Après le web 2.0 : l’informatique omniprésente

L’informatique omniprésente (dite aussi informatique ubiquitaire ou UbiComp, c’est-à-dire, l’informatique des capteurs) sera l’étape qui succédera au web 2.0, prédit Tim O’Reilly.

Tim O'Reilly à la web 2.0 expo de San Francisco en avril 2008, photo Codeir Ketaro

Pour entériner cette intuition, il évoque deux histoires récentes. La première, évoquée par le New York Times, est assez classique de l’informatique omniprésente. C’est celle d’une nouvelle génération d’écrans électroniques publics, équipés de caméra, qui observent qui les regarde pour adapter leurs contenus à leur public, comme le propose la société française Quividi. La seconde évoque la publicité contextuelle mise en place par Like.com dans Facebook : selon les images qui sont présentes sur votre page de profil, Like.com propose des publicités adaptées, proposant des lunettes par exemple, proche de celles que vous portez sur votre photo. Like.com se sert ainsi des images présentes dans Facebook comme de « capteurs » à partir desquels il extrait des informations exploitables par son application.

« La plupart des ruptures que propose le web 2.0 sont venues des nouvelles manières de faire émerger du sens de données qui existent, la plupart du temps à travers de nouvelles méthodes statistiques ou de nouveaux algorithmes et pas vraiment en apportant de nouvelles données ou en ajoutant de nouvelles métadonnées aux données existantes », explique avec justesse Tim O’Reilly. Les images et les contenus sont en passe de devenir le substrat de nouveaux capteurs, comme les logiciels de reconnaissance de formes capables de comprendre le contexte pour interpréter des images ou ceux capables d’identifier un monument dans des banques d’images pour géolocaliser celles-ci. Pour Tim O’Reilly, l’UbiComp ne se résume pas seulement à l’internet des objets, mais utilise toutes les productions humaines comme des capteurs, que ce soit les traces de nos déplacements ou celles des contenus qu’on livre au web.

Il y a une hiérarchie dans l’architecture de la participation, rappelle Tim O’Reilly (cf. les différentes échelles de la participation que nous avons pu évoquer). Mais les participations les plus puissantes, ne sont peut-être pas celles où l’on intervient le plus (comme le fait de commenter ou de coproduire un texte), mais au contraire celles où notre participation est la plus simple, la plus automatique (comme de poster des images, de laisser tracer nos déplacements…), explique-t-il.

Selon lui, il est essentiel d’inclure la puissance d’interprétation de nos contenus dans la catégorie des capteurs. Photosynth est un bon exemple d’application qui extrait du sens des photos des utilisateurs, en permettant par leur accumulation d’analyser la configuration d’un lieu, suggère-t-il. Wesabe en est un autre exemple. Wesabe est l’une des start-up de la finance 2.0 dont le principe consiste à échanger son décompte bancaire afin de se mettre en relation avec des gens qui ont un profil de consommation proche du sien pour échanger des recommandations personnalisées. « Wesabe transforme ainsi votre carte de crédit en capteur intelligent de masse ».

Reste qu’il faudrait tout de même se demander si le fait d’analyser nos photos tient encore de la participation ? Quand on trace nos déplacements à partir des données recueillies par les opérateurs mobiles ou quand on fouille nos données à partir de transactions bancaires que nous réalisons, est-ce que cela tient encore de notre participation ? Or, si nous participons, cela suppose que nous en soyons conscients, mais est-ce toujours le cas ? On a souvent tendance à appeler coopérations des formes qui n’en sont pas vraiment.

Pour Tim O’Reilly il est alors important de :

  • Penser l’informatique omniprésente pas seulement comme un glissement de l’ordinateur aux objets mobiles, mais comme le fait que nos objets, nos contenus, vont devenir les capteurs pour le nuage d’application qui va exploiter l’intelligence collective.
  • Se souvenir que les bases de données et les applications en réseau prennent leur sens par leur exploitation statistique et qu’elles vont continuer à être la clé des avantages compétitifs dans une ère où tout va être en réseau.

Cette informatique ambiante, qui trouve sa source dans le concept de trouvabilité ambiante cher à Peter Morville, c’est-à-dire, la capacité de rendre les choses visibles, devrait être la prochaine étape du web, s’enthousiame O’Reilly.

Il ne dit pas autre chose quand il affirme que la prochaine étape du web c’est de changer le monde, comme il l’annonçait en introduction de la dernière Web 2.0 Expo en avril. Son message principal consistait à dire qu’il ne fallait pas suivre les applications chaudes du moment, mais s’attaquer aux « vrais gros problèmes ». Selon lui, les opportunités auxquelles nous devons nous confronter sont :

  • le web 2.0 en entreprise pour révéler les sens cachés dans les données des entreprises ;
  • le web programmable, dont l’ouverture est la clé ;
  • et l’informatique mobile ambiante car le « web 2.0 n’est pas quelque chose avec lequel nous interagissons depuis un ordinateur, mais quelque chose qui est partout autour de nous ».

Comme le disait encore O’Reilly, changer le monde, c’est changer notre rapport à l’environnement, à la santé ou aux structures de gouvernement. Et c’est à cela qu’on va pouvoir s’attaquer grâce à cette nouvelle informatique des capteurs.

Pour Richard MacManus du ReadWriteWeb, « dans cette nouvelle ère du web, le succès viendra de start-ups qui apporteront des innovations qui résoudront les problèmes de millions de personnes dans le monde réel. (…) C’est là que les revenus seront ».

Faut-il y lire une fuite en avant d’une industrie qui peine à trouver des modèles économiques viables ? Faut-il y lire un refus des perspectives de récession économiques qui s’annoncent et qui pourraient contracter le marché de l’immatériel ? Ou une ouverture à des applications qui dépassent le web pour s’attaquer, via les nouvelles technologies, aux problèmes du monde réel ? Assurément, la Silicon Valley se pose des questions alors qu’aujourd’hui, l’investissement se concentre dans le développement d’innovations incrémentales, c’est-à-dire, dans l’amélioration des innovations existantes, plutôt que dans le développement de nouvelles innovations, de nouveaux marchés, comme le dénonce l’investisseur Jeff Nolan.

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0 commentaires

  1. Cè quoi le but de cette course effrénée de changement de paradigmes du Web ? A la question « internet, et après ? » que posait il y a huit ans, Dominique Wolton, on a bien aujourd’hui des réponses. Car, voici après le Web 1.0 et le Web 2.0, l’annonce officielle du Web 3.0. Au-delà des dimensions pratique, ludique et social d’Internet, voici semble-t-on démontrer, l’Internet intelligent, capable de décoder tous les aspects de la vie numérique. N’est ce pas ici encore un nouveau mythe dithyrambique de la société « occidentale » de l’information et de la communication qui par « effet de mode » plutôt que de version (1.0, 2.0, 3.0,….) décrète des nouvelles avancées du Web? Certes, comme le constatait déjà Pierre Chambat en 1992, « En quelques décennies, nous avons été contraints d’apprendre à communiquer en l’absence du corps dans un univers de machine. La société traditionnelle fondée sur la proximité cède la place à une socialité en réseau ». Mais tout en admettant l’hypercommunication caractéristique de l’actuelle « société en réseaux » (Manuel Castells), n »est-il pas trop prématuré de conclure notre entrée dans l’ère de l’informatique ubiquitaire ? L’informatique omniprésente est-elle vraiment ubiquitaire au regard des fortes disparités d’usages et d’accès aux équipements informatiques et à Internet entre les pays du nord et les pays en développement ? Non, car l’ordinateur n’a pas encore un don d’ubiquité pour se retrouver partout dans les villages africains ou indiens. Et même si les premières générations de pc low-cost font leur apparition sur le marché africain, la notion du « low-cost » est très vite relativisé quand on passe d’un continent à un autre (différence de niveau de vie ou de pouvoir d’achat oblige).

    En réalité, « l’Ubicomp » franchirait le rubicon en prétendant à une universalité du Web 2.0 ou 3.0. Avant que le Web (sémantique) ne donne un sens à notre vie, donnons lui un sens. Mais notre propos n’est pas de donner une définition supplémentaire à la pléthore de tentatives de définitions existantes.
    Nous dirons tout simplement d’un point de vue paradigmatique que ce qui devrait faire « sens » dans la sémantique du « Web », c’est ces valeurs de partage, de participation, d’interaction et d’action. Et ce sens n’émergera que dans un esprit de solidarité numérique favorisant une véritable intelligence collective. J’ai fait un rêve. Pas celui de Martin Luther King. Ni d’ailleurs celui de Marshall Macluhan (village planétaire). Mon rêve est bien plus modeste : c’est celui de voir plusieurs internautes (de classes sociales différentes) connectés (peu importe le débit) depuis différents endroits du monde (Chicago, Lyon, Kuala Lumpur, Tombouctou, Ouagadougou, ou autres,…) et réfléchissant ensemble à des problématiques de l’utilisation des TIC dans les grands domaines du développement ou partageant leurs expériences sur la recherche de solutions innovantes pour d’autres problèmes importants . Ils pourraient ainsi se transformer en « think tank 2.0 »
    Ce rêve est encore un rêve car, pour l’instant encore, quelque soit l’engouement général manifesté pour les « Social Networking », les potentialités qu’offrent les applications Web 2.0 sur ces réseaux sociaux restent sous-exploités compte tenu du faible degré d’implication et de participation des utilisateurs dans un processus réel de collaboration et de coproduction.

  2. Alexis Mons publie un rebond comme toujours pertinent (mais sans rétrolier, hélas) : Le web implicite est-il la solution à la monétisation du web social ?, où il revient notamment sur ce qui fache dans les propos de Tim O’Reilly : à savoir que l’homme devient un document pour nourrir les machines et que la participation passive (implicite) risque d’être plus « forte » que la participation active, comme s’en inquiète Florence Meichel.

    Pour lui : « Tim O’Reilly me semble indiquer que le web implicite a l’avantage de produire du résultat sans exposer la manière dont il le fait, donc sans choquer l’utilisateur soucieux de la maîtrise de ses représentations. Si la pub que l’on voit a du sens, c’est porteur pour celui qui la reçoit et juteux pour celui qui la vend. Mais surtout, cela exploite des données personnelles et sensibles sans titiller cette sensibilité justement. (…) Ma certitude, c’est que l’individu ne déteste rien moins que les symboles visibles d’une médiatisation publique non-maîtrisée de lui-même. »

  3. @Destiny. Certes. Mais le degré d’implication et de participation des utilisateurs dans un processus réel de collaboration et de coproduction va-t-il vraiment évoluer ? Est-ce que tout ces outils favorisent la coproduction, ou favorisent-ils d’abord d’autres formes de coopérations ? « Les valeurs de partage, de participation, d’interaction et d’action », sont-elles vraiment partagées par les utilisateurs, ou seulement par la poignée des plus actifs ?

    Ce ne sont que des questions.