Faire sa propre ville : comment les gens prennent-ils le pouvoir ?

Robin Chase (blog) est une serial entrepreneuse reconnue. Après avoir fondé Zipcar, la plus grande entreprise d’autopartage du monde, et GoLoco, une communauté autour du covoiturage, elle a lancé Buzzcar, un service de partage de voitures. Invitée dans les plus grandes conférences (TED), elle a reçu de nombreuses récompenses dans le domaine de l’innovation, du design et de l’environnement.

Pendant longtemps les villes ont été construites de manière très chaotique, sans structure… Il a fallu attendre le baron Haussmann et ses grands travaux pour que la ville change. Mais accepterions-nous encore facilement des travaux à cette échelle ? Aujourd’hui, ce sont les bureaucrates qui créent des villes, très structurées, très zonées, rappelle Robin Chase sur la scène de Lift à Marseille. Elles ne sont pas parfaites pour autant estime Robin Chase en évoquant les réactions des sans domiciles fixes qui pendant plusieurs mois ont envahis les quais du canal Saint-Martin à Paris.

Internet permet également aux gens de prendre le pouvoir. C’est grâce à nos contributions que Facebook, Google ou YouTube sont devenus de grandes sociétés. Mais ces grandes sociétés ne nous rétribuent pas pour ce qu’on leur apporte. « Faut-il croire que tout désormais va devoir être gratuit ? » L’entrepreneuse ne semble pas vouloir s’y résoudre.

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Image : Robin Chase sur la scène de Lift Marseille, photographiée par Pierre Métivier.

Les grandes plateformes du web donnent du pouvoir aux gens. On parle d’empowerment (ou capacitation) pour évoquer cette montée en puissance du public à l’heure du web 2.0. Et pour Robin, c’est bien là l’enjeu de l’internet : « je veux bâtir des plateformes qui donnent du pouvoir aux gens ! », lance-t-elle comme un credo en évoquant les succès de plateformes comme MeetUp, une plateforme pour organiser des réunions physiques qui en 10 ans d’existence totalise 7,2 millions de membres et propose quelques 250 000 rencontres par mois ; Etsy, ce site fondé en 2006 et qui propose à la vente 1,5 million d’objets fabriqués par les gens ; Waze, fondé en 2006 et qui avec ses 2 millions d’utilisateurs permet de partager des informations de trafic depuis le GPS de son téléphone mobile ; AirBNB lancé en 2008 qui permet de trouver des logements chez les particuliers a déjà permis de loger 1,6 millions de personnes depuis son lancement ; Couchsurfing créé depuis 2003 propose 1,2 million de canapés chez l’habitant et a déjà enchanté 5,4 millions de participants.

Robin Chase compare Couchsurfing aux grandes chaînes d’hôtels internationaux. En 8 ans, Couchsurfing a réussi à atteindre 2 fois plus de propositions de couchages que les plus grandes chaines d’hôtels à travers le monde qui ont mis 50 ans à bâtir leurs empires… Il y a assurément là une révolution dont les effets sont invisibles, car difficilement mesurables, estime l’entrepreneuse.

On pourrait ajouter Covoiturage.fr que présentait rapidement juste après Robin Chase, Frédéric Mazella, président de Comuto, la société éditrice du service. Covoiturage.fr est un service pour organiser et trouver des solutions de covoiturage, plutôt longues distances et irrégulières que régulières. Le service totalise 1,2 million de membres, 18 millions de pages vues, 50 000 nouveaux membres chaque mois et a permis d’économiser 180 000 tonnes de CO² l’année dernière. Récemment, pour le week-end de l’Ascension il a permis, en observant les gens qui avaient prévu de faire un déplacement pendant le pont, d’anticiper et prédire le trafic (vidéo), ce qui est une autre piste de développement pour ce type de service.

Pour Robin Chase, « les dispositifs intelligents sont des sources de transformation ». La nouvelle logique économique consiste à proposer ce dont on dispose en excès. « Les gens mettent en ligne leurs capacités excédentaires. Pour innover, il suffit de regarder ce qu’on peut distribuer d’excédentaire sur une plateforme commune dématérialisée. » C’est ce qu’elle a imaginé avec Buzzcar. Buzzcar est un service de covoiturage qui permet à tout un chacun de proposer au prêt le véhicule qu’il n’utilise pas. L’idée est d’utiliser les voitures inutilisées des autres. Buzzcar fonctionne comme une vaste flotte de véhicules à la demande pour tous ces utilisateurs qui n’ont pas besoin d’acheter une voiture pour s’en servir seulement 5 % du temps. Il est très simple de réserver une voiture (vidéo) ou de rendre sa voiture disponible aux autres (vidéo). De sélectionner et réserver la voiture, d’évaluer le propriétaire qui la loue comme le locataire qui l’emprunte. Bien sûr, Robin Chase nous sort un couplet sur les avantages du covoiturage pour l’environnement : notamment que le système permet de réduire le nombre de véhicules en circulation, de réduire le nombre de places de parking. Les utilisateurs de Buzzcar ont tendance à conduire 80 % de moins que les propriétaires de voiture et chaque véhicule proposé à la location est en moyenne utilisé par 30 à 40 personnes…

Dommage pourtant que Robin Chase n’aille pas plus loin dans le profil des gens qui utilisent BuzzCar. Car on aimerait bien comprendre qui sont ces utilisateurs ? On aimerait bien savoir si ceux qui prêtent leurs voitures sont les mêmes que ceux qui prêtent un canapé ou échangent leurs maisons ? Et si ce n’est pas le cas, on aimerait bien savoir pourquoi ? Les plateformes du web pour la consommation collaborative sont toutes traitées de la même façon : tout le monde insiste sur leur potentiel, aligne des chiffres pour montrer que ces services explosent, sans aller bien loin sur la compréhension des motivations des personnes qui les utilisent… On ne sait rien des raisons qui poussent les gens à les utiliser ou à les abandonner. On a l’impression que la consommation collaborative est un vaste mouvement de société, plutôt uniforme, alors que les motivations des gens sont sans doute très différentes, comme le montre bien le service imaginé par Robin Chase où beaucoup d’utilisateurs sont certainement plus là pour rentabiliser leur achat de véhicule que par soucis écologiques.

L’internet peut effectivement nous permettre de « profiter » des opportunités de la ville et de les développer, comme le conclut Robin Chase. Reste à savoir en quoi cette personnalisation fait sens et si le sens qu’on porte à cette consommation collaborative est vraiment le même que celui que lui porte les utilisateurs. Rassembler dans un même mouvement des comportements très altruistes et d’autres très individualistes, sans comprendre vraiment les différences de motivation qui expliquent les comportements des gens risquent de nous faire croire à des phénomènes de sociétés qui n’ont en fait rien de commun entre eux.

Robin Chase a certainement raison quand elle explique que ces consommations collaboratives ne sont certainement plus des modèles marginaux. Elles sont plus naturelles que d’autres modes de consommation : la propriété n’est finalement le plus souvent qu’un avantage de l’âge. Pour autant, de là à dire qu’ils forment systèmes, il y a un pas que les défenseurs de la consommation collaborative franchissent sans démonstration et qui mériterait un peu plus d’attention pour ne pas prendre les vessies du web 2.0 pour des lanternes.

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  1. Zipcar, la plus grande entreprise d’autopartage du monde,
    GoLoco, une communauté autour du covoiturage,
    Buzzcar, un service de partage de voitures

    Je me suis tapé la tête trop souvent contre le mur lorsque j’étais petit, j’ai beaucoup de mal à différencier ces communauté oO

  2. Ton article est le bienvenu Hubert. La critique est acerbe envers ceux qui s’attachent à décrypter ce phénomène avec un certain enthousiasme (peut-être naïf, je te le concède) dont je fais partie, d’autant que ces questions, nous nous les posons.

    Nous sommes une petite communauté réunie aujourd’hui autour du projet Shareable en français et nous échangeons actuellement sur la différence entre un couchsurfing et un Airbnb ainsi que sur les intentions des utilisateurs de ces différentes plateformes. Il nous semble qu’il existe en effet deux économies du partages : l’une est rationnelle, et vise l’optimisation économique des ressources et fondée sur la coopération entre les utilisateurs (c’est celle des startups et des levées de fond, pour faire simple) ; l’autre met la collaboration en son coeur, la générosité et la réciprocité y sont la règle (c’est celle des non profits, là aussi pour faire simple).

    Des compléments en commentaires de l’article publié hier http://www.shareable.net/blog/pour-laffirmation-dune-société-du-partage où des entrepreneurs de la mobilité partagée prennent la parole.

    L’économie du partage en est à ces prémices et ces distinctions sont certainement fondamentales. Il me semble néanmoins que cette économie et les nouvelles formes de consommations qu’elle induit sont à valoriser sous toutes leurs formes, car elles représentent une piste crédible, fonctionnelle, pragmatique vers une société plus soutenable.

    La question du financement que pose Robin Chase est également un enjeu crucial. Wikipedia / Couchsurfing : la question du financement reste posée.

  3. @Antonin… On peut chercher à valoriser l’économie du partage, certes… Mais encore faut-il comprendre ses motivations (qui n’ont peut-être rien d’altruistes). A nouveau, je ne pense pas que les 2 formes d’économies collaboratives soient égales : ni dans leurs effets, ni en participants…

    Je pense qu’il est grand temps de regarder par le détail les services collaboratif du web 2.0, pour arrêter de se faire bercer d’illusion sur la révolution de la participation. Et regarder ce qui motive les utilisateurs.

  4. Pour avoir assisté à la conférence de Robin Chase, j’ai l’impression qu’elle se place du point de vue de l’entrepeneur, qui aurait pour marché le développement de l’autopreneuriat, pour reprendre ses termes.

    Elle a une vision très anglo-saxonne du collaboratif, basée sur la rationalisation et la valorisation de la propriété plutôt que sur la seule volonté d’être plus responsable.

    Nous sommes là face aux mêmes questions que pose la protection de l’environnement en général.

    Il serait effectivement intéressant d’analyser les raisons qui poussent les personnes vers ce genre de consommation. On se rendrait certainement compte que, dans bien des cas, l’aspect « altruiste » ou « responsable » est la caution morale qui permet de se lancer dans des pratiques qui il y a peu n’aurait pas été valorisées, valorisantes.

    Ceci dit, le rôle du militant est de faire en sorte qu’un maximum de personnes intègrent ces idées comme les leurs.

  5. @el_Reg : tout à fait d’accord. Mais quelles idées veut-on diffuser ? Celles sur la rationalisation et la valorisation de la propriété ou celles sur la responsabilité ? Si elles partagent des buts communs, j’ai tout de même l’impression qu’elles n’ont pas les mêmes effets. 😉

  6. Bonjour Hubert, voici un commentaire que j’avais pu faire lors des discussions que nous avons avec Antonin et le groupe Sharable France. Il rejoint un certain de tes préoccupations…

    « …Le grand « débat » semble tourner autour de la nature intéressée ou non de l’acte de l’acte de partage et de l’intérêt de cette distinction.
    Étienne souligne la dichotomie irréductible entre l’échange marchant assimilable à une location et le partage pur de l’ordre du don. Cette distinction me semble fondamentale.
    Je crois que les deux phénomènes principaux qui sous-tendent votre discussion sont les suivants :
    – Le développement d’une logique p2p permettant une désintermédiation des échanges marchands
    – L’épanouissement de nouvelles communautés dans lesquelles il est possible sortir de la logique mercantile caractéristique du système capitaliste traditionnel.
    Ce n’est pas parce que ces deux phénomènes découlent d’une même révolution technologique qu’il faut en confondre les enjeux.
    La grande force de la logique p2p c’est qu’elle permet de créer de la valeur, ou plutôt d’en optimiser l’allocation. Une énorme masse de valeur inerte – la valeur d’usage d’un bien non utilisé, ou d’une compétence inexploitée – se retrouve soudain libérée. Et à ce gain d’accessibilité, s’ajoute un gain de désintermédiation.
    Indéniablement, la logique p2p permet de recréer un certain lien social et c’est une corolaire heureuse de ce modèle. Clairement cette nouvelle forme d’économie est providentielle dans un contexte de crise économique sévère et Antonin a bien raison d’en faire la promotion. Néanmoins, il me paraît vicieux de mettre cela sous la même bannière que le partage pur non rémunéré.
    Comme le signale Maxime, cette autre forme de partage obéi à une logique différente. Elle repose sur de nouvelles structures sociales : des communautés unies autour de valeurs partagées et d’un contrat social spécifique. On peut même parler de microsociétés. Le partage dépasse alors l’idée de transaction gagnant/gagnant après lesquelles on se quitte quittes. Le lien interpersonnel prime. Comme au sein d’une famille, on sort de la logique marchande. On assiste d’une certaine manière à un retour à la société dite traditionnelle.
    Des anthropologues comme Marcel Mauss ou Claude Lévi-Strauss, l’on bien décrit, dans ces sociétés traditionnelles, l’échange repose sur un système de don / contre-don. Le don créé du lien, le don oblige, le don est signe de pouvoir. On pourrait donc discuter plus en profondeur de la pure gratuité de l’acte mais mon commentaire est déjà assez long…
    Je suis d’accord avec Nathan pour dire que le gap entre le partage location et le partage gratuit à tendance à se réduire (modèle hybride de Maxime…) et je trouve la phrase de Tim O’Reilly (« L’économie est toujours un mélange de passion et d’intérêt ») très vraie. Comme Antonin, je pense qu’au niveau macro c’est l’impact qui prime sur l’intention et que l’intérêt personnel est le meilleur ressort du changement. Mais alors que les enjeux financiers de l’économie du partage deviennent colossaux, il me semble important de souligner que tout n’est pas à mettre sur le même niveau. Dans un cas la question première c’est « que partage-t-on ? » dans l’autre c’est « avec qui partage-t-on ? ».
    Et puis il y a la compassion, l’altruisme, la générosité qui opèrent en marge des systèmes ; l’esprit de partage pur et désintéresse, comme celui de ces anonymes qui donnent leur sang par exemple »

    Ensuite sur la question : ‘quelles idées veut on diffuser?’, je pense que cela dépend simplement la démarche de chaque acteur et des attentes de ses interlocuteurs. L’essentiel étant d’être honnête et cohérent.

    Nous sommes tous conscient de la nécessité de mieux connaitre les caractéristiques et motivations des différents acteurs et usagers des multiples systèmes collaboratifs et nous y travaillons. Dans ce sens, Antonin réalise régulièrement des interviews (sur http://consocollaborative.com/) qui permettent de défricher et mieux comprendre cette tendance protéiforme passionnante.

    Antoine

  7. « Merci Antoine! » et « D’accord, Hubert »: j’ai l’impression depuis 6-8 mois que les e-experts parlent entre eux, et il est de plus en plus difficile de les suivre ( ils font la compèt, ou quoi?) sur un très bon débat, pourtant : Riri ,Lulu et moi peuvent-ils « participer », grâce au web2.0, dans les Smart-Cities, ou les dés sont-ils pipotés? Veulent-ils réellement nos avis ou préfèrent-ils, aujourd’hui, causer entre eux?