Nos données nous rendent-elles sexy ? Vers une urbanité « datasexuelle »

La lecture de la semaine est un article de Dominic Basulto (@dominicbasulto), consultant chez Bond Influence, mis en ligne il y a quelques jours sur le site BigThink où il tient le blog Endless Innovation. Il s’intitule « A la rencontre du datasexuel ». Et il nous est arrivé par Philippe Gargov (@PhilippeGargov), que nous remercions.

« L’esprit du temps qui a fait émerger le personnage du métrosexuel – l’homme urbain obsédé par son style et son apparence physique – est en train de créer son équivalent numérique : le datasexuel. Le datasexuel ressemble à vous et moi, explique Basulto, mais s’en différencie par sa préoccupation pour les données personnelles. Il est continuellement connecté, il enregistre obsessionnellement tous les aspects de sa vie et il pense que ces données sont sexy. En fait, plus nombreuses sont les données, plus il les considère comme sexy. Sa vie, du point de vue des données tout au moins, est parfaitement stylée.

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Image : les data sont sexy et les statisticiens plus encore, via CubitPlanning.

Que cela vous plaise ou pas, les données sont à la mode aujourd’hui sur Internet, avec des entreprises de toutes les tailles qui travaillent en permanence pour inventer des moyens de monétiser toutes ces données personnelles. Les gens, au moyen de tous leurs outils mobiles, créent en ligne des monceaux incroyables de données personnelles, même si la plupart d’entre elles sont si déstructurées et si compliquées à analyser que l’on s’y réfère parfois sous le vocable de « d’épuisement des données« . Et les fabricants d’outils numériques continuent de pondre de nouveaux services qui rendent cool le partage des données avec nos amis, nos collègues, et à l’occasion de parfaits inconnus. Auriez-vous pensé un jour qu’il serait cool de porter autour de votre poignet un bracelet noir affichant vos performances sportives avec des néons lumineux ? Eh bien Nike le pensait – dans l’espoir que son nouvel outil devienne une sorte de symbole de cette urbanité datasexuelle.

Quels sont donc les facteurs qui nous ont menés à la naissance du datasexuel contemporain ?, se demande Basulto.
L’origine du datasexuel provient selon toute vraisemblance de l’infographie toute simple, qui est une manière stylisée et bien designée de faire parler les données du web. Cette tendance a été suivie par celle de la visualisation de données, qui rend encore plus cool de diffuser des données de manières innovantes. Ces outils de visualisation de données ont fini par nous offrir des artéfacts culturels comme les rapports annuels de Nicholas Felton, qui ont donné une forme de coolitude à l’enregistrement obsessionnel de l’activité quotidienne. De là, ne restait qu’une petite étape à franchir avant la naissance du mouvement Quantified Self (le mouvement de quantification de soi) qui promet la connaissance de soi par les chiffres. Les tenants du Quantified Self suivent obsessionnellement la trace de la moindre donnée produite sur eux-mêmes pendant une journée. Et ils nous ont déjà mené à ce que des entreprises privées comme Nike prennent à bras le corps ces données et trouvent des moyens pour les urbains datasexuels d’exhiber à nos yeux leurs parures de données comme un accessoire de mode.

Les vrais datasexuels, cependant, ne s’arrêteront pas aux simples collectes et enregistrements de données provenant du web. Leur obsession les voue à utiliser un nombre toujours plus grand d’outils mobiles et d’applications leur permettant de faire de la parure de données une réalité. Prenez l’exemple de Placeme, une nouvelle application qui est aussi effrayante que futuriste. Placeme s’insère dans la fonction de surveillance d’ambiance d’un outil mobile dans le but d’enregistrer en continu toutes vos données personnelles avec une très grande précision. Imaginez une visite dans un magasin, Placeme pourrait tout enregistrer, la porte par laquelle vous entrez, le temps que vous passez dans chaque allée, la vitesse à laquelle vous traversez chaque secteur. L’application connaît aussi le chemin que vous avez pris pour vous rendre au magasin, combien vous avez dépensé, et elle peut vous recommander la route la plus rapide pour rentrer chez vous alors que vous êtes encore en train de payer.

De la même manière que certains éléments du mouvement métrosexuel ont finalement trouvé une manière de faire leur entrée dans la mode mainstream, la folie datasexuelle commence à basculer dans le mainstream. Tous autant que nous sommes – et pas seulement les datasexuels d’aujourd’hui -, nous serons bientôt équipés d’un nombre extravagant d’outils numériques et de senseurs provenant d’entreprises « cool » comme Apple et Nike. Nous téléchargerons des applications hyper vigilantes comme Placeme sur nos tablettes et nos smartphones. Et nous diffuserons toutes nos données à nos amis et nos relations peut-être avec l’aide d’applications d’attention ambiantes qui tourneront en fonds de nos réseaux sociaux comme Facebook. Si tout évolue selon les plans, cette obsession des données offrira un jour des rétributions qui plairont à Calvin Klein : les gens penseront que vous êtes sexy. »

Evidemment, bien des critiques à faire à ce texte, mais la lecture assidue des derniers numéros de GQ, magazine américain décliné depuis quelques années en français et archétype journalistique de ce qu’on appelle les métrosexuels, montre en effet un goût pour ces outils et ces services d’enregistrement de données. De plus en plus de pages sont consacrées à ces outils technologiques d’enregistrement de données personnelles, notamment liées au sport. Et on voit bien comment cela peut devenir un élément d’une coolitude sexy à venir, l’affichage de ses performances au jogging ou de ses données nutritives. Le passage par le cool, le sexy pour faire entrer dans les mœurs des pratiques qui sont par ailleurs assez effrayantes. En cela, il y a me semble-t-il une intuition pas inintéressante.

Xavier de la Porte

Xavier de la Porte (@xporte), producteur de l’émission Place de la Toile sur France Culture, réalise chaque semaine une intéressante lecture d’un article de l’actualité dans le cadre de son émission.

L’émission du 12 mai 2012 accueillait Joël de Rosnay (@derosnayjoel) pour son nouveau livre, Surfer la vie parue aux éditions Les liens qui libèrent, qui vise à donner quelques principes de vie dans une société fluide.

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0 commentaires

  1. Cette lecture m’a beaucoup amusé pour ma part. Si beaucoup d’usages de la mesure de soi semblent effectivement de l’ordre de la performance, ce n’est pourtant pas le cas de tous. C’est même plutôt l’un des rares endroits où j’ai entendu parler des gens malades, qui avaient des problèmes de poids, de santé, de peau, de sexualité…

    Le but de la mesure de soi n’est pas nécessairement de montrer le côté sexy que peuvent prendre nos données (d’ailleurs beaucoup de données ne sont pas nécessairement publiques), mais avant tout de porter un regard sur soi et pour soi.

    Cela n’enlève rien à l’intérêt de l’extrapolation de Basulto. Car effectivement, notre rapport à soi est d’abord un rapport aux autres.

  2. Le rapport a soi n’est pas d' »abord » un rapport aux autres, par pitie n’en finissont pas deja avec certains philosophe a la mode… entre les deux il peux y a voir d’autres choses : l’ethique, une individuation etc.

  3. Finalement l’exhibitionnisme haletant de la donnée, la quantification de soi, tiennent plus d’une banalisation de la pornographie numérique dans laquelle les dernières générations ont grandi. Ceux-ci construisent des valeurs virtuellement quantifiable, soit. Interrogez-vous seulement. Depuis quand l’homme, emprunt de rationalité, juge-t-il par le nombre, à coup de mètre dans la gueule des plus démesurés ? Depuis combien de temps le narcissique un peu peureux ratiocine-t-il la moindre once de vécue imperfectible ?
    Performances et contre-performances marchent côte à côte, avec la même ivresse des graphiques.
    Finalement la seule chose que l’on évince petit à petit, dans le rapport à l’autre, c’est l’animal qui s’y frotte, la « vraie » sexualité.
    Bande de date-asexuées.

  4. Derrière l’apparente frivolité de l’article on trouve des enjeux considérables : http://www.contretemps.eu/fr/archives/capitalismes-xxieme-siecle-entretien-robert-boyer
    Que pourraient faire les collectivités locales dans une telle affaire ?
    Un bon premier cours de macro-économie devrait commencer comme ceci : « Les chiffres sont muets et sourds à la fois. » Sans contexte, les montagnes de chiffres ne sont que trous noirs à information. L’article et la remarque de Guillaud illustre, à mes yeux, l’absence et le besoin d’une politique publique des données, du big-data, une politique publique qui accompagnerait les populations (élus, agents, usagers) dans la construction d’une « raison statistique ». Il ne suffit pas de mettre une oeuvre d’art sur une place publique pour faire politique publique. Nous apprenons à conduire une voiture. Apprenons-nous à utiliser les chiffres ? Sommes-nous accompagnés dans la découverte de ce territoire inconnu ? Dès lors que cet accompagnement n’est pas fait nous tendrons vers un terrorisme intellectuel de la donnée. Les élus locaux et nous avec ne seront plus que des bouées agitées par les courants des jeux de données personnelles et publiques.
    Monsieur de la Porte, est-il possible d’entendre sur France Culture M. Boyer et d’autres s’exprimer à ce sujet ?

  5. J’éprouve de la tristesse à la lecture de cet article. Voir tous ces gens s’exciter (y compris sexuellement) … à leur propre perte… Et mes petits enfants devenir des branleur(euse)s du smartphone comme ça? Les grandes entreprises et les gouvernements ont semble-t-il fort bien compris que tout le monde voudra avoir un bracelet électronique, se fliquera soi-même – et/ou les autres, peu importe-, si on package ça en joli-joujou-techno-très-cher-mais-qu’on-ne-paye-jamais… en monnaie. On paye -mais alors là cash- en servitude. Et la maison ne fait pas crédit en la matière. La Boétie avait sans doute largement sous-estimé la jouissance de la servitude volontaire. On voit maintenant à quel point.