Safety Check : entre individualisation et dépolitisation

Tausif Noor (@tausifnoor), étudiant spécialiste d’art visuel, de politique et d’histoire de l’art, pour Real Life, revient sur le Safety Check de Facebook (Wikipédia), cet outil présenté par FB comme un outil de réassurance… pour aider ses utilisateurs à communiquer avec leurs proches en cas d’événement grave (catastrophe naturelle ou catastrophe d’origine humaine). Mais Safety Check, cet outil d’alerte quasiment régalien, qui vient concurrencer les services d’alerte et d’information des populations organisées par les autorités, est-il un objet pour rassurer les siens ou pour les inquiéter, se demande Tausif Noor.

Entre 2014 et 2016, FB a déclenché plus de 30 fois son Safety Check, mais a été vertement critiqué du fait de ses décisions sélectives à le déclencher (voir notamment notre article « Safety Check : par qui souhaitons-nous être protégés ?« ). Depuis juin 2016, il a modifié son système d’alerte en l’automatisant : Safety Check se déclenche désormais automatiquement quand des mots clefs du type « tremblement de terre », « tirs » ou « coups de feux » s’échangent de manière concentrée entre les utilisateurs du réseau social géolocalisés dans un endroit particulier, comme l’explique Alfred Ng pour Cnet. Depuis juin 2016, l’outil a été déclenché quelque 335 fois à travers la planète… Safety Check a changé d’échelle.

Pour Tausif Noor, s’il est nécessaire de comprendre si Facebook prend prétexte de moments de crises – quelque soit leur sévérité, avérée ou non -, pour développer et renforcer son emprise sociale sur les utilisateurs… le vrai problème de cette fonctionnalité d’alerte consiste à recontextualiser un évènement dans sa seule signification individuelle. L’événement, quel qu’il soit, est pris dans son seul contexte individuel, replaçant ceux qui sont pris par l’événement dans leurs réseaux traditionnels plutôt que dans les réseaux de l’événement lui-même. En fait, Tausif Noor se demande si FB n’instrumentalise pas ainsi les événements que vivent les gens, tout en les dépolitisant. Le modèle du contrôle de sécurité, du signalement d’absence de danger que cristallise le Safety Check ne permet-il pas finalement de filtrer les événements, mais aussi les gens dont on s’inquiète et donc ceux dont on ne s’inquiète pas. « Qui se soucie vraiment de savoir si vous êtes en sécurité ou non ? », interroge le chercheur. Facebook présuppose que les gens qui composent votre réseau social s’en inquiètent, mais est-ce vraiment le cas ?

Autre question soulevée par Tausif Noor : quelle vision du monde Facebook impose-t-il avec cet outil ? Sans conteste, la Safety Check regarde le monde d’une façon sécuritaire. Mais alors, la plateforme peut-elle ainsi s’absoudre de la responsabilité d’évaluer la sévérité des crises dont elle rend compte, comme elle s’absout jusqu’à présent de prendre parti dans l’information qu’elle distribue, qu’elle soit réelle ou pas ? Safety Check est présenté invariablement comme un service pratique et commode, sans jamais interroger la vision qu’il porte, individualiste et sécuritaire… Le problème est que le contrôle d’absence de danger recontextualise tout événement comme étant quelque chose de personnel, faisant oublier toute perspective sociopolitique plus large : comment s’est-il produit ? Pourquoi ? Qui a-t-il touché ?… Safety Check nous relie aux crises globales, au monde, selon un prisme uniquement individuel et semble indifférent à tout comportement autre qu’individuel. C’est à croire que Facebook semble toujours chercher à méconnaître « la nature du social qu’il veut imposer à tous » conclut Tausif Noor.

À lire aussi sur internetactu.net