Jeff Pulver : « La voix est LA killer application »

Rencontre avec Jeff Pulver, pionnier de la voix sur IP. Depuis près de 10 ans, il multiplie les initiatives pour démocratiser et promouvoir la voix sur l’internet. Cofondateur de Vonage, opérateur de téléphonie IP, de Free World Dialup, un service gratuit de téléphonie via l’internet, ou de Von, un magazine dédié à la VoIP… Jeff Pulver est l’un des gourous de la voix sur l’internet. Il a accepté de répondre à quelques-unes de nos questions pour nous exposer sa vision de l’avenir de la voix sur les réseaux…

Jeff Pulver (http://pulver.com/jeff) est l’un des pionniers de la voix sur IP (VoIP) et multiplie les initiatives en la matière depuis une dizaine d’années.

Il dirige la société Pulver.com, et à co-fondé plusieurs autres entreprises, toutes impliquées dans la VoIP, parmi lesquelles Vonage (opérateur de téléphonie IP, http://www.vonage.com), Digisp (services utilisant le protocole SIP, http://www.digisip.com) ou VON Magazine (magazine consacré à la VoIP, lancé en septembre dernier : http://www.vonmag.com).

Pulver est aussi le créateur (en 1997) de VON (Voice on the Net : http://www.von.com), devenu un événement annuel majeur consacré à la convergence entre l’industrie des télécommunications et l’internet.

Il exploite également Free World Dialup (FWD, http://www.pulver.com/fwd), un service gratuit de téléphonie via l’internet. Après avoir démarré en 1995-1999, FWD a été rouvert en novembre 2002 et regroupe aujourd’hui 80 000 membres. Le service peut être utilisé en « PC to PC », ou via un téléphone SIP (Session Initiation Protocol : http://www.cs.columbia.edu/sip) connecté à l’ordinateur.

Internet Actu nouvelle génération : Sur votre blog, vous avez récemment souligné que l’engouement des médias pour Skype semblait oublier les efforts de beaucoup d’entreprises et d’organisations depuis plus de 10 ans pour développer la voix sur IP. A l’inverse, comment expliquez-vous que la VoIP ait été si lente à décoller ?

Jeff Pulver : Pendant l’ère des accès internet en dial-up, la qualité des communications en VoIP n’était pas terrible. A cela s’est ajouté le fait que les industriels se sont plus préoccupés des fournisseurs d’accès que des consommateurs.

Les choses sont différentes maintenant. Le haut débit est une réalité, des entreprises comme FWD et Skype offrent la possibilité de traverser les routeurs domestiques ou les firewalls, et la qualité de service offerte par les technologies conçues pour le haut débit est aussi bonne, et parfois meilleure, que celle disponible via le téléphone classique (Réseau téléphonique commuté, RTC). Ca n’est donc plus qu’une question de temps pour que la voix sur IP commence à se développer véritablement.

Iang : Oui, mais en téléphonie classique, l’utilisateur s’abonne et tous les téléphones sont compatibles avec sa ligne. En VoIP, il existe de multiples solutions (matérielles et logicielles) et pas mal de problèmes d’interopérabilité (les utilisateurs de Skype ne peuvent appeler que des utilisateurs de Skype, ceux de FWD que ceux de FWD…). Ne pensez-vous pas que ce marché est encore très difficile à lire pour le grand public ?

Jeff Pulver : Je pense que c’est un marché pour la génération des « toujours connectés », dont il faudra savoir tirer parti. Les services que l’on voit apparaître s’adressent aux gens qui connaissent l’internet. Je suis d’accord pour dire que cette approche n’est pas pour « tout le monde ».

Iang : A l’avenir, imaginez-vous que la téléphonie sur IP se généralise, via des combinés physiques (téléphones mobiles ou fixes), plutôt que via des outils logiciels ?

Jeff Pulver : Oui certainement. Mais pourquoi se limiter à cela ? La voix est une application, et doit être considérée comme telle. A l’avenir, nous pourrons émettre des appels à partir de n’importe quel appareil domestique.

Iang : Mais ne pensez-vous pas que la VoIP ne deviendra un marché de masse que quand tout PC ou tout téléphone permettra à l’utilisateur d’appeler n’importe quel PC ou téléphone ?

Jeff Pulver : Ca n’est pas aussi important que de faire baisser le coût d’un téléphone IP (combiné physique) à 10 dollars.

Iang : Il y a au moins quatre types d’acteurs sur ce marché : les opérateurs télécom (qui bénéficient d’un fort savoir-faire), les fournisseurs d’accès à l’internet (FAI, qui vendent et contrôlent les accès à l’internet), les éditeurs de logiciels (de messagerie instantanée) et les fournisseurs de matériel. Qui va gagner, et y a-t-il une place pour tous ?

Jeff Pulver : Au final, ceux qui gagnent le font grâce aux choix qu’ils effectuent et en démultipliant l’offre dont disposent les utilisateurs finaux. D’un point de vue commercial, ce sera à chaque groupe de mettre en pratique sa vision et de gérer la réalité. Il est possible que des opérateurs de téléphonie actuels n’existent plus dans cinq ou dix ans, et il est aussi possible que beaucoup de nouvelles entreprises arrivent et les remplacent.

Iang : Vous utilisez souvent l’analogie entre les appels téléphonique en VoIP et l’e-mail, en disant que téléphoner via l’internet devrait être gratuit, au même titre que d’envoyer un e-mail. Mais alors, y a-t-il un modèle économique à la VoIP ?

Jeff Pulver : Un modèle économique ? Il ne faut pas mélanger le fait d’utiliser des applications pour communiquer et l’industrie ou le marché des télécommunications. Il n’y pas de modèle économique pour l’email, pas plus qu’il n’y en a pour la VoIP.

La voix est « libre et gratuite ». La notion de distance est morte. Avec le développement des communications vocales, ce sont les nouveaux services qui sont en train d’être mis en place qui vont permettre de générer des revenus pour tous ceux qui sont impliqués sur ce marché.

Iang : Justement, quels pourraient être les « killer applications » de la VoIP ?

Jeff Pulver : Dans la vraie vie, c’est la voix elle-même qui est la « killer application ». Elle fera donc désormais partie des futures « killer applications », quelles qu’elles soient.

En termes de service, sur FWD, l’application la plus utilisée est la messagerie vocale, suivie de l’application « click-to-call ». Viennent ensuite les applications testées par les gens qui expérimentent CCXML et VXML, avec l’aide d’entreprises partenaires.

[NDLR : la messagerie vocale de FWD, « voicemail », permet aux utilisateurs d’enregistrer des messages audio lorsque leurs correspondants sont absents. Un e-mail est automatiquement envoyé pour prévenir un utilisateur qu’un message lui a été déposé et la relève des messages s’effectue via le téléphone IP. Par ailleurs, le « click to call » consiste à déclencher une communication téléphonique avec un téléopérateur, à partir d’une page web. En plus de la conversation téléphonique, ces applications permettent à l’utilisateur et l’opérateur de « naviguer » ensemble sur le site. Ce type d’application est en particulier de plus en plus utilisé sur des sites d’e-commerce ou de service à domicile. Enfin, CCXML et VoiceXML (abrégé en VXML pour Voice eXtensible Markup Language) sont des tentatives de normalisation des échanges basés sur la voix. En particulier, VXML vise à utiliser XML pour intéragir vocalement avec des pages web.]

Iang : Plusieurs spécialistes estiment que la « voix sous Wi-Fi », c’est-à-dire la VoIP utilisant Wi-Fi (ou ViFi, comme l’a proposé Daniel Dern, http://www.vonmag.com/voiceovers.html) est une « killer application », au moins dans l’univers professionnel. Etes-vous d’accord ?

Jeff Pulver : Il y a des chances en effet, si ViFi aide les entreprises à mieux contrôler leurs dépenses, en migrant les téléphones mobiles vers des solutions alternatives.

J’ai entendu dire que 40 % des appels professionnels sont émis par un téléphone mobile et aboutissent à un téléphone mobile dans le même bâtiment… Si c’est vrai, ViFi pourrait avoir un impact considérable.

Iang : Une de vos entreprises, Pulver Innovations, commercialise depuis peu le WiSIP, un téléphone compatible à la fois avec VoIP et Wi-Fi. A qui s’adresse-t-il ?

Jeff Pulver : Aux fans d’informatique qui ont envie de jouer avec un produit venant tout droit d’un proche futur ;-)

Propos recueillis par Cyril Fiévet

Pour en savoir plus :

Le blog de Jeff Pulver : http://192.246.69.231/jeff/personal/
VoiceXML et CCXML : http://www.w3.org/Voice/Guide/ et http://www.w3.org/TR/ccxml/

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