est équipée d’un assistant vocal Echo d’Amazon, de lumières connectées, d’une cafetière connectée, d’un roomba, a branché sa brosse à dents, sa télé, son lit, un cadre photo… Un peu tout ce qui est disponible sur le marché. L’enjeu était de regarder ce que sa maison pourrait lui apprendre. Avec l’aide d’un collègue artiste et ingénieur, Surya Mattu (@suryamattu), elle a enregistré toutes les données que ces appareils échangeaient avec l’extérieur.

Le premier constat que la journaliste a tiré de cette expérimentation est que ces objets ont été une « source constante d’agacement ». Vivre dans une maison intelligente est exaspérant. Il lui a fallu télécharger 14 applications différentes sur son téléphone pour faire fonctionner ces appareils. Les configurer reste chronophage, notamment parce qu’ils ne sont pas toujours conçus pour discuter les uns avec les autres, au contraire ! Par exemple, elle a passé du temps à configurer Alexa pour qu’il allume une guirlande de Noël à la demande. Mais du jour au lendemain, cette configuration a cessé de fonctionner. Autre problème : il fallait demander tous les soirs à Alexa d’éteindre les lumières les unes après les autres (« Alexa, éteint la guirlande », « Alexa était la lumière du salon »…) : ce qui est bien plus ennuyant que de les éteindre à la main !

Faire travailler ensemble différents appareils de différentes marques signifie en fait que ça prend bien plus de temps à faire que de le faire à la main !

Autre problème bien sûr : la difficulté de connecter les appareils entre eux ! Impossible par exemple de connecter sa machine à café avec Alexa d’Amazon, tant et si bien qu’il lui a fallu en changer. Mais le modèle qui fonctionnait avec Alexa ne fonctionnait pas avec le capteur de son matelas ni avec ses prises électriques connectées : donc impossible de déclencher automatiquement son café au saut du lit ! Sans compter que le capteur vocal d’Amazon avait du mal à reconnaître le nom de la machine à café… tant et si bien qu’il était le plus souvent plus simple de se lever pour se faire le café !

Si Kashmir Hill a beaucoup apprécié son aspirateur autonome, notamment parce qu’il faisait très bien son travail, celui-ci n’a cessé de la harceler sur son téléphone, lui envoyant des notifications dès qu’il était coincé ou plein ! « Je pensais que ma maison prendrait soin de moi », alors qu’en fait, elle était plus sollicitée encore par les choses connectées qui lui demandaient de prendre soin d’elles !

En ce qui concerne la vie privée, l’analyse des données s’est révélée préoccupante. Les interrupteurs électriques connectés permettant de faire fonctionner les lumières à distance n’ont pas cessé d’envoyer des informations à l’extérieur, et pas seulement quand on les faisait fonctionner. La caméra de sécurité connectée a pris une vidéo d’elle se promenant nue dans son salon pour l’envoyer dans le cloud ! Celle-ci envoyait d’ailleurs constamment de grosses quantités de données. Pareil pour la télé !

Dans ce panoptique familial infernal, la conclusion qu’en tire Kashmir Hill, c’est que notre surveillance à l’heure de l’internet des objets ne va pas cesser de s’étendre. En analysant les données envoyées par ses objets, sont collègue savait quand ils se levaient, se couchaient, quand ils regardaient la télé ou quand ils se brossaient les dents. Pour lui, l’aspect le plus inquiétant a été de constater en fait que « tous les appareils téléphonaient chez eux tous les jours, même s’ils n’avaient pas été utilisés » (et pour Amazon Echo, la connexion aux serveurs d’Amazon se fait même toutes les deux minutes !). L’ingénieur était capable de voir quand la maison était vide, car la quantité de données était ralentie mais jamais inexistante. Son constat est assez clair : la maison connectée s’apprête à créer de nouveaux flux d’information, un open-bar sur vos données !

« Tous les appareils connectés téléphonent constamment à leurs fabricants. Vous ne serez pas au courant que ces conversations se déroulent à moins que vous soyez techniquement avertis ou que vous surveillez votre routeur comme nous l’avons fait. Et même si vous l’êtes, parce que les conversations sont généralement chiffrées, vous ne serez pas en mesure de voir ce que vos affaires disent de vous. Lorsque vous achetez un appareil intelligent, il ne vous appartient pas seulement : vous en partagez la garde avec la compagnie qui l’a fabriqué ! »

De quoi relativiser pleinement le fameux adage : « si c’est gratuit, c’est vous le produit ! » Car si c’est payant, c’est vous aussi !

MAJ : Dans une interview pour le Linc de la CNIL, les chercheurs du laboratoire Sense d’Orange, Julia Velkovska et Moustafa Zouinar, qui étudient l’usage des assistants vocaux remarquent qu’il n’est pas simple de parler aux assistants vocaux. Demander quelque chose de simple, comme la météo, nécessite souvent de répéter plusieurs fois l’énoncé. Ces systèmes emblématiques de l’IOT nécessitent un « véritable travail de l’utilisateur », des efforts qui vont de la reformulation, à parler plus fort ou à se rapprocher de l’objet. « Plus le système fonctionne correctement et plus les utilisateurs ont tendance à parler naturellement et plus cela risque de conduire à l’échec du dialogue ». Le problème est que les utilisateurs ne connaissent pas les limites de ces assistants qui sont promus sous l’illusion d’une conversation naturelle. Les enfants ou les adultes avec accent ont souvent du mal à se faire entendre de ces appareils, ce qui génère frustration et exclusion.

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