Transitions : les 7 leviers de la révolution numérique

Quand on évoque l’apport du numérique à nos sociétés, on dit souvent qu’il est une révolution en observant surtout certains de ses effets, particulièrement sa capacité a favoriser la collaboration… Pourtant, son rôle « capacitant » n’est qu’un des aspects de l’action du numérique, qui ne doit pas nous faire oublier les autres : sa capacité d’optimisation, sa capacité à « cognitiser » le monde comme le dit Kevin Kelly, à le rendre ouvert et transparent, à le rendre agile, à renforcer l’innovation…

Dans le cadre du travail de prospective sur les Transitions qu’elle vient de publier, la Fing distingue 7 leviers, 7 impacts du numérique sur les transformations du monde. Autant de moyens de mieux comprendre sur quoi agit le numérique. Ce qu’il remet en cause. En quoi et comment le numérique est une révolution.

On dit volontiers que la ‘révolution numérique’ va transformer tous les domaines d’activité humaine, tous les secteurs économiques, tous les métiers. Mais de quelle manière ? Comment le numérique active-t-il les transitions ?

« L’incidence de la technologie sur l’économie se diversifie et se complexifie. En plus de la structuration et de la croissance d’une filière numérique de plus en plus puissante, il faut tenir compte d’au moins huit effets.

Comme dans l’époque antérieure d’informatisation, il y a d’abord tous les effets d’automatisa­tion avec accroissement corrélatif de la productivitédes facteurs : productivité du travail ; du capital fixe et circulant ; de l’énergie et des matières premières.

Mais à cela s’ajoutent les effets de dématérialisation : substitution d’internet aux réseaux physiques d’agences, de guichets et de magasins ; déformation de la traditionnelle courbe des coûts décroissants en fonction de la longueur des séries, en une courbe de production en équerre avec un fort investissement sur l’innovation et le prototypage et des coûts de reproduction quasi nuls ; baisse des coûts de transaction et remise en cause du périmètre des firmes.

Il faut enfin tenir compte des effets d’intermédiation/ désintermédiation sur les business-models, avec le rôle nouveau jouépar les personnes – àla fois producteurs et consommateurs – et avec l’enjeu de la donnée et la ressource qu’elle représente pour l’optimisation et la réinvention des métiers existants ainsi que pour la structuration d’écosystèmes innovants. »

Philippe Lemoine, La nouvelle grammaire du succès – La transformation numérique de l’économie française, 2014

Nous avons choisi de décrire 7 leviers numériques qui, à des degrés divers, nous semblent aujourd’hui à l’oeuvre partout où le numérique remet en cause les ordres établis : optimal ; soft ; smart ; distribué / capacitant ; open ; disruptif ; agile.

7leviersCercle

Bien sûr, les leviers numériques ne sont pas les seuls leviers de transition. L’angle numérique invite même, très vraisemblablement, à en sous-estimer d’autres, par exemple la résilience ou la frugalité. Nous vous invitons à enrichir à votre tour la liste des leviers génériques des transitions, ceux que l’on retrouve dans la plupart des secteurs et des domaines.

Optimal

De quoi parle-t-on ?
Le numérique, c’est aussi (voire, historiquement, d’abord) l’informatique et son usage gestionnaire au service de la rationalisation et l’optimisation des processus, ainsi que de l’efficience et l’efficacité des organisations.

Le numérique n’exclut donc pas les schémas organisés (‘systèmes d’information’), la gouvernance, le pilotage politique, voire le dirigisme. C’est un champ de normes et de règles techniques et organisationnelles, pouvant se traduire en réglementation, en procédures, en surveillance. Il fournit des outils de pilotage, des tableaux de bord : outils de décision et de gestion prévisionnelle, systèmes d’évaluation, monitoring urbain. Il met en place des processus structurants et permet le contrôle par l’architec­ture même des systèmes et de l’accès aux données.

« Une des perspectives les plus fascinantes ainsi ouvertes est celle de la conduite rationnelle des processus humains. (…) Ne pourrait-on imaginer une machine à col­lecter tel ou tel type d’informations, puis à déterminer en fonction de la psychologie moyenne des hommes et des mesures qu’il est possible de prendre à un moment déterminé quelles seront les évolutions les plus probables de la situation ? Ne pourrait-on même concevoir un appareillage d’État couvrant tout le système de décisions politiques ? »
P. Dubarle, « Vers la machine à gouverner », à propos de la cybernétique, 1948

Principaux attributs transformateurs
Les principaux facteurs de transformation associés à l’informatisation des organisations et des processus peuvent être schématiquement classés comme suit :

  • Modélisation et automatisation : analyser et décrire un processus, pour en éliminer les imperfections et l’encoder dans un programme informatique.
  • Dématérialisation : assurer la continuité numérique des processus en éliminant les interactions humaines.
  • Interconnexion, accélération et ubiquité : permettre aux processus d’agencer en temps réel des composantes et des intervenants différents, situés en différents points géographiques.
  • Sécurisation : protéger les systèmes et les données, contrôler les droits, produire des preuves.
  • Mesure, évaluation et décision : mesurer l’activité à mesure qu’elle se produit, déclencher des alertes et/ou des actions, asseoir les décisions humaines sur des données et des modèles.

Principales limites
L’informatisation a souvent, dans un premier temps, pour effet d’optimiser l’existant plutôt que de le transformer. Ce faisant, elle libère des ressources (financières, mentales, matérielles…) qui pourront à leur tour mobiliser d’autres leviers numériques aux effets plus profondéments transformateurs.

À elle seule, en revanche, l’informatisation peut au contraire ralentir ou empêcher la transformation d’un système :

  • En figeant de manière excessive, par le code, le fonctionnement de l’organisation et le rôle des acteurs.
  • En réduisant le champ d’initiative des collaborateurs.
  • En formalisant les relations.
  • En déshumanisant à l’excès les processus…

À l’inverse, l’informatisation peut transformer une activité au point de la rendre difficilement contrôlable par les humains auxquels elle est censée bénéficier : c’est le reproche fait au ‘High Frequency Trading’, dans le champ de la finance.

« Le code fait loi »
Lawrence Lessig, « Code is Law », Harvard Magazine, 2000 (traduit en Français par Framablog)

Quelques domaines que l’informatisation ‘gestionnaire’ transforme ou pourrait transformer

  • Le pilotage automatique d’appareils complexes (avions, centrales nucléaires…), dans un équilibre délicat entre optimisation fine (souvent hors de portée des humains) et déférence à la décision humaine.
  • Le ‘parcours de soins’ dans le domaine de la santé.
  • La mondialisation de la production et des chaînes d’approvisionnement, le ‘zéro stock’, les délocalisations et l’offshoring.
  • La complexification des produits financiers et leur trading mondialisé, automatisé, en temps réel.

Soft

De quoi parle-t-on ?
À mesure que tous les domaines d’activité s’informatisent et s’interconnectent, que toutes les organisations et la majorité des individus de la planète sont connectés et ‘joignables’, le numérique devient la source essentielle de toute innovation, de toute transformation, de tout avantage concurrentiel.

Le logiciel et les données dévorent le monde : l’informatique organise la conception, la production, la distribution et le cycle de vie des produits. Elle structure et pilote le fonctionnement des marchés et des chaînes d’approvisionnement. Elle organise le flux de la matière, de l’information et des finances. Elle assure à la fois la mesure continue du fonctionnement des systèmes économiques et sociaux et l’analyse des données recueillies. Qui tient les données et définit les algorithmes, contrôle le secteur d’activité concerné.

« Il y a une app pour ça » : le logiciel se substitue même à des appareils physiques – le magnétophone, le baladeur, l’appareil photo, la boussole, la lampe de poche… sont désormais des ‘apps’ contenues dans un même appareil, le smartphone.

« Le logiciel dévore le monde. L’internet a désormais atteint une taille et une envergure telles qu’il devient économiquement viable de bâtir de très grandes entreprises spécialisées dans un seul domaine, reposant sur une innovation transformatrice qui réside entièrement dans le code informatique. »
Marc Andreessen, interview dans Wired, 2012

Principaux attributs transformateurs
Le rôle déterminant des données et du logiciel dans la transformation de tous les secteurs d’activité s’exprime au travers de cinq attributs :

  • L’immatériel : les objets immatériels sont non-rivaux (les partager ne nous en prive pas) et leur coût marginal de production est nul (rendements croissants), ce qui rend les règles classiques de l’économie de marché difficilement applicables.
  • L’abaissement des barrières : les ressources du cloud et l’existence de compo­sants logiciels web pour la plupart des fonctions nécessaires, permettent de lancer des services à l’échelle mondiale en très peu de temps, pour très peu cher.
  • La programmabilité : tout processus, tout objet, est d’emblée analysé, conçu et décrit sous la forme d’un modèle numérique. Ses propriétés prennent la forme de programmes informatiques. Il suffit de les ‘reprogrammer’ pour les transformer.
  • La modularité : toutes les composantes d’une chaîne de valeur fonctionnent comme des ‘services’ autonomes, qui s’assemblent de manière dynamique 4 et substituable. Le fait qu’un service provienne de l’intérieur ou de l’extérieur de l’entreprise a peu d’importance.
  • La plasticité : tout service existe en version ‘Beta permanente’ et peut changer plusieurs fois par jour ; il peut y avoir plusieurs versions du même service en exploitation, voire une version différente par utilisateur.

Principales limites

  • Le monde matériel se venge : l’empreinte physique et énergétique du numérique est de plus en plus profonde et il faudra un jour en mesurer le coût.
  • Pour Apple, le logiciel est avant tout un moyen de vendre du matériel, pas l’inverse.
  • On s’attache aux objets, pas aux logiciels, et c’est pour des objets (ou parfois des services), pas des logiciels, que les consommateurs sont prêts à payer.

Quelques domaines que le logiciel et les données transforment ou pourraient transformer

  • Des secteurs entiers sont désormais dominés par des entreprises qui sont avant tout numériques : les biens culturels (Amazon, ITunes, Netflix), la publicité (Google), le tourisme (Booking, Airbnb, Expedia…).
  • Les nouveaux moyens de transport fonctionnent presque exclusivement à base de logiciel : Velib, et plus encore Blablacar ou les plateformes d’autopartage. Et la différence entre le TGV et idTGV réside presque exclusivement dans leur plateforme logicielle.
  • Des plateformes telles qu’Uber, 99designs ou Taskrabbit restructurent les métiers du taxi, du graphisme ou des services à la personne autour de places de marché, assumant pour seule responsabilité celle de faire se rencontrer l’offre et la demande à un instant donné.
  • Des intégrateurs informatiques tels qu’IBM se positionnent sur des marchés de services urbains (la distribution d’eau à Malte, l’intégration de services de secours à Rio), sous-traitant certaines activités aux opérateurs de services urbains traditionnels. Le ‘smart’ est une extension du ‘soft’ à l’échelle de systèmes entiers.

Smart

De quoi parle-t-on ?
En informatique, un système ‘smart’ est doté de capacités de mesure et de traitement qui lui permettent de s’autoréguler, d’anticiper les problèmes à venir et d’apprendre du passé.

Par extension, l’adjectif ‘smart’ s’accole aujourd’hui à toutes sortes de noms de ‘systèmes complexes’ (un bâtiment, une ville, des réseaux de transport ou de distribution d’énergie…) pour décrire la manière dont l’informatique pourrait les aider à mieux se piloter et à s’améliorer, en particulier en matière :

  • de productivité et d’efficacité,
  • de qualité et d’efficience, énergétique notamment,
  • de sécurité et de fiabilité,
  • de souplesse et d’adaptabilité, tant aux conditions extérieures qu’à chaque ‘utilisateur’.

Principaux attributs transformateurs
Les 7 caractéristiques structurantes des systèmes ‘smart’ sont les suivantes :

  • La mesure : détecter, enregistrer tout ce qu’il se passe dans le système, souvent en temps réel.
  • Le décloisonnement : dépasser les frontières traditionnelles des métiers, secteurs, organisations, etc., pour croiser les informations, modéliser les interactions et agir de manière transversale.
  • La ‘métabolisation’ : des circuits décisionnels entièrement automatiques allant de l’intégration de données hétérogènes jusqu’à l’envoi d’instructions à des agents ou des machines, en passant par des calculs complexes en vue de comprendre (big data) et de décider. Le système fonctionne un peu comme un organisme vivant, qui optimise et sécurise son propre fonctionnement.
  • L’anticipation : doter le système de capacités d’apprentissage, de détection avancée de problèmes, d’anticipation et de prévision ainsi que de la capacité de recommander ou de prendre des mesures préventives.
  • L’hybridation : faire interagir les dimensions numérique (données, modèles…) et physique (personnes, objets, espaces, environnement…), en permanence, sans couture et souvent – pas toujours -, sans intervention humaine.
  • La servicialisation : considérer chaque fonction, chaque entité du système comme un ‘service’ autonome, fourni à la demande aux utilisateurs comme aux autres entités, assorti de conditions d’accès et d’obligations de perfor­mance – et éventuellement substituable par d’autres ‘services’.
  • La gouvernance : proposer aux opérateurs des vues à différentes échelles (depuis l’échelle micro-locale ou celle d’un sous-système donné, jusqu’à l’échelle globale), qui les aident à comprendre le fonctionnement du système et les interac­tions en son sein, à le piloter au quotidien ainsi qu’à explorer, discuter et arrêter des options stratégiques.

Principales limites

  • Une approche très intégrée qui perd de vue la principale force des systèmes complexes : leur diversité, leur résilience, leur capacité d’adaptation. La grande sociologue Saskia Sassen évoque ainsi ‘l’obsolescence programmée’ des smart cities.
  • Une dérive hiérarchique (voire autoritaire) naturelle, où la logique du système prime sur celle de ses utilisateurs. La ‘gouvernementalité algorithmique’ qu’étudie Antoinette Rouvroy se passe volontiers de discuter avec ses ‘sujets’.
  • Des systèmes fondés sur une surveillance permanente : si tout se mesure, tout se sait…
  • Optimiser les systèmes pour ne pas les changer ? L’informatisation peut venir ‘figer’ les systèmes et les relations entre les acteurs.

Quelques domaines que le ‘smart’ transforme ou pourrait transformer
Parmi les occurrences les plus fréquentes du ‘smart’ :

  • Smart grid : « prendre en compte les actions des acteurs du système électrique, tout en assurant une livraison d’électricité plus efficace, économiquement viable et sûre » (source : Commission de Régulation de l’Energie, France).
  • Smart home/building : des bâtiments efficients en énergie, connectés à leur environnement et mis au service des besoins de leurs occupants.
  • Smart transport/mobility : relier infrastructures et véhicules, transports publics et individuels, outils d’information et de gestion du trafic, dispositifs tarifaires et de contrôle… pour une mobilité plus fluide, plus verte et plus sûre.
  • Smart industry : « l’industrie connectée, de la conception à la fabrication, où tout est réalisé en interaction entre les produits et les machines, et les machines entre elles » (source : salon Smart Industries 2015).
  • Smart city : « quand les investissements en capitaux humains, sociaux, en infrastructures d’énergie, de flux alimentent un développement économique durable ainsi qu’une qualité de vie élevée, avec une gestion avisée des ressources naturelles, au moyen d’une gouvernance participative » (Wikipédia).

Distribué, capacitant, collaboratif

De quoi parle-t-on ?
De la distribution large de l’information et des capacités, voire du pouvoir : l’internet est décentralisé, le web permet à tout le monde de publier, les Fab Labs distribuent la capacité de concevoir et réaliser des objets physiques. Une part de la culture numérique est libertaire, valorisant les contre-pouvoirs et le hacking, les individus et leurs communautés face aux institutions. Les frontières entre amateurs et professionnels s’estompent.

De l’horizontalité des échanges : les usages numériques se déroulent souvent entre pairs, échappant aux instances officielles, à l’autorité des sachants comme aux points de péage des commerçants. Les marchés (re)deviennent des conversations, les ‘commu­nautés’ en ligne ou hybrides deviennent des espaces d’échange et de vie.

De collaboration : une part de l’économie devient ‘collaborative’ ; de vastes mou­vements politiques émergent de nulle part ; des connaissances ou des objets inédits prennent forme à partir de collectifs en ligne ; l’innovation devient ‘ascendante’ (par l’usage) ou ‘ouverte’ et repose sur des ‘écosystèmes’ ; des biens communs naissent et évoluent dans la durée, tels que Wikipédia, les logiciels libres ou Arduino…

« On peut voir la démocratie de la multitude comme une société open source, permet­tant à tous de collaborer à la résolution de ses problèmes et de créer des programmes sociaux plus performants. »
Michael Hardt et Antonio Negri, Multitudes, La Découverte, 2004

Principaux attributs transformateurs
Les dynamiques d’empowerment, d’horizontalisation et de collaboration très puissantes dans le numérique reposent sur quatre attributs essentiels :

  • L’extension du domaine de l’immatériel : en transformant tout ce qui peut l’être en données et en logiciels, en reculant autant que possible le moment de la ‘matérialisation’ (d’un objet, d’une relation), on étend également les possibilités de partage, de collaboration et de recombinaison.
  • L’outillage et l’interconnexion des individus – utilisateurs comme collabora­teurs -, le plus souvent à leur initiative et (au moins pour partie) sous leur contrôle.
  • Des dispositifs d’intelligence collective, de co-conception et de co-production, d’immatériel comme d’objets matériels.
  • Des plateformes d’échange, de partage, de publication, de valorisation, dont le modèle économique structure dans une large mesure les échanges.

Principales limites

  • L’empowerment est aussi une affaire de compétences et de capital social, qui sont très inégalement répartis.
  • La distribution des capacités de production et d’expression profite aussi aux marchands de haine et aux réseaux terroristes.
  • La collaboration fonctionne mieux sur des projets bien délimités que pour défricher des terrains neufs ; politiquement, elle est plus efficace dans la contestation que dans la construction d’alternatives viables.
  • La production collective de la ‘multitude’ est aujourd’hui capturée par un petit nombre de grandes plateformes, jusqu’à produire de nouvelles formes d’exploitation voire de prolétarisation.

« Internet devait abolir les distances, accroître la liberté d’expression, augmenter l’intelligence collective, promouvoir le potentiel de la gratuité, décentraliser le pouvoir et résister à tous ceux qui souhaiteraient en prendre le contrôle. Force est de constater que ces finalités touchent à présent à leur fin. Les frontières sont réintroduites. La liberté d’expression est de plus en plus encadrée. Les capacités restent très inégale­ment réparties. Le pouvoir est plus centralisé que jamais. »
Boris Beaude, Les fins d’Internet, Fyp, 2014.

Quelques domaines que l’empowerment et la collaboration transforment ou pourraient transformer

  • Transformation par la distribution du ‘pouvoir d’agir’ : du ‘journalisme participatif ’ (tout événement, ou presque, est aujourd’hui filmé) aux ‘lanceurs d’alertes’ et dissidents, en passant par les sites d’avis et de commentaires.
  • Transformation par la collaboration : la cartographie (de la terre comme du ciel), le Do It Ourselves (Fab Labs, communautés de makers, DIY Bio, drones, prothèses…), projets open source (logiciels, robots, open hardware…).
  • Transformation par les échanges ‘de pair à pair’ : la musique ; la finance, avec le crowdfunding ou le crédit entre particuliers ; le commerce, avec LeBonCoin ou des plateformes de vente d’objets autoproduits (Etsy).

Open

De quoi parle-t-on ?
L’adjectif ‘ouvert’ connaît une extraordinaire fortune depuis les années 1990, au croisement des aspirations politiques ayant conduit à la chute du Mur de Berlin (la « société ouverte » de Karl Popper et de la fondation de George Soros) ; de la cyberculture, dont sont en particulier issus les ‘standards ouverts’ comme l’open source ; et d’une génération d’entrepreneurs adeptes du mouvement plutôt que des guerres de position, inspirateurs de l’open innovation.

L’ouverture est ainsi devenue une valeur autonome, porteuse de qualités généralement (mais pas unanimement) considérées de manière positive :

  • La transparence et la responsabilité des décideurs et des institutions,
  • La ‘démocratisation’ de l’accès aux ressources, services, produits considérés,
  • Le caractère participatif ou collaboratif des décisions collectives,
  • La diversité et la fluidité des acteurs, des propositions, des points de vue…

« Industrie, éducation, culture, science, mobilité, production, information… dans tous les domaines, de plus en plus les données sont libérées, les savoirs partagés, les secrets de fabrication révélés. Certains y voient une menace, d’autre des opportuni­tés presque sans limites. »
Louis-David Benyayer, Open Models, 2014.

Principaux attributs transformateurs
À la multiplicité des occurrences de ‘l’ouverture’, correspond une série d’attributs qui peuvent tous jouer un rôle transformateur dans les domaines auxquelles ils s’appliqueraient :

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Principales limites

  • Tout le monde n’est pas égal face à l’‘open’ : l’open data profite avant tout aux grands spécialistes (américains) des data, l’open innovation permet à quelques grandes plateformes d’exploiter des millions de micro-entrepreneurs…
  • ‘Maoïsme numérique’ (Jaron Lanier) : des nouvelles formes de conformisme et de dépendance vis-à-vis du collectif, au détriment de la motivation (et de la rétribution) des créateurs.
  • L’‘open’ne fonctionne pas tout seul : sans gouvernance, sans supports techniques et juridiques (licences, etc.), sans acteurs fédérateurs, il est fragile et vulnérable vis-à-vis de tentatives de capture.

Quelques domaines que l’open’ transforme ou pourrait transformer

  • Le logiciel libre et open source occupe aujourd’hui une part de marché importante, voire majoritaire dans certains domaines (serveurs web).
  • L’entreprise d’électronique Sparkfun, dont le catalogue est 100 % open hardware, emploie plus de 150 personnes pour un chiffre d’affaires d’environ 90 millions de dollars.
  • L’‘open’ prend pied dans l’automobile : Tesla Motors, leader de la voiture électrique, a placé tous ses brevets sous licence ouverte ; OS Vehicle et Local Motors sont deux constructeurs automobiles open source ; en appliquant les méthodes agiles et l’open source, Wikispeed a conçu un prototype de véhi­cule entièrement modulaire en 3 mois, puis raffiné le modèle pour le rendre industrialisable – mais ne le produira pas soi-même.
  • Les modèles ‘open’ se répandent dans l’agriculture (semences ouvertes, machines agricoles d’Open Source Ecology), les drones, la santé…
  • L’open science conteste le modèle opaque fondé sur les grandes revues privées, les classements bibliométriques et les brevets, au service d’une circulation des résul­tats des données et de la recherche.
  • En rejoignant l’Open Government Partnership, la France, comme 64 autres pays, s’est engagée à « promouvoir la transparence, combattre la corruption, développer le pouvoir d’agir des citoyens et mettre la puissance des nouvelles technologies au service de la pertinence, de la transparence et de l’évaluation de l’action publique. »

Disruptif

De quoi parle-t-on ?
Selon les termes du chercheur Clayton Christensen, l’innovation disruptive [1] « décrit un processus par lequel un produit ou service apparaît tout en bas d’un marché, pour satisfaire des besoins simples, avant de monter inlassablement en gamme, jusqu’à remplacer les concurrents établis [2]. »

Parce qu’elles tendent (presque) toujours à innover dans le haut de gamme pour servir leurs clients les plus rentables, les entreprises installées sur un marché ouvrent un espace à de nouveaux concurrents, qui s’en serviront comme tête de pont pour évincer leurs prédécesseurs.

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L’innovation disruptive se distingue de l’innovation ‘de rupture’ en ce qu’elle ne s’appuie généralement pas sur des technologies nouvelles. Au contraire, elle désigne toute innovation qui modifie les termes de référence d’un marché (la nature des produits, les usages, les prix ou les modes de commercialisation, les acteurs et leurs relations…) en s’appuyant, non pas sur une rupture technologique, mais plutôt sur un nouveau modèle d’affaires.

Principaux attributs transformateurs
La ‘disruption’ prend des formes très différentes, mais elle peut se décrire sommairement au travers de quatre caractéristiques qui, toutes, tirent parti du numérique :

  • S’adresser au départ à des marchés mal servis par les acteurs établis qui les considèrent comme non-rentables. Il peut s’agir de ‘niches’ aux besoins particuliers, ou du bas du marché.
  • Déplacer la valeur vers l’aval : depuis la conception et la production vers la distribution, le service, la relation, voire le client soi-même.
  • S’appuyer sur des briques technologiques ‘sur étagère’ et les combiner de manière créative avec d’autres facteurs d’innovation en matière de produits, d’usages, d’organisation, de marketing…
  • Créer de nouvelles alliances avec des entreprises complémentaires, des réseaux de distribution ou de prescription, des communautés d’utilisateurs, etc. Un modèle d’affaires décrit aussi l’agencement d’un réseau d’acteurs autour d’une chaîne de valeur partagée.
  • Principales limites
    En nourrissant les projets de nombreuses startups et les attentes de ceux qui les financent, la ‘disruption’ fonctionne comme une prophétie auto-réalisatrice. Mais cette approche rencontre aussi des limites :

  • Il y a des endroits où elle pourrait ne pas fonctionner, voire s’avérer dangereuse : les incursions de Christensen dans l’éducation ou la santé ont suscité de vives controverses.
  • Le processus de disruption ‘par le bas’ puis de remontée vers le haut du marché ne fonctionne pas toujours : soit parce que les acteurs installés reconquièrent efficacement le ‘bas’ (cas des banques en ligne ou de la Renault Logan), soit parce que la montée en gamme s’avère difficile (par exemple, si elle exige d’investir dans des points de contact physiques).
  • Certains acteurs installés n’abandonnent jamais le bas de gamme : Bic, Ikea…

Quelques domaines que la ‘disruption’ transforme ou pourrait transformer

  • L’internet soi-même est une innovation disruptive, fondée sur son architecture décentralisée et le principe du best effort bien plus que sur une quelconque innova­tion technologique.
  • Des exemples canoniques : la photo numérique contre l’argentique (puis le smartphone avec appareil photo contre les appareils dédiés), le MP3 contre le CD…
  • Parmi les innovations de ‘business model’ les plus marquantes : l’open source ; le low cost reposant notamment sur la distribution en ligne et le self-service ; les Moocs et l’enseignement à distance, avec un modèle de type freemium
  • Les secteurs réglementés, ‘disruptés’ par de nouveaux concurrents : Uber face aux taxis, Airbnb face aux hôtels, Booking.com face aux agences de voyages…
  • Dans The Innovator’s Prescription (2009), Clayton Christensen prédit (et appelle) une disruption dans le secteur de la santé, tirée par l’evidence-based medicine (médecine de base assistée par ordinateur), les outils personnels, les forums et sites en ligne, etc.

Agile

De quoi parle-t-on ?
En informatique et innovation
Formalisées dans les années 1990, les méthodes agiles se démarquaient des méthodes informatiques traditionnelles dans le but de produire plus rapidement des logiciels mieux adaptés aux besoins réels de leurs utilisateurs et mieux à même d’évoluer par la suite. Elles reposent sur un ‘cycle de développement’ itératif, incrémental et adapta­tif : le projet se décompose en étapes courtes qui produisent des résultats utilisables, en interaction permanente avec toutes les parties prenantes.

Les 4 valeurs cardinales de l’agile
1. Les individus et leurs interactions, plutôt que les processus et les outils
2. Des logiciels opérationnels, plutôt qu’une documentation exhaustive
3. La collaboration avec les clients, plutôt que la négociation contractuelle
4. L’adaptation au changement, plutôt que le suivi d’un plan
Extrait du « Manifeste pour le développement agile de logiciels », 2001.

En management
Né dans l’industrie, le lean management (lean pour ’mince’, ‘au plus juste’) se focalise sur ce qui doit être fait au moment où ça doit l’être, visant à éliminer tout le superflu dont les réunions, la prévision et la planification font souvent partie.
Il s’appuie notamment sur :

  • Une intelligence collective ‘motivée rationnellement’, c’est-à-dire fondée sur la possibilité pour chaque collaborateur d’améliorer les conditions de sa propre activité en même temps que celle de toute l’entreprise ;
  • Une reconfiguration en continu des processus et de l’organisation, fondée sur des boucles de rétroaction très courtes.

Lean startup
Mariant management agile et lean, la lean startup n’attend que quelques semaines pour lancer un ‘produit minimum viable’, mesure l’usage en permanence et, en fonction des retours, est toujours prête à ‘pivoter’, à modifier ses hypothèses fondamentales sur son produit, ses marchés, sa stratégie et ses moteurs de croissance.

« Une startup est une organisation formée pour chercher un modèle d’affaires récurrent et capable de croître exponentiellement. »
Steve Blank, « What’s A Startup ? First Principles », 2010.

Principaux attributs transformateurs

  • L’interaction continue avec les donneurs d’ordres et les utilisateurs, dans un processus où le ‘besoin’ s’affine autant en amont du projet qu’en son cours.
  • Une valorisation du module ‘qui marche’, par opposition au plan qui marchera un jour.
  • Une intelligence collective concrète, fondée sur le découpage du projet (ou de l’organisation) en unités autonomes, qui se coordonnent de manière souple avec les autres unités.
  • Des cycles de développement ou de transformation très courts, intégrant des retours d’usage rapides voire immédiats – permettant alors de tester plusieurs hypothèses à la fois (‘A/B testing’).
  • Une acceptation a priori du changement et une organisation destinée à le rendre possible à la fois pendant le projet et après le projet.
  • Un enchassement de différents niveaux d’action (des modules au système) permettant de penser l’évolution d’un système malgré le fait que certaines composantes bougent plus lentement, voire pas du tout.

Principales limites

  • Tout ne peut pas être ‘agile’ et en particulier les domaines où (1) les composantes sont étroitement interdépendantes et (2) l’échec a des consé­quences graves et irréversibles. On pense au nucléaire, à la sécurité nationale, à la chirurgie cardiaque, aux essais de médicaments…
  • L’agilité des uns peut se construire contre celle des autres. L’entreprise peut être ‘flexible’ mais son salarié ‘précaire’. L’agilité d’Uber ou d’Airbnb leur permet de concurrencer des secteurs fortement réglementés, qui ne peuvent pas toujours répondre avec les mêmes armes.
  • L’agilité ne dispense pas du besoin de sens, de conserver une vision globale, de se fixer un but.

Quelques domaines que ‘l’agile’ transforme ou pourrait transformer

  • La création d’entreprises : YCombinator aux États-Unis, The Family en France, accompagnent les jeunes entreprises sur le principe de la lean startup.
  • La conception industrielle : dans le projet Wikispeed, des équipes qui ne se connaissaient pas et, pour la plupart, ne se sont jamais rencontrées, ont conçu en 4 mois un véhicule qui consommait moins de 1,5l/100km tout en répondant aux normes automobiles américaines.
  • Les équipements médicaux : développés dans des temps records avec des moyens très faibles, les prothèses de Bionico ou les couveuses d’Embrace (deux projets sans but lucratif) innovent tout en coûtant bien moins cher que les produits des industriels installés.

L’équipe Fing : Marine Albarède, Amandine Brugière, Cécile Christodoulou, Sophie Fourquet-Mahéo, Renaud Francou, Amandine Fraval, Matthieu Gouret, Hubert Guillaud, Aurialie Jublin, Daniel Kaplan, Pierre Mallet, Jacques-François Marchandise, Thierry Marcou, Manon Molins, Charles Népote, Denis Pansu, Véronique Routin, Rémi Sussan.
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Notes
1.La traduction littérale de l’anglais disruption est ‘perturbation’. Mais il ici s’agit d’une perturbation radicale après laquelle on ne retourne pas à l’état initial.
2.The Innovator’s Dilemma, Harvard Business Review Press, 1997.

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