UpFing07 : Valeur(s) de l’innovation

Au-delà de la question des risques, l’impact du numérique pose question. Le virtuel se substitue-t-il aux déplacements physiques ? La signature électronique remplace-t-elle la poignée de main et la confiance qui l’accompagne ?… Comment mesurer l’impact des innovations numériques sur nos réalités quotidiennes ?

Saadi Lahlou : mieux intégrer les innovations
Saadi Lahlou, responsable du laboratoire de Design Cognitif d’EDF R&D, a porté un regard sceptique sur les processus d’innovation que l’on connaît. « Aujourd’hui, nous faisons de l’innovation en mode projet », mais ce qui marche bien pour les systèmes techniques ne marche pas toujours dans les systèmes sociaux techniques, car ce qui nous intéresse est souvent émergent. Le Design participatif a ses limites, car les utilisateurs viennent gêner la logique projet bien rodée de nos processus en faisant voler en éclat les délais et les coûts. A EDF-R&D l’équipe de Saadi Lahlou a essayé de passer d’une logique projet à une logique de lieu d’expérimentation pour encapsuler le développement participatif dans une observation à long terme, sans avoir une logique de projet limitée. L’idée était de mener une expérimentation « jusqu’à ce qu’elle marche bien », en produisant des innovations bien intégrées et appréciées par les utilisateurs. Pendant trois ans, dans un bâtiment dédié au test de systèmes de réunions à distance, on a observé nos équipes en permanence, en adaptant et en faisant évoluer nos salles et nos outils au fur et à mesure de notre observation et du retour des participants. Bien sûr, ces processus sont plus coûteux, plus lourds, plus longs, mais ils sont rentables car ils permettent, sur la longueur, de mieux maîtriser le coût de déploiement et minimiser les effets inattendus. En tout cas, se lancer dans d’autres logiques montre qu’il faut aujourd’hui réfléchir au mode administratif de gestion de notre innovation.
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Laurent Londeix : comment repérer l’innovation structurante ?
Laurent Londeix, responsable du laboratoire Data services & M2M solutions chez Orange Labs, travaille sur les technologies, leurs impacts sur les réseaux, l’évaluation de la chaine de valeur de ces technologies… Pour autant, il reconnaît d’emblée la difficulté à voir où se situe l’innovation structurante, comme on a eu du mal à voir poindre les SMS sur les mobiles. Au-delà des seuls gains de productivité que promettent certaines solutions de machine to machine, quel impact l’informatique omniprésente peu avoir sur les tendances sociétales qui ont cours ? Comment les nouvelles technos peuvent accélérer ou freiner le développement de ces tendances ?

Le département R&D d’Orange mène ainsi une vaste enquête pour identifier quelques tendances sociétales fortes et mieux comprendre pour chacune l’impact que peuvent avoir les technologies de l’informatique omniprésentes. L’une des tendances mise en avant dans leur étude, la personnalisation de masse, qui permet par exemple à chacun d’assembler son ordinateur sur mesure, fait apparaître, avec le M2M, de nouveaux services et usages possibles : mensurations automatiques pour personnaliser la fabrication de vêtements, suivi distant de la production de son olivier ou de son pied de vigne via puces RFiD et webcam… Dans le domaine du développement durable et de l’écologie – une autre tendance sociétale forte -, l’impact de l’internet des objets devrait être fort également tant au niveau de la prévention des risques que des aspects économiques (déclenchage d’un arrosage selon la captation du taux d’humidité de la terre par exemple). On constate avec cet exemple en tout cas, que toutes les thématiques de l’informatique omniprésente ne rencontrent pas forcément des phénomènes de rejet.

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Francis Jaureguiberry : l’expérience de nos outils est complexe
Francis Jaureguiberry, sociologue à l’université de Pau et directeur de l’Institut de recherche sur les sociétés et l’aménagement, a pris un peu de hauteur pour interroger notre rapport aux TIC. Avec les nouvelles technologies, l’apprenti sorcier que nous sommes cherche à maîtriser le temps : à travers une simultanéité (les TIC permettent de faire plusieurs choses en même temps, dans le but de densifier le temps) et une immédiateté (délais plus courts, flux tendus, réponse à un e-mail dans les 2 heures…) toujours plus grande. Notre rapport aux technologies exige une disponibilité toujours plus grande de nos interlocuteurs, une demande qui répond à une logique du branchement, de la rentabilité, de la permanence et la transparence communicationnelle. Pourtant, une seconde logique coexiste, critique, qui vise à ne pas nous laisser déposséder de notre propre temporalité, qui réintroduit l’épaisseur du temps là où l’immédiateté nous pousse à toujours plus d’impulsion. C’est le temps qui permet le retour sur soi qui nécessite de la mise en distance et des formes de déconnexion, mêmes partielles. L’expérience de nos outils est complexe : d’un coté nous voulons être connecté, de l’autre nous ne voulons pas être sonnés, contrôlé, dirigés.

La complexité de notre expérience implique des outils de télécommunication souples, c’est-à-dire qu’on puisse différer, déconnecter sans perdre l’information. Est-ce que la prochaine révolution technologique nous permettra cette déconnexion ? Comme le disait la veille Patrice Flichy, ce qu’il se passe avec les NBIC est assez inquiétant. Quand ces technos seront invisibles, saurons-nous qu’elles sont là et saurons nous les déconnecter ?… Or nous sommes massivement entré dans une société où il devient de plus en plus difficile de se déconnecter : notre vie, nos sociétés, nos entreprises nous imposent des plages de connexion, notre environnement social et affectif fait une douce pression pour que l’on reste « joignable ». Et puis nous avons envie d’être connectés, d’être à l’écoute du prochain appel qui va changer la perception que l’on a de notre réalité ! Toute la question est de savoir si nous voulons créer un monde où il sera encore possible de se déconnecter ou pas ? Des seuils d’irréversibilité se mettent en place. Dans un monde où il est souvent suspect de se déconnecter, comme de s’arrêter dans un lieu de passage, nous avons a préserver notre propre autonomie et à accepter que nos interlocuteurs en aient une.

Michel Eimer : comment rééquilibrer les fractures et les précarités qui se forment sur un territoire ?
Et pour une collectivité ? Comment peut-elle être garante de l’homogénéité d’un territoire à l’heure où les réseaux passent à l’omniprésence ? Pour Michel Eimer, délégué aux TIC du Conseil régional d’Aquitaine, la collectivité est « garante sans garantie » d’une continuité, d’une absence de déni de service… S’il est exact que les collectivités se préoccupent de trouver de l’argent sur ces enjeux, car le prochain enjeu TIC des collectivités n’est plus le haut débit mais le très haut débit (fibre optique) dont le budget n’est plus de l’ordre du milliard, mais de la dizaine de milliard d’euros de dépenses dans les 10 prochaines années, les préoccupations portent surtout sur le rééquilibrage des fractures et des précarités qui se forment sur un territoire :

  • précarité générationnelle, d’une génération qui ne comprend pas l’enjeu des télécoms ;
  • précarité territoriale : « notre territoire pixelise » car notre représentation du monde vient du satellite plus que de nous mêmes ;
  • précarité à préparer les générations futures : « nos universités ne sont toujours pas immergées dans le multimédia ! » ;
  • précarité des 25 % de la population qui reste hors numérique et notamment des PME/TPE, analphabètes en la matière à 50 %.

Une collectivité doit dont travailler à intégrer ces différents modèles de précarité qui se révèlent sur le territoire. Nous devons faire la clinique – plus que le diagnostic – de ces praxis et inventer les réponses depuis les pratiques réelles du territoire.

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0 commentaires

  1. Bonjour,

    Votre introduction m’amuse : « La signature électronique remplace-t-elle la poignée de main et la confiance qui l’accompagne ?… joli préjugé : ça manque un peu de « relativité » tout de même ! Si vous prenez la peine de signer de votre nom et moi aussi, c’est quelque part, que la confiance associée à la signature fait partie de notre éthique…Rien ne se subsistue à rien, ça vient juste en plus et ça compte !