Alain Giffard : « L’accès public est une des solutions pour combler le fossé numérique. »

Le 1er décembre 2000, une mission interministérielle pour l’accès public à la micro informatique, à l’internet et au multimédia était créée. Son rôle est, dans un premier temps de répertorier l’ensemble des initiatives de points d’accés publics en France. Un travail déjà bien avancé, disponible et cartographié sur le site de la mission [http://accespublics.premier-ministre.gouv.fr/shell.cfm] Mais son objet est également de veiller à construire, sur l’ensemble du territoire, un maillage le plus fin possible de points d’accès publics à l’internet et particulièrement d’ « Espaces Publics Numériques. » D’ici 2003, 2500 EPN devraient être ouverts en France. Il s’agit de lieux proposant un accès gratuit au matériel informatique et disposant d’au moins cinq point d’accès (toujours gratuits) à l’internet et animés par des médiateurs chargés de dispenser une initiation aux NTIC, validée par le  » passeport pour l’internet et le multimédia « . [http://accespublics.premier-ministre.gouv.fr/charte.htm]
Mais le développement des accès publics ne se limite pas à cette initiative. La mission a pour rôle de recenser, de favoriser mais également de conseiller les intervenants, qu’ils soient publics ou privés, dans la création de points d’accès. Une politique qui vise à combler le fossé numérique en France mais aussi à développer les usages.
Rencontre avec Alain Giffard, ancien conseiller de Catherine Trautmann au ministère de la Culture et de la Communication, concepteur de la bibliothèque numérique de la Bibliothèque Nationale de France, qui dirige aujourd’hui la mission interministérielle pour l’accès public.

Quelle est votre approche du fossé numérique ?

Le constat de départ est simple : d’une part, il y a des couches de la population qui ont déjà accès à l’internet ou ont vocation à accéder à l’internet s’ils le veulent ; d’autre part il y a ceux qui, pour des raisons diverses, semblent avoir des difficultés à accéder à internet. Et ce pour des raisons qui peuvent dépasser celles que l’on donne habituellement à savoir les raisons financières, le manque de formation, d’infrastructures territoriales, le fossé des générations. Mais faire du fossé numérique une simple conséquence de ces facteurs me semble une vision un peu simpliste des choses. Découvrir que les gens qui ont des revenus limités, qui ont une faible formation, qui sont âgés et qui ne bénéficient pas d’un dispositif technique ont moins accès à l’internet que les autres, je ne suis pas sûr que cela explique beaucoup de choses. Il existe également des raisons culturelles importantes : il y a des milieux qui s’intéressent à internet, d’autres non.

Développer l’accès public est-ce une solution pour réduire ce fossé numérique ?

C’est l’un des remèdes au fossé numérique. Evidemment ce n’est pas le seul : par exemple la politique de tarification est également importante. C’est la raison pour laquelle le gouvernement a pris une décision sur interconnexion forfaitaire illimitée [http://www.industrie.gouv.fr/infopres/presse/f2i_pres.htm] qui faisait suite à d’autres décisions visant à baisser le prix des communications. La baisse du prix des communications et du matériel informatique est un facteur important pour favoriser l’accès à l’internet. Bien sûr, lorsqu’on développe une politique d’accès publics on évite le fossé numérique. On constate d’ailleurs qu’aux Etats-Unis, la politique d’accès publics dans les universités et les bibliothèques a été extrêmement importante au début de l’internet. Les pays d’Europe du Nord et le Canada ont aussi eu très tôt des politiques d’accès public qui ont permis d’éviter que le fossé numérique se développe. Une récente étude européenne [http://europa.eu.int/rapid/start/…] montre d’ailleurs une assez bonne conformité entre le nombre d’accès publics, la politique en faveur des accès publics et le taux de connexion à l’internet.

Comment expliquez-vous le retard que semble avoir pris la France par rapport à ses voisins européens ?

Le retard, il faut le regarder de près. Les chiffres dont on dispose pour comparer avec les autres pays ne sont, pour le moment, pas très clairs. A l’heure actuelle personne n’est capable de donner le chiffre exact du nombre d’accès publics en France ou dans les autres pays européens. Il y a plusieurs éléments : les pays d’Europe du Nord, comme le Canada et les Etats-Unis, ont eu une politique d’accès public très dynamique et à tous les niveaux des collectivités publiques, des services publics et des entreprises. Il faut admettre qu’ils ont eu une mobilisation plus forte que la nôtre. Avec l’Angleterre également, il existe une grosse différence : ce pays, qui est un peu le père de la bibliothèque moderne, a, depuis longtemps, un réseau de bibliothèques très important tourné vers les NTIC. Mis à part ces pays, globalement, la France ne connaît pas de retard en la matière par rapport à ses voisins européens. D’autant plus que le pays bénéficie d’un point fort : son réseau associatif.
Mon intuition, mon impression, après avoir commencé le recensement et observé comment étaient établies les autres évaluations c’est que la différence, en terme d’accès public, n’est pas proportionnelle au retard en termes de taux de connexion. Cela ne veut pas dire qu’on ait fait assez. Si la mission a été créée c’est bel est bien pour en faire plus.

Quel est le rôle de ces accès publics ?

Il ne s’agit pas, dans les EPN, de se contenter de donner une connexion sans un accompagnement, une première initiation aux NTIC. Ces espaces vont être des endroits dans lesquels va être pensée, réfléchie, construite, pratiquée, la formation du grand public à l’internet. Se pose alors la question de définir quelle est la nature du savoir que l’on diffuse vers le grand public ? Qu’est ce que cela veut dire, au juste, de former le grand public à l’internet ? Il y a une dimension utilitariste sur laquelle tout le monde est d’accord : il faut apprendre à maîtriser les logiciels, à naviguer, faire des recherches, éventuellement créer des pages. Mais que cherche-t-on réellement à travers cela ? C’est une question fondamentale car nous sommes dans une démarche proche de la démarche de formation professionnelle et en même temps très distincte car elle n’est pas déterminée par un besoin précis d’une entreprise à un moment donné. Par ailleurs elle n’est pas non plus organisée comme dans le cadre d’un cursus scolaire. Je pense que l’accès public va être le lieu où ces questions-là vont être posées.
C’est aussi le lieu dans lequel, petit à petit, se posera la question de la combinaison de l’accès avec des offres de contenus et de services publics. Je pense par exemple aux contenus juridiques et à http://www.service-public.fr. C’est quelque chose d’extrêmement important : l’Etat a une politique de numérisation des contenus et propose des services liés à cela. Mais encore faut-il que l’accès et la diffusion de ces contenus puissent, eux-mêmes, obéir à certaines règles d’égalité. Si le résultat est que ceux qui sont déjà au courant puissent l’être encore plus vite et gratuitement, alors qu’avant l’accès à ces documents était payant, ce n’est pas tellement réussi. Il faut travailler pour faire en sorte que la numérisation ne soit pas une prime à la fraction de la population qui est déjà formée et informée, mais que ce soit une façon de diffuser l’information plus largement. Et c’est dans ces espaces-là que nous allons pouvoir travailler sur ce genre de problématique.
Enfin, à travers l’animation, la programmation des lieux développe non seulement des mécanismes d’accès publics, mais aussi d’accès collectif : ce sont des endroits dans lesquels les animateurs, les réseaux qui s’occupent de ces lieux voient se mettre en place, à travers les usages collectifs, de nouvelles formes de socialité, de civilité.

Mais peut-on imaginer que, dans cinq ans, l’accès public à l’internet sera aussi naturel que l’accès au téléphone par les cabines téléphoniques ou le courrier avec les boîtes aux lettres ?

Il existe deux écoles sur cette question et je n’ai pas d’avis tranché. La première école, en gros, voit dans l’accès public une politique de rattrapage et dit : « Quand les connexions à l’internet à domicile, ou au travail, se seront suffisamment développés il n’y aura pas besoin d’avoir d’accès public. »
Une autre école dit que, de toute façon, le mécanisme d’appropriation par le large public est un mécanisme de long terme et que, quand bien même le plus large public aurait accès à l’internet, saurait naviguer et utiliser le courrier électronique, on se rendra compte que l’on peut faire autre chose avec le numérique et continuer à former, à initier et à proposer des accès publics autour de ça. Je crois que c’est un peu difficile de prévoir les choses.

Normalement, année après année, dans tous les services publics en rapport avec l’usager, on devrait trouver un service de connexion. Deuxièmement, dans un très grand nombre d’endroit, nous devrions trouver un accès comme on trouve un téléphone. C’est d’ailleurs ce qu’il se passe dans le métro avec les point d’accès installés par la RATP. Tendanciellement, c’est ce vers quoi nous allons et il faut y aller plus vite.

La question des hauts débits est-elle importante dans le développement de ces accès publics ?

Si on parle d’espaces du type Cyberbases, oui, la logique est de travailler avec du haut débit. En revanche dans un grand nombre d’autres endroits, si on n’a que le téléphone pour y accéder, il faut l’utiliser. Il ne faut pas renoncer à des petits points d’accès généralistes dans des communes rurales qui n’ont pas le haut débit. Les deux vont dans le même sens : l’infrastructure va avec l’organisation des usages, mais il ne faut pas faire dépendre l’une de l’autre. Il est juste de jouxter les deux, mais il n’y a pas, non plus, de relation mécanique. Le système de se dire : « commençons par des infrastructures » ne me semble pas le bon système. Il faut des infrastructures, il faut les améliorer, mais il faut avant tout développer l’usage.

Propos recueillis par Cécile Plet.

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