L’internet des objets, objet d’inquiétude

Lors des dernières rencontres d’Autrans, la session consacrée à l’internet du futur s’intéressait particulièrement à la « communication ambiante ».

La perspective qui se dégage des travaux dans ce domaine – dont beaucoup sont déjà sortis des laboratoires – apparaît complète et cohérente. Elle décrit en quelque sorte un potentiel de traitement et de communication disponible de manière naturelle et évidente, en tout point, comme aujourd’hui l’électricité. Les objets se dotent des capacités nécessaires pour se repérer dans l’espace, « sentir » leur environnement et parfois agir sur lui, détecter ceux qui les environnent et dire aux autres ce qu’ils sont et ce qu’ils savent faire. Ils communiquent avec et sans fil et leurs interactions vont du plus simple (identifier un objet en lisant sa puce Rfid) au plus complexe : constituer un réseau ad hoc, rendre ensemble un service, personnaliser l’habitacle d’une automobile, donner à tous les sauveteurs présents sur le lieu d’une catastrophe (ou à tous les soldats sur un champ de bataille) une vision globale de ce qu’il se passe…

Dans tous les cas, les machines échangent beaucoup plus souvent entre elles qu’avec des êtes humains.

Cette perspective n’a rien de très neuf. Certains acteurs de la mobilité l’intègrent depuis longtemps. Pourtant, une bonne partie de la « communauté internet » présente à Autrans semblait la découvrir – et réagissait face à elle comme pourrait (peut-être à juste titre) le faire n’importe qui : avec effroi. Il fut question de Big Brother, de « science sans conscience »…

Pourtant, la « communication ambiante » s’inscrit dans la suite logique de ce que les pionniers de l’internet construisent depuis 30 ans. Elle est inscrite dans ses gènes. Elle constitue la raison centrale pour laquelle tant de gens, dans la « communauté internet », travaillent depuis des années sur IPv6 (pourquoi avoir besoin d’autant d’adresses IP s’il ne s’agit pas de faire relier entre elles plus de machines qu’il n’y aura jamais d’humains ?), sur XML et le web sémantique (dont la perspective explicite consiste à « décrire et relier les données de manière à ce qu’elles puissent être exploitées par des machines »), sur le P2P et les « grilles de calcul »…

Ainsi, tous ces travaux aux connotations, jusqu’alors, plutôt positives, prendraient-ils un autre sens dès lors que l’on sort du virtuel, que le corps entre en jeu, que l’on ne joue plus « seulement » avec des symboles.

Pourquoi pas ? On peut en effet constater qu’en déroulant tranquillement la pelote de la communication ambiante, on se rapproche vite de certains scénarios naguère réservés à la science-fiction – lesquels décrivent rarement une vie sociale réjouissante ou une démocratie florissante. Mais on peut aussi voir dans l’internet des objets, qui n’exclut pas pour autant les humains, une formidable extension du potentiel de transformation et d’innovation de l’internet d’aujourd’hui.

La question se résume pour l’essentiel à un mot : maîtrise. Y répondre n’a rien de trivial. Comment organiser les interactions plus ou moins spontanées entre les machines, de manière à ce qu’elles produisent du sens et du service ? Comment gérer une complexité qui, par rapport à l’internet d’aujourd’hui, gagne plusieurs ordres de grandeur ? Comment éviter des emballements tels que ceux qu’ont produit les systèmes de trading automatique lors des crash boursiers des années 1980 ? Comment rendre le fonctionnement de ces « machines » transparent, ouvert à l’innovation et en même temps, contrôlable ? Comment organiser la cohabitation entre tous ceux qu’intéresse l’occupation d’un même espace par des puces et des ondes ? Bref, comment « gouverner » de tels systèmes, complexes, hétérogènes, protéiformes ?

Les réponses à ces questions tout à fait humaines se traduiront en systèmes techniques, en standards et en lignes de code, mais elles se formuleront d’abord en termes sociaux, économiques, politiques, professionnels, cognitifs…

Les pionniers d’Arpanet et de TCP/IP ont fait, d’un concept pourtant issu des think tanks proches du Pentagone, cet extraordinaire instrument d’innovation, de transformation, qu’est aujourd’hui l’internet. Avec le web, leurs successeurs immédiats ont reproduit cette réussite dans l’univers du document. L’internet des objets est l’enfant ou le petit-enfant de ces précurseurs. S’en effrayer est improductif : tâchons surtout d’en faire un univers aussi ouvert, désordonné, utile et excitant que l’internet et le web d’aujourd’hui.

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0 commentaires

  1. Le seul problème c’est que le Sens est le propre de l’homme. Il n’y a nul sens « dans » quoi que ce soit mais seulement en l’homme. Il serait primordial de travailler un peu plus sur ce terme de sens au delà des approximations cogniticiennes.
    La seule maîtrise est au fond celle du Sens : élucidation, choix, partage, expression, développement… L’Humanisme Méthodologique est à la fois une pensée et une ingénierie du Sens (humain).

  2. Je finis par me dire que ce que nous sommes en train de mettre en place, à cause de toute cette techno-évolution effrénée, qui se produira nécessairement, même si elle est interdite, a pour fantasme sous-jacent l’idée d’abolir le hasard (c’est particulièrement patent si l’on pense au clonage humain, ou l’être ainsi fabriqué aurait échappé au hasard de la fabrication d’un patrimoine génétique) qui conduira à la disparition de l’homo sapiens, en tant que sapiens. On connaît l’anecdote lors de la querelle qui opposait Niels Bohr à Albert Einsteinet quand ce dernier s’est exclamé dans un moment d’impatience :  » Dieu ne joue pas aux dés!  » Mais on oublie généralement la seconde partie de l’anecdote où Niels Bohr répond :  » Albert, cessez de dire à Dieu comment il doit se comporter!  »

    Le hasard semble bien inclus dans le comportement de la matière.Il s’agit bien d’une évolution technique, la technique ayant remplacé la science, me semble-t-il depuis quelques temps. Internet est aussi un formidable outil d’ignorance, donc de désinformation. Je prends comme exemple l’épisode du buisson ardent (exode 3:14) et le fameux passage  » S’ils me disent : Quel est son nom ? – que leur dirai-je ?  » Dieu dit à Moïse : » Ehiè ashèr èhiè ! « . Vais-je trouver toutes les traductions en Français de ce passage dans les différentes traductions de la bible sur internet ? « Je suis celui qui suis », « je serai qui je serai », « Je suis celui qui est ». Je ne trouverais pas la traduction donnée dans la bible, nouvelle traduction, »je serai: je suis » trop récente elle n’est pas en ligne. Pourtant ce passage ne nous explique pas moins pourquoi Dieu est nommé YHWH.

    [De retour chez moi, ce texte écrit sur un coup d’énervement, n’étant pas passé à la moulinette, Daniel Kaplan me donne l’occasion de le revoir. J’ai écrit ce texte, dans un accès coutumier de mauvaise humeur, dans mon bureau de la, heuh, BnF. J’ai eu la flemme de descendre en bibliothèque vérifier ce que je disais. J’aurais trouvé que Chouraqui avait pensé mettre cette traduction dans sa version, mais qu’il n’avait pas osé. Mais, tout bien regardé c’est bien indexé quelque part dans google, mais a la tellementième page de résultats que la pertinence de ce moteur, sur une question théologique de base, même Lacan l’aborde page 93 dans l’opuscule DES-NOMS-DU-PERE qui vient de paraître et que j’ai acheté et LU.]

    Non, je vous assure, si vous voulez une bibliographie sérieuse la-dessus, allez voir un bibliothécaire, ou un théologien. Pas un moteur de rechreche. S’il vous plaît. Mais ce n’est pas grave, ma réflexion en sera juste quelque peu affaiblie, parce que j’ai eu la flemme d’aller dans une bibliothèque (alors que curieusement elle était si je puis dire sous mes pieds.) C’est l’appauvrissement de la pensée mise en œuvre, c’est l’a-culturation. Ca devient le pire des cauchemars, insidieusement, par différents moyens, l’information n’existera que si elle est indexée dans google.

    Le web sémantique nous décervellera encore un peu plus. Le « texte fondateur » de ce concept, publié dans le scientific american par Tim Berners-Lee, James Hendler et Ora Lassile, traduit en français ici: http://www.urfist.cict.fr/lettres/lettre28/lettre28-22.html
    me donne froid dans le dos. « De plus, s’il est bien fait, le Web sémantique pourra favoriser l’évolution de la connaissance humaine dans son ensemble… » C’est bien ce que je crains, un formatage insidieux de nos cerveaux, par un pays qui s’arroge le droit de définir ce qui est le bien et ce qui est le mal, qui contrôle totalement le réseau (les root servers), le matériel de routage, les systèmes d’exploitation, les ordinateurs.

    Pour la Bible, la traduction Louis Segond, à laquelle je n’ai rien a reprocher, est la plus présente. C’est amusant. La Bible des protestants. Et si l’ingénieur général Théry avait raison, lorsqu’il tentait de s’opposer à l’arrivée d’internet en France dans les années 1993 (ou Mosaic a tué le net, me dis-je maintenant) avec sa fameuse formule : « J’ai cherché Proust sur l’internet, et je ne l’ai pas trouvé ». Parce que, tout de même, l’exemple donné au début de cet article, les fournisseurs de service d’évaluations fiables, seront pour la plupart des services commerciaux, avec leur logique donc leurs dérives. Et puis Pete a vraisemblablement tort de préférer une clinique proche à l’hôpital de l’Université, mais bon, c’est son problème, ca dépend de la maladie de son épouse,
    Il est plus bête que son agent.

    D’autant que, on le sait, la réalité dépasse toujours la fiction. Regardez les gens qui vivent autour de vous, enfin c’est dingue, ils ont des écouteurs, parlent tout seul dans la rue, photographient avec un truc censé être un téléphone, ce qui leur permet avec la dernière techno à la mode de faire du mobologging, d’envoyer directement leurs clichés sur leur blog,ils acceptent qu’on leur achète du temps de cerveau via leur boîtier triple-play wi-fi (ouf, le wi-fi parce que les câbles tirés partout dans la maison on n’osait plus lancer l’aspirateur robot, il nous foutait les câbles en l’air). Le journal « le Monde » consacre une enquête à une population très particulière, les personnes qui n’ont pas de téléphone portable.

    Mais, je reste optimiste, le net servira toujours à des communautés moins formatées à mettre en place des campagnes anti OGM, à proposer une alternative à cette soit disant inévitable mondialisation, à lutter contre les brevets logiciels. L’OMS vient de lancer une mise en garde craignant une pandémie de grippe aviaire. Il y a toutes les raisons de penser qu’une épidémie analogue à la grippe espagnole qui a fait entre 6 et 8 millions de morts, se reproduira un de ces jours. L’agriculture productiviste à l’extrême, qui aboutit au paradoxe que les poulets issus de ces élevages monstrueux, sont exportés en Afrique car ils sont moins cher qu’un poulet élevé normalement sur place, devrait favoriser cette mutation du virus qui franchira la barrière des espèces pour s’attaquer à l’homme. Nous avons déjà réussi à fabriquer le prion, mais il ne touche que quelques personnes. Je me demande à partir de combien de dizaine de millions de morts l’humanité réfléchirait à sa bêtise.

    Course aux profits (par tous les moyens, même dans des industries qu’on pensait plus éthiques comme les groupes pharmaceutiques, ou chez les médecins avec les trafics d’organes), course à l’innovation technologique parfois obsolète lors de son déploiement, je pense à la télévision numérique terrestre, quel est son intérêt avec la télé par ADSL. Aux personnes qui vont se faire piéger en achetant les premiers décodeurs qui ne supporteront pas la norme qui va suivre dans quelques mois, MPEG 4. Le web sémantique risque surtout de formater l’Europe au format CNN ou CBS. Nous vivons dans le monde de l’audimat, les hommes politiques l’ont bien compris et ont adaptés leurs discours à leurs cibles pour faire le meilleur audimat, heuh score possible, lors des élections. Nous sommes passés à la démocratie de l’audimat, d’autres disent dictature, c’est selon. Nous allons voter sur la constitution Européenne. Un texte de près de 500 pages imbitable si l’on n’est pas spécialiste de droit constitutionnel. C’est intéressant.

    Vivement les agents qui pourront décider à notre place comment voter, grâce au web sémantique.

    Vivement la prise de pouvoir de l’Asie.

    Bruno Mannoni, un peu énervé.

  3. – PREMIERE LOI : Un robot ne peut nuire à un être humain ni laisser sans assistance un être humain en danger.
    – DEUXIEME LOI : Un robot doit obéir aux ordres qui lui sont donnés par les êtres humains, sauf quand de tels ordres sont incompatibles avec la Première loi
    – TROISIEME LOI : Un robot doit protéger sa propre existence tant que cette protection n’est pas incompatible avec la Première ou la Deuxième loi.

    Isaac ASIMOV

  4. On pourrait imaginer des technologies de contrôle des technologies, à l’image des antivirus ou filtres antispam actuels. Mais toutes les questions posées par D.K dans cet édito se reposeraient avec encore plus de vigueur sur cette surcouche technologique… ex. Comment avoir une confiance absolue pour un antivirus ? hum….

  5. Je travaille dans une entreprise qui fait se communiquer les objets entre eux et je peux vous livrer mes réflexions. Oui la prédominance de google est aujourd’hui dangereuse et on assiste bien à une uniformisation globale. Mais si google et le référencement sont les domaines clés de l’Internet aujourd’hui cela ne le restera forcément pas. Google va avoir être forcément avoir son apple basée sur d’autre mode de recherche. D’ailleurs que pensez-vous du projet de bibliothèque numérique financée par Google en collaboration avec de grandes bibliothèques américaines. Parlons maintenant de la communication ambiante, objet de cet édito. Le développement de ces communications me paraît répondre d’une part au besoin des industriels de solution de géolocalisation dans le cas des puces rfid. Son utilisation grand public peut faire peur (pass Navigo…) mais il faut être conscient que l’on peut en théorie tracer pratiquement tout : votre FAI peut tout savoir de vos navigations Internet, votre opérateur de téléphone portable peut connaître votre localisation à tout moment, votre banque sait où et quand vous utilisez votre carte de crédit (bien sûr). Bizarrement je ne m’inquiète pas du tout parce que le nombre extraordinairement élevé de données me paraît être une protection suffisante contre les atteintes à la vie privée.
    D’autre part la communication entre les machines peut aussi être au service des utilisateurs. Dans ma boîte, nous proposons de rendre les objets interactifs par le biais du téléphone portable, en apposant une puce Bluetooth sur l’objet, qui va être en fait un lien hypertexte physique vers un site mobile spécifique. Donc même si la communication se fait entre les machines, la connection est initiée par le passant qui est intéressé par l’objet, le plan, les informations touristiques, etc. Cela me semble être une nouvelle manière, ludique et dynamique, d’adapter internet à la mobilité. (on peut même imaginer que des groupes ou des individus ayant un message particulier à passer portent notre puce « bluespot » étant donné qu’elle à la taille d’une carte de visite et marche sur piles. Qu’en pensez-vous? Allez sur le site : http://www.kameleon-europe.com et dites-moi si cela vous fait peur.

  6. « Dans tous les cas, les machines échangent beaucoup plus souvent entre elles qu’avec des êtes humains. »

    Certes, inter-actions machine < -> machine
    mais
    les travaux actuels portent aussi sur inter-actions homme < -> machine (l’homme dialogue avec des machines ou objets inter-reliés)

    Bruno Mannoni, un peu énervé écrit « ’idée d’abolir le hasard » … »la réalité dépasse toujours la fiction »
    il y a quelques confusions car on projette des visions soient hyper positives subjugué par la prouesse « du technique pour le technique » ou hyper négatives et parano » le technique est un danger » dans les deux cas elles restent souvent très réductrices.