Où est la science ?

Où est la science aujourd’hui ? Qui, dans les grands médias, nous parle des technologies de demain : des nanotechnologies, de la robotique, des biotechnologies – pour ne citer que celles-ci ?

« On ne répétera jamais assez à quel point l’ignorance des perspectives offertes par les nouvelles sciences empêche les gouvernements européens de proposer des solutions politiques permettant à l’Europe de s’opposer avec succès à la compétition sans cesse accrue des Etats-Unis, de la Chine et de l’Inde. »

C’est avec raison que Jean-Paul Baquiast s’animait en juin dernier sur l’ignorance des nouvelles sciences par les gouvernements européens en prenant l’exemple des bioressources et des biocarburants.

Mais comme il le disait lui-même, on pourrait élargir à bien des sujets. Où est la science aujourd’hui ? Qui, dans les grands médias, nous parle des technologies de demain : des nanotechnologies, de la robotique, des biotechnologies – pour ne citer que celles-ci ? La fracture que dénonçait il y a peu Cyril Fiévet entre l’internet et les médias peut allégrement s’élargir à toutes les nouvelles technologies. Problème d’information, de formation… finalement c’est bien à un problème de société que nous renvoit notre ignorance. Citoyens, hommes politiques, qui dispose d’un bagage minimum sur ces questions ? Sans entrer dans le détail technologique, qui en comprend ne serait-ce que les enjeux ? On le voit bien dans la cartographie des controverses qui ont lieux, dans les choix qui sont faits, bien souvent le sujet de l’innovation est une coquille creuse qu’on analyse avec des outils anciens, avec des modèles de compréhension non adaptés.

Dans une intéressante chronique, un éditorialiste du Guardian s’interrogeait : « pourquoi la science dans les médias est si souvent simpliste, ennuyeuse, vaine et si mal expliquée ? » Ben Goldacre remarque que les médias font la part belle à trois types d’articles scientifiques : les histoires idiotes ou paradoxales (l’infidélité est génétique, l’électricité donne des allergies, le chocolat est bon pour la santé…), les histoires qui font peur ou évoquant des dangers disproportionnés aux résultats de recherche (le téléphone mobile provoque le cancer), et enfin les nouvelles percées, les découvertes révolutionnaires qui ne le sont pas toutes. Pire, poursuit le chroniqueur : il n’y a finalement pas d’information intéressante dans la plupart de ces histoires « parce que les gens sont sensés ne pas être capable de les comprendre »

Parmi les raisons qui poussent à notre manque d’innovation, notre manque de performance industrielle ou en R&D, il faut certainement compter sur l’absence des sciences « modernes » autour de nous : dans la presse nationale, dans les magazines, dans la presse régionale ou locale, dans le débat public. Or, si l’on pense que la technologie innerve toute la société, celle-ci ne peut pas continuer à être reléguée dans des magazines spécialisés et n’être couverte que de manière ancedotique ou superficielle par les autres.

Il faut dire que la manière dont les programmes de R&D se présentent eux-mêmes n’entraîne pas précisément l’adhésion populaire. Trop souvent, ceux-ci se décrivent d’une manière très générique (« e-santé »), disciplinaire (« chimie-environnement ») ou technique (« images et réseaux »), dans tout les cas assez neutre. On peut rationnellement comprendre tout l’intérêt de ces programmes, ou de ces pôles de compétitivité, mais d’ici à susciter la passion…

Ailleurs dans le monde, des grands laboratoires, des institutions publiques, présentent leurs programmes comme des défis à relever : des objectifs mobilisateurs, concrets et stimulants, non seulement pour les partenaires, mais aussi pour la société.

Il manque souvent à nos programmes de recherche et d’innovation l’expression d’une volonté, d’un défi qui permettraiet d’avancer, de donner des horizons. Cyril Fiévet montre ainsi comment Grand Challenge, la course de voitures robotisées organisée par l’agence de recherche de l’armée américaine, est un formidable stimulant pour la recherche technologique de pointe.

Peut-être nous manque-t-il une définition de ce que sont les critères d’un programme mobilisateur… Ca tombe bien, Daniel Kaplan, en comparant l’offre de programmes de R&D dans le monde, a récemment essayé d’en dresser la liste :

  • Etre tourné vers l’avenir ;
  • Stimuler l’imagination, voire susciter du rêve ;
  • Correspondre à des domaines technologiques stratégiques ;
  • Associer par nature plusieurs domaines technologiques, plusieurs types d’acteurs ;
  • S’exprimer au travers d’une application (ou d’un domaine d’application) et non d’une technologie ;
  • Evoquer une image concrète, consensuelle et éminemment désirable ;
  • S’exprimer sous la forme d’un objectif ;
  • Manifester une grande ambition ;
  • Pouvoir donner naissance à des réalisations et des démonstrations assez rapidement, tout en poursuivant un objectif à moyen-long terme.

Je ne sais pas s’il sera facile de changer la façon dont on parle et dont on comprend la science. Il devrait être en tout cas plus facile de donner de l’essor à des programmes mobilisateurs dont les enjeux seront peut-être plus facilement compréhensibles par les médias et les citoyens… En tout cas, soyons-en certain, il y a là, deux obstacles à lever pour accroître notre désir et notre besoin d’innovation. Ce ne sont pas de grands obstacles, ils ne demandent qu’un petit sursaut d’intelligence.

Hubert Guillaud

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0 commentaires

  1. Je m’intéresse actuellement à une problématique portant sur l’interfaçage des nanotechnologies. Je me heurte aussi à ces questionnements.

    Voici mes axes de travail :

    Axe 1 : Une interface – un langage
    – Convergence des nano sciences à travers un langage commun.

    Axe 2 : Une interface – des fonctionnalités
    – Favoriser le lien entre l’univers de la recherche et le monde de l’entreprise en communiquant les fonctionnalités liées aux nanotechnologies.

    Axe 3 : Une interface – un produit
    – Dans une démarche prospective : promouvoir l’émergence des nanotechnologies à travers un nouveau produit répondant à un besoin particulier tout en prenant en compte faisabilité technologique et éthique de développement.

    Je suis ouvert à toute discussion constructive pour cet ambitieux projet.

  2. Je suis d’accord avec Hubert sur de nombreux points, mais je préférerais distinguer le traitement, par les « grands » médias, de la science et de l’innovation.
    La science d’abord : en France, historiquement, c’est la presse magazine qui se charge d’en parler, et l’offre est abondante. Il y a certainement un déficit à la télévision (quoique : C’est pas sorcier sur France 3 est une excellente émission), à la radio et dans les quotidiens, mais les gens qui veulent acquérir ou maintenir une culture scientifique trouvent facilement le chemin du kiosque ou de l’abonnement pour lire Science et Vie, Sciences et Avenir ou La Recherche. Les chiffres de diffusion suggèrent que le traitement de la science ne leur semble pas si ennuyeux que ça.
    En France, on l’oublie trop souvent, il y a aussi une manifestation de très grande envergure qui, tous les ans, mobilise le grand public autour d’enjeux scientifiques et thérapeutiques : le Téléthon. Il fait tellement partie de nos rendez-vous nationaux qu’on ne se rend plus compte de son importance.
    Si on veut se flageller, mieux vaut s’intéresser au traitement de l’innovation au sens large : là, le déficit quantitatif et qualitatif est flagrant dans les médias français. Est-ce une question d’offre ou de demande ? La réponse n’est pas évidente…
    Enfin, du côté des « gouvernements ignorants » sur ces sujets, la France n’est pas si mal lotie avec un ministre des finances qui a eu longtemps les mains dans le cambouis de l’innovation. Il pourrait (devrait?), au minimum, être un bon catalyseur au sein de son administration…

  3. Tout ce qui est dit ici est (vraiment) très intéressant. Mais je déplore une chose : le citoyen est curieusement absent dans votre article en tant qu’acteur de l’évolution technologique. On a l’impression que, conformément au process de diffusion des révolutions technologiques, le citoyen est réduit au rôle de simple consommateur des technologies mise au point et commercialisée pour lui.

    Alors on peut regretter le manque d’intérêt d’une société pour l’innovation technologique. On peut également se désoler que les promoteurs de cette même innovation ne soit pas davantage innovant en matière d’appropriation citoyenne de l’innovation, de sa définition à son utilisation.

    Les novateurs ne devraient-ils pas recourir aux sciences humaines au-delà de leurs préoccupations marketing. Au lieu de se situer en dispensateurs de bienfaits à une population qui peinent à en comprendre la portée révolutionnaire pour sa qualité de vie.

  4. à christophe : il vaudrait mieux que tu crées une interface politcien-scientifique
    et par expérience je dirais que la majorité des acteurs évoqués ne souhaitent juste que importer, poser leur marque et revendre (en empêchant la copie bien sur) : science ou economie il n’en restera qu’un

  5. Gérard, je pense tout de même que nos médias sont en manque de qualitatif sur ce sujet. L’article de Libé sur les nanotechnologies que distingue Cyril Fiévet est tout à fait emblématique me semble-t-il, du traitement qui est donné à la science. L’angle de la stigmatisation (on a connu la même chose sur le traitement de l’internet…), ne dépend pas de la demande je crois, mais bien aujourd’hui de l’offre.

    Mathias : Je n’avais peut-être pas assez d’espace pour parler de tout. Je pense qu’aujourd’hui, le détournement citoyens de nombreux sujets mal traités est assez courant. Cet édito visait surtout à souligner et regretter la carence du traitement de l’innovation et de la science dans les médias ou alors, trop souvent, sous un angle qui en réduit l’intérêt (les histoires paradoxales et la stigmatisation).

    Chistophe, votre site est une vraie mine d’or.

  6. Bernard : Je me suis rendu compte par moi même de la chose (pas encore près et beaucoup trop de choses à faire), j’ai du axer mon projet vers une interface collaborative reprenant en tout point mes 3 axes de départ mais ouvert à un public plus large.

    Hubert Guillaud : merci pour le site, je compte changer la formule choisi (structure d’un blog) pour m’orienter vers un espèce de flux collaboratif qui navigue de par lui-même sur internet. Laissant à l’internaute la possibilité d’en choisir les directions, la pertinence de l’information choisie.