La Corée du Sud, nouvelle terre de gamers

La Corée du Sud est devenue en quelques années l’une des principales nations de gamers, et en particulier de jeu vidéo online. Elle organise depuis 2001 les World Cyber Games considérés comme les jeux Olympiques des jeux vidéos, et certains champions comme Lim Yo Han sont là-bas des stars nationales. Kim Seungkyu, journaliste et critique de jeu, nous fait part de son opinion sur le développement économique, sociologique et culturel des jeux de rôle massivement multijoueurs (MMORPG) et des jeux vidéo online en général.

La Corée du Sud est devenue en quelques années l’une des principales nations de gamers, et en particulier de jeu vidéo online. Elle organise depuis 2001 les World Cyber Games considérés comme les jeux Olympiques des jeux vidéos, et certains champions comme Lim Yo Han sont là-bas des stars nationales. Kim Seungkyu, journaliste et critique de jeu, nous fait part de son opinion sur le développement économique, sociologique et culturel des jeux de rôle massivement multijoueurs (MMORPG) et des jeux vidéo online en général.
Kim Seungkyu a 31 ans, il est directeur de la publication d’un magazine de jeu coréen, et travaille pour Electronic Arts Corée comme directeur de développement. Il a contribué à divers magazines et sites web et animé une émission télévisée sur le jeu. En ce moment, il écrit un livre à l’attention des parents s’inquiétant de plus de plus de la dépendance au jeu de leurs enfants.

Frank Beau : Peux-tu nous rappeler les grandes lignes de l’histoire du jeu vidéo, et en particulier online, en Corée ?
Kim Seungkyu : Jusqu’au milieu des années 90, le phénomène n’était pas très important. Mais à partir de fin 1997, le marché de l’informatique personnelle a connu une forte croissance. Cela a favorisé le déploiement des jeux en ligne et du marché de l’Internet. En 1996, The Kingdom of wind fut le premier jeu en réseau à prendre du service, avant même Ultima online. A la fin de l’année 1998, un joueur – Lim Yo Han – a gagné un tournoi international sur Starcraft, cette histoire a alors été fortement reprise par les médias et les Coréens y ont alors vu un nouveau moyen de conquérir le monde. Après cela, Starcraft est devenu un succès national. Des joueurs professionnels et des ligues professionnelles sont apparues. Les chaînes de télé ont organisé des compétitions, et par la suite des émissions broadcast se sont spécialisées sur le jeu vidéo, un peu comme le français Game One. En 2000 l’industrie du jeu vidéo online a connu une croissance supérieure à celle des jeux offline. En particulier avec les revenus de NC Soft, le développeur du fameux jeux Lineage, dont le chiffre d’affaires à progressé de 628 % par rapport à 1999. Lineage a atteint trois millions de joueurs cette année. Les gens se sont aperçus que les jeux en ligne étaient plus amusants. La plupart des développeurs Coréens ont alors changé leur stratégie au profit du marché des jeux PC et des jeux en réseau. Au cours des dernières années, la Corée du sud a construit la première infrastructure réseau du monde, si bien que plus de 50 % des connexions personnelles sont aujourd’hui à haut débit.

Quels sont les résultats de l’industrie du jeu en général et en particulier des jeux en réseau ?
La population totale de la Corée est de 47 millions d’habitants. 20 % sont gamers et l’âge moyen de ces gamers est de 18 ans. D’après les chiffres annuels du gouvernement, le jeu vidéo d’arcade rapporte 420 millions de dollars, le jeu online 223 millions, les jeux sur PC 161 millions, les jeux sur mobile 12 millions, les autres types de jeu 13 millions. Le jeu sur console ne représente que 2 % du marché. Le gouvernement mise sur la création de 1 400 nouvelles sociétés dans ce secteur et 8 000 employés supplémentaire chaque année. Dans le secteur du MMORPG, NC Soft a gagné 200 millions de dollars l’année dernière avec le jeu Lineage. Jusqu’en 1998, les jeux de l’éditeur Blizzard était en tête des ventes sur PC. Starcraft, Starcraft-expansion, Diablo 2 et Diablio 2 expansion représentaient 50 % de son chiffre d’affaires. Les salles en réseau se sont développées aussi de manière intensive : Crazy Arcade est l’une des salles les plus populaires du pays et compte 350 000 usagers.

Le jeu vidéo est-il considéré comme une culture à part entière, et comment les critiques comme toi travaillent-ils ?
Bien sûr, c’est une véritable culture pour les nouvelles générations et il est difficile de comprendre les jeunes sans le jeu vidéo. Ils ont une expérience unique que les anciennes générations n’ont pas. La critique de jeu est assez indépendante de l’industrie. Ce que nous voulons dire, nous le disons. Mais en dehors du fait d’écrire des articles, quelques critiques rejoignent les institutions gouvernementales pour participer à la sélection des meilleurs jeux, car tous les jeux vidéo doivent avoir la ratification du Korea Media Rating Board pour être vendus.
Concernant les jeux sur consoles, si le hardware n’est pas illégal, en revanche tous les jeux japonais sont interdits sur le territoire coréen, car le gouvernement, à cause de l’histoire difficile entre les deux pays, ne tient pas à laisser « contaminer » la Corée par la culture japonaise (ceci concerne autant les jeux, que la BD, la musique, les films, etc.). Ainsi, jusqu’à aujourd’hui, aucun jeu japonais n’est disponible en Corée. Même après la co-organisation du championnat du monde de foot, cette mesure de protection demeure.

Est-ce que le jeu reste une pratique masculine ou y a t-il de plus en plus de joueuses ?
Les filles préfèrent plutôt les jeux raffinés. En particulier le chatting, les jeux d’arcade, les quiz et les puzzle. Quelques MMORPG ont une proportion plus importante de joueuses, parce que les personnages et les décors ont un design soigné. Quelques jeux en réseau réussisent même à compter jusqu’à 70 % de filles utilisatrices – mais en général la proportion tourne autour de 30 %.

Y a t-il des écoles de jeu vidéo, un secteur professionnel et un marché entre les joueurs sur les MMORPG ?
En Corée, il y a plus de vingt écoles de jeu vidéo (Cyber School). Certaines d’entre elles proposent des formations en quatre ans, et les autres en deux ans. Les programmes couvrent tous les aspects du jeu : la programmation, le design, l’art, les scénarios, le marketing, etc. Il existe une école gouvernementale mais les écoles privées ont toutes reçu l’appui du gouvernement.
Concernant le secteur professionnel, on peut dénombrer à ce jour 250 joueurs professionnels. L’année dernière Lim Yo Han, le champion de Starcraft a gagné un million de dollars. Les revenus de ces joueurs viennent des compétitions, des livres, des émissions de télé, et d’autres événements autour du jeu. Il y a quatre chaînes de télévision consacrées au jeu vidéo. Et comme pour le football ou les autres sports, les commentateurs sont très populaires.
Dans les MMORPG, certains joueurs connaissent les méthodes les plus rapides pour construire un personnage, lui faire acquérir de l’expérience et des objets. Les prix de revente des personnages ou objets varient entre dix dollars et deux mille dollars.

Pourquoi t’intéresses-tu à la question de l’addiction, quels sont d’après toi, les principaux effets psychologiques des jeux online sur les gamers ?
Les joueurs rencontrent des gens et interagissent ensemble. Il est vrai que certains joueurs peuvent y apprendre de mauvaises règles sociales. Quand ils jouent en groupe, ils peuvent voler des objets, tuer des joueurs et saboter des groupes. Car, pour réussir dans les MMORPG, les joueurs doivent rejoindre des guildes puissantes. Parfois ils doivent être présents, même quand ils n’en ont pas envie, pour la guilde. Malgré cela, on n’en est pas à une situation de panique : la plupart des joueurs ne sont pas atteints sérieusement et pensent qu’ils peuvent contrôler leur addiction. Mais l’écart se creuse entre les générations de joueurs. Je pense néanmoins que les excès ne constituent qu’une étape dans l’évolution de nos façons de jouer. Mais celui qui a recours aux jeux en ligne de manière intensive aujourd’hui connaîtra le succès dans le futur.

Comment devrait évoluer le marché des jeux en ligne en Corée dans les mois à venir d’après toi ?
La version coréenne d’Everquest vient juste d’être lancée. Mais les coréens sont plutôt attirés par des jeux fabriqués dans notre pays, pour des raisons culturelles. Lineage II devrait être mis en ligne dans quelques mois. World of Warcraft est un jeu très attendu aussi. Mais le pense que Lagnarok, Worms online, Crazy Arcade, Mu online, des jeux très populaires, perdureront. Sinon le taux de connexion haut débit devrait continuer d’augmenter pendant quelques années encore. A la différence des Etats-Unis ou d’autres pays, les compagnies télécom de Corée font d’importants profits. Les nouveaux appartements, les nouvelles constructions sont d’ores et déjà équipées avec des connexions haut débit. En Corée, on peut vraiment dire que les jeux en ligne sont devenus un miroir de la société. Les joueurs veulent rester sur le net parce de nouvelles hiérarchies s’y sont établies. Sans compter que les jeux en ligne éloignent les gens du stress de la vie quotidienne.

Entretien réalisé par e-mail par Frank Beau, 4 juillet 2002.

Liens
Un reportage du Courrier de la Corée présente la Korea Animation High School, l’une des écoles de jeu vidéo du pays : http://courrier.koreaherald.co.kr/SITE/data/html_dir/2002/02/18/200202180020.asp
Article de Kim Hoo-ran sur l’addiction au jeu et le « Korea University Internet Addiction Online Center » : http://english.joins.com/article.asp?aid=20020512232707&sid=600
Lineage (US) : http://www.lineage-us.com
Article sur le champion de Starcraft Lim Yo Han : http://courrier.koreaherald.co.kr/SITE/data/html_dir/2001/07/19/200107190019.asp
Le World Cyber Games : http://www.worldcybergames.com
Article sur World Cyber Games dans The Korean Herald : http://www.koreaherald.co.kr/SITE/data/html_dir/2001/12/06/200112060007.asp

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