PDF 2015 : de la communication gouvernementale au réchauffement climatique

Le Personal Democracy Forum de 2015 qui s’est tenu le 12 juin à la Gaité Lyrique, était plutôt tourné vers les formes classiques de l’action politique que ce soient celles adoptées par les gouvernements, les partis ou les groupes militants. Le forum a été ouvert par Thierry Mandon, à l’époque secrétaire d’État chargé de la Réforme de l’État et de la simplification (il a été depuis nommé à l’Enseignement Supérieur et à la Recherche). Celui-ci a mis en avant les atouts de la France dans la réflexion sur le rôle possible de la société civile dans la gouvernance de demain, notamment via le numérique. Notre pays a du reste rejoint il y a un peu plus d’un an l’Open Government Partnership, une organisation internationale chargée précisément de redéfinir le rôle des citoyens au sein d’un gouvernement plus ouvert et transparent. La France devrait d’ailleurs en prendre la présidence au cours de l’année 2016.

Selon Thierry Mandon, notre démocratie boite parce qu’à l’origine elle reposait sur deux piliers : la démocratie représentative et la démocratie directe. Or cette dernière s’est réduite avec le temps comme une peau de chagrin. Mais surtout, avec le numérique et les nouveaux processus de décision qu’il permet, on ne peut plus, de toute façon, se contenter de ces deux axes. D’où la nécessité de construire un troisième pilier : la démocratie collaborative, ou continue, qui consiste à élaborer un espace public où les idées circuleront et où les politiques publiques seront interrogées avant d’être élaborées.
S’agira-t-il d’un simple moyen pour revitaliser la démocratie représentative telle que nous la connaissons, ou de quelque chose de plus, d’un territoire inconnu susceptible de devenir, à son tour, un nouveau mode de pratique démocratique ?

Le secrétaire d’État a annoncé pour le mois de septembre une expérience de participation des citoyens à la fabrique de la loi. Sur le texte qui reste à choisir, ceux-ci pourront proposer des amendements qui seront ensuite triés et analysés en commission parlementaire.

On ne peut certes que se féliciter de telles initiatives, mais comment ne pas s’interroger sur l’avenir de ce gouvernement ouvert et les limites de cette « fabrique de la loi » par les citoyens et ce alors que passe simultanément la loi sur le renseignement dénoncée par nombre de collectifs citoyens ?

Le prochain Obama sera-t-il britannique ?

Le premier panel portait le titre « le prochain Obama sera-t-il britannique ? » et réunissait trois acteurs de la communication gouvernementale ou politique de Grande-Bretagne.

Nous avons déjà parlé de Russell Davis dans nos colonnes, et la conférence sur les sites gov.uk reprend très largement les propos qu’il avait tenus à Lift. Davis, directeur de la stratégie du service numérique du gouvernement britannique, a annoncé rien de moins que la mort de la communication, qui doit se transformer maintenant en services. Autrement dit, les sites publics doivent donner un accès plus rapide aux informations, que ce soit sous la forme de questionnaires personnalisés ou d’interfaces simplifiées. Les sites de gov.uk sont d’ailleurs tous normalisés, basés sur le même template, pour permettre à l’internaute de s’y retrouver plus facilement. Tout cela paraît pourtant évident pour qui a déjà erré sur un site d’information publique en quête de renseignement… Certes, cette nouvelle conception de l’action publique manque peut-être de romantisme. À propos de ses troupes, Russel Davies explique : « il ne s’agit pas de héros, juste d’équipes faisant un truc ennuyeux« . Et de conseiller d’éviter l’innovation tant qu’un système ne marche pas. L’objectif doit rester avant tout de faciliter la vie de l’utilisateur. « Le but n’est pas le numérique, c’est la simplicité qui est offerte par celui-ci. »

L’intervenant suivant, Dominic Campbell, a affiché certaines différences d’approche par rapport à Davis. Lui se place ouvertement dans le camp des innovateurs. L’organisation qu’il a créée, Futuregov.com, aide de nombreux États à rénover leurs services, en Grande-Bretagne bien sûr, mais également en Australie, aux États-Unis et en Europe. Il se concentre surtout sur les services locaux.

Pour lui, Il ne faut pas oublier l’aspect politique des choses. C’est une bonne avancée qu’améliorer les services numériques destinés au particulier, mais on oublie souvent les problèmes rencontrés par ceux qui travaillent au sein des administrations, et qui n’ont à leur disposition que des outils difficiles et mal conçus. En fait, c’est l’organisation même de l’État qui doit être questionnée. Il ne s’agit pas seulement de réparer, mais de recréer : « si vous deviez tout recommencer à zéro, comment feriez-vous ?« , a demandé Campbell. Il ne suffit pas de créer des outils techniques, mais de repenser complètement la fonction du gouvernement. « Nous devons passer du e-governement au « we-governement« , impliquant une plus large participation de tous.

Comment refonder complètement les services publics ? Pour Campbell, l’État doit cesser d’être un donneur d’ordre et devenir une espèce de « community manager ». Et de se demander par exemple, quel doit être le Airbnb de la protection de l’enfance, et quelle serait une approche « Silicon Valley » de la sécurité sociale. Sa démarche est donc résolument disruptive, bien qu’il ait souligné à plusieurs reprises la nécessité de travailler avec l’existant et qu’une telle ambition ne s’adapte pas à tous les domaines.

Un exemple d’application pratique des thèses de FutureGov se nomme Casserole. Ce service en ligne permet à tout un chacun de préparer des menus pour des voisins qui pour une raison ou une autre (personnes âgées, handicapées, etc.) ne sont pas en mesure de cuisiner par elles-mêmes. Cela renforce les liens sociaux et de voisinage. Le gouvernement local joue un rôle de facilitateur au sein de cette communauté horizontale. Évidemment, on peut se poser des questions sur le projet de FutureGov. Il me semble qu’il s’inscrit bien dans celui de David Cameron sur la « Big Society« . Assistera-t-on réellement à une culture participative, ou est-ce un moyen pour l’État de se désengager de la protection sociale ?

Sam Jeffers, directeur EMEA de l’agence Blue State Digital, est ensuite revenu sur « la campagne numérique réussie qui a échoué ». Autrement dit, il a analysé les aspects numériques de la campagne travailliste de 2015, un modèle du genre. Ce qui pourtant n’a pas empêché une victoire écrasante (et inattendue) du parti conservateur de David Cameron.

Selon Sam Jeffers, il y a trois éléments dans une campagne : le message, l’argent, et la mobilisation.

Pour le premier, outre le travail classique de production de slogans, les équipes ont également imaginé des formules innovantes comme l’appli « Tell me my baby number« , en hommage à la NHS (sécurité sociale anglaise),créée par le parti travailliste en 1948 et dont les Britanniques sont en majorité très satisfaits. L’internaute pouvait grâce à ce court questionnaire en ligne savoir son rang de naissance parmi les personnes nées depuis 1948. Cela semble sympathique, mais est-ce que cela est très mobilisateur ?

Des vedettes comme Russell Brand sont intervenues en faveur du Labour. Les équipes ont également joué la carte de l’humour : le champion des travaillistes, Ed Miliband, n’est pas connu pour ses capacités sociales. Mais un Ed Miliband « fan group » (#milifandom) a sorti plusieurs photos truquées et « sexy » du leader travailliste : bref, on a favorisé la créativité des militants. Dans un registre plus sérieux, le programme du parti était disponible pour qui le souhaitait sur la toile en format PDF.

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L’argent, nerf de la guerre, était procuré par du merchandising, des sacs, des tee-shirts, etc. Et les équipes ont lancé une campagne de crowdfunding par mail très simple d’usage et très rapide.

Pour la mobilisation, un système d’inscription en ligne facilitait le travail militant. Ceux qui désiraient participer à la campagne obtenaient aisément les infos dont ils avaient besoin : savoir qui contacter, quel nombre de votants obtenir dans la circonscription. Ils pouvaient également partager leurs votes sur les réseaux sociaux.

Pourtant, malgré l’énergie dépensée, les travaillistes ont perdu, et largement. Cameron se retrouve avec une majorité confortable. Qu’est-ce qui n’a pas marché ? Toutes les bonnes volontés ne suffisent pas, a expliqué Sam Jeffers. Au plan financier notamment, les conservateurs disposaient de bien plus d’argent : 50 millions de livres contre seulement 15 du côté travailliste. Pas sûr que l’argent explique seul ce revers. Le ton de la campagne travailliste – hésitante – et le choix de son leader contesté jusque dans ses rangs, rapportait Le Monde au lendemain des élections britanniques, est certainement un meilleur facteur explicatif.

Heurs et malheurs de la communication gouvernementale

Romain Pigenel, directeur adjoint en charge du numérique au Service d’Information du gouvernement nous a entretenu des malheurs de la communication gouvernementale française. Car la chose n’est pas simple. Tout d’abord, l’État, c’est quelque chose de très abstrait. Ce n’est même pas une organisation, c’est une organisation d’organisations. En plus, le moins que l’on puisse dire est qu’il souffre d’un grand discrédit auprès des internautes.

Mais surtout, l’écosystème du web ne favorise guère le gouvernement. La métaphore du net actuel, a expliqué Romain Pigenel, c’est la timeline. Chacun est constamment bombardé d’informations, de news de tweets, qui se succèdent à une vitesse effrénée. Et en plus, tout le monde est émetteur. L’État se retrouve en concurrence non seulement avec d’autres organisation ou institutions, mais également avec Nutella, l’Oréal, Buzzfeed ou Universal Studios. Pourtant malgré ce constat déprimant, 59 % des internautes utilisent le net pour s’informer sur les mesures et les réformes du gouvernement et 30 % estiment qu’il n’est pas assez actif sur les réseaux sociaux…

Pour faire passer sa communication, il faut donc impérativement, mobiliser un peu du temps de cerveau disponible de l’internaute.

Une première méthode consiste à faire du « hacking attentionnel ». Cela revient à repérer quand des conversations se forment sur le web, pour s’y insérer.
Un exemple : ce qui a été fait avec la série House of Cards, qui a donné lieu a un jeu de ping-pong entre Canal+ et le gouvernement, Canal+ mettant en avant les manips les plus odieuses des personnages tandis que l’État montrait comment cela se passe en France. Par exemple, Canal+ publiait un tweet avec James Belushi et en légende : « avec lui les journalistes n’ont qu’à bien se tenir« , auquel répondait un tweet gouvernemental nous informant qu’en France le gouvernement autorisait maintenant le financement d’entreprises de presse par des particuliers.

De même, la sortie de Jurassic World a permis d’annoncer la Cop21, la conférence sur le climat qui se tiendra bientôt à Paris, en nous rappelant que les espèces qui disparaissent aujourd’hui ne pourront être ressuscitées demain – apparemment le gouvernement n’a pas entendu parler du mouvement de la dé-extinction ! Et pour vanter les mérites de l’homme augmenté de la French Tech, on profite bien sûr de la sortie du nouvel opus des Avengers, pour proposer un super héros à la française

Une autre méthode consiste à prendre en compte les critiques et mettre les rieurs de son côté. C’est le propos du « bingo du repas de famille« . Les communicants ont rassemblé par crowdsourcing un ensemble des formules toutes faites qu’on risque d’entendre lors d’une réunion (un peu arrosée) et auxquelles on peut désormais opposer une série d’arguments en faveur de l’action gouvernementale. Par exemple si on tire la carte « Les politiques, tous pourris », on peut opposer l’argument suivant : « Voilà une belle caricature ! Mais tu as raison : les responsables politiques ont un devoir d’exemplarité ! C’est pour cela que de nouvelles procédures de transparence ont été mises en place par ce gouvernement. Elles ont montré leur efficacité. »

Enfin Romain Pigenel a proposé de ressortir la bonne vieille image d’Épinal, en ressuscitant le fameux coq gaulois qui fit le bonheur de nos (arrière ?) grands-parents. Apparemment, lui n’a pas été éliminé par le réchauffement climatique. Pas sûr que ces effets de manche parviennent à convaincre bien plus que les plus convaincus.

Numérique et écologique : deux transitions qui s’articulent ?

La seconde partie de la matinée était consacrée à la question de savoir si « l’internet peut sauver le climat. Le chercheur et militant Christophe Aguiton, a précisé d’emblée qu’il ne serait pas beaucoup question dans le débat de l’usage de technologies susceptibles de changer les comportements, mais plutôt de celui des réseaux dans les mobilisations sur le climat. A ses côtés, la blogueuse Anne-Sophie Novel a présenté son projet de place to B, qui se tiendra pendant la Cop21. Elle s’est inspirée de son expérience à Copenhague en 2009, et en a retiré les leçons pour organiser un « lieu d’activisme 2.0 » dans une auberge de jeunesse près de la Gare du Nord. Là se réuniront artistes, blogueurs, journalistes, concepteurs de jeux qui pourront ainsi collaborer à créer un nouveau type d’information et de discours sur les enjeux climatiques.

Nicolas Haeringer représentait lui 350.org, un groupe rassemblant une centaine de personnes se consacrant à l’élaboration de campagnes de mobilisation, et qui fonctionne beaucoup en ligne. Et justement, a-t-il précisé, une organisation d’environ 100 membres utilise en moyenne l’équivalent énergétique de 14 voyages aller-retour Paris-New York par an uniquement pour ses emails en interne. Et de rappeler que l’ensemble des serveurs du monde consomme l’équivalent de la production de 30 centrales nucléaires : Twitter équivalant grosso modo à une ville de 20 000 habitants. La question est moins donc de savoir si internet peut sauver le climat que se demander s’il peut cesser d’être un problème pour celui-ci, et devenir un outil, de mobilisation notamment, pour aider dans ce domaine.

Il est ensuite revenu sur les résultats produits par les négociations institutionnelles entre partenaires de l’ONU. Cela fait 23 ans que des discussions sont en cours, et entre temps, les gaz à effet de serre ont augmenté de 60 %. Manifestement, cela ne fonctionne pas. Et les mobilisations citoyennes n’ont pas réussi à changer le cours des choses. Pourtant, il y a des raisons d’espérer. Ainsi, la marche de New York pour le climat, qui a eu lieu en septembre 2014, a été un franc succès : entre 400 000 et 500 000 participants dans la ville américaine, 800 000 dans le monde entier, puisque la manifestation s’est étendue bien au-delà de la Grosse Pomme. D’autres éléments vont dans le sens d’un regain d’espoir, comme les campagnes de désinvestissement, destinées à convaincre les acteurs économiques de cesser de mettre l’argent dans des industries polluantes. L’intérêt de ces initiatives tient grandement au fait qu’elle déborde les mouvements sociaux traditionnels, et repose largement sur la mobilisation en ligne et fait un large usage des réseaux sociaux. Pour la première fois, des gens qui ne se rencontraient pas se réunissent pour une même cause.

Laurence Monnoyer-Smith, commissaire générale au Développement durable, a insisté sur « la créativité de folie existant dans les territoires« . Pour elle, l’État doit jouer le rôle de facilitateur. Une première action consiste à recenser l’ensemble des initiatives citoyennes pour donner à voir ce qui se passe réellement. Une autre action envisagée consiste à s’inspirer des discussions du débat citoyen planétaire, une série de mini-débats regroupant chaque fois une centaine de personnes dans 75 pays, pour faire rebondir ces débats chez nous et évaluer le ressenti de la population française.

La matinée s’est terminée par une intervention Daniel Kaplan, délégué général de la Fondation internet nouvelle génération et éditeur d’InternetActu, qui nous a présenté un nouveau projet de la Fing. Il s’est interrogé sur la difficulté de communication entre les deux grandes transitions majeures de ce siècle. La transition écologique a un but, mais ne possède pas ou peu de leviers d’actions, tandis que le numérique dispose d’une force de transformation inégalée, mais n’a pas vraiment de but. Cette nouvelle initiative, s’inspirant du célèbre Whole Earth Catalogue lancé par Stewart Brand dans les années 60-70, aura pour objectif de faire fusionner ces deux grands domaines. Peut-on rendre la transition écologique aussi sexy, marrante, et addictive que la transition numérique ? L’intention de ce futur « dé-catalogue » est de sélectionner les initiatives susceptibles d’avoir un impact important. On ne s’attachera pas aux intentions trop modestes.

On était, a conclu Daniel Kaplan en citant une formule de Bernard Stiegler, dans « le blues du numérique ». Mais peut-être l’apparition d’un nouveau but peut-il changer les choses ?

Rémi Sussan


Vidéo : le live-stream du Personal Democracy Forum France 2015.

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