UPFing’08 : Vieillir avec les technologies

A l’occasion de l’Université de printemps de la Fing qui s’est tenue à Aix-en-Provence du 5 au 6 juin 2008 sur le thème du vieillissement et des nouvelles technologies, InternetActu.net revient sur quelques-uns des enseignements majeurs de ces 2 jours. Pour ceux qui souhaitent aller plus loin : les vidéos, les comptes-rendus et les présentations sont déjà disponibles en ligne.

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Une création des étudiants de l'Ensci pour illustrer le rôle futur des seniorsDans une intervention à deux voix, les sociologues Laurence le Douarin et Vincent Caradec ont livré des éléments de compréhension de l’usage ou du non-usage des TIC au sein de la cellule familiale, en s’intéressant plus particulièrement au rôle joué par les technologies de l’information et de la communication dans les interactions grands-parents et petits enfants.

Pourquoi certains retraités sont-ils équipés en technologies de l’information et de la communication (téléphone portable, magnétoscope, ordinateur, répondeur téléphonique, etc.) et pas d’autres ? Qu’est-ce qui explique les usages en même temps que les absences d’usages ? Une enquête menée en 2000 a permis d’apporter quelques éléments explicatifs. Vincent Caradec, sociologue et spécialiste du vieillissement à l’université de Lille 3 et directeur du Groupe de recherche sur les actions et croyances collectives (Gracc), a ainsi dégagé trois fils explicatifs principaux :

  • « L’utilité contextuelle » ou comment certains modes de vie favorisent certains usages. Les technologies sont adoptées parce qu’elles trouvent leur utilité dans le mode de vie choisi à la retraite. Par exemple, l’équipement en téléphone mobile ou en répondeur téléphonique s’avère utile pour de jeunes retraités souvent absents de leur domicile (changement de lieu de résidence principale ou secondaire, déplacement chez les enfants, responsabilités associatives, etc.). Des enfants ou petits-enfants faisant usage de la messagerie électronique ou la prise de responsabilité associative sont aussi des facteurs de stimulation de l’utilisation de l’ordinateur. La notion d' »utilité contextuelle » souligne toute la diversité des modes de vie des retraités : par exemple les retraités qui sont très peu mobiles, tournés vers leur domicile, trouvent moins d’utilité au téléphone portable et privilégient la télévision, le grand écran, la parabole, etc.
  • « Le fil identitaire » ou comment le vécu influence les usages. Quand elles font sens par rapport à la vie passée, les technologies suscitent un écho identitaire positif : par exemple chez les cadres, les jeunes retraités se connectent plus facilement à l’internet s’ils se sont familiarisés avec l’ordinateur au cours de leur vie professionnelle. A l’inverse, quand elles ne se rattachent à rien, elles renforcent un sentiment d’étrangeté. C’est le cas d’anciens ouvriers qui associent le monde des ordinateurs à un univers qui n’est pas le leur : « celui des bureaux ». Heureusement, la construction identitaire ne se bâtit pas seulement par rapport au passé, mais aussi dans le présent et l’avenir, et, de ce point de vue, certaines technologies constituent de nouveaux « enjeux » car elles sont des marqueurs identitaires. Par exemple, la télé-alarme possède un marqueur identitaire très négatif : elle est connotée « vieux », et les retraités lui préfèrent souvent le téléphone sans fil. A l’inverse, l’internet et l’ordinateur possèdent une connotation positive de modernité qui plaît à ceux qui veulent rester « dans le coup ».
  • « Les médiations » ou comment les usages se construisent avec autrui. Les proches peuvent favoriser le rapport aux technologies : les « cadeaux » technologiques que les enfants offrent à leurs parents âgés sont en cela très importants. Parfois cela peut donner lieu à de l’accompagnement à l’usage, voire à de la formation. D’autres médiations peuvent être plus ambivalentes : si les petits enfants peuvent ponctuellement sensibiliser leurs grands-parents aux technologies, cette familiarité des plus jeunes, couplée à un accompagnement parfois superficiel, peut en même temps alimenter le sentiment d’étrangeté des plus âgés : « c’est leur truc, pas le nôtre ».

Dans une autre étude, plus récente, Laurence Le Douarin, maître de conférences en sociologie à l’université de Lille 3, s’est intéressée aux rapports entre adolescents et grands-parents, via les nouvelles technologies de l’information et de la communication. Dans la situation la plus courante, les TIC jouent un rôle très secondaire dans la relation. Soit parce que les relations intergénérationnelles sont déjà distendues, précaires, que les adolescents ne recherchent pas le contact, ou que les grands-parents sont considérés comme « incompétents », « dépassés ». Soit parce que les relations intergénérationnelles sont ritualisées (le repas de famille du dimanche), et dans ce cas ne laissent pas de place à la relation individualisée, personnalisée : la relation s’opère par la médiation parentale.

Parfois, les TIC apparaissent comme des facilitateurs de la relation intergénérationnelle. En raison d’un éloignement géographique ou de ruptures biographiques (divorce…), l’utilisation des TIC peut renforcer une logique de compensation de la relation : elle sert à renforcer les liens, combler le vide, voire surveiller à distance comme dans le cas d’une grand-mère qui suit le blog de sa petite-fille. Les TIC peuvent combler la faiblesse ou le manque de relation en face à face, voire combler un vide. En faisant circuler les photos numériques de chacun des enfants et petits-enfants, les grands-parents peuvent aussi jouer un rôle de courroie de transmission entre les membres de la famille élargie. Le téléphone mobile, la messagerie électronique augmentent la « joignabilité » des grands-parents, qui peuvent alors avoir un rôle de coordinateur des agendas des uns et des autres, réagir, gérer les emplois du temps dans l’instant, etc.

Dans d’autres cas, le médium électronique permet de continuer des relations individuelles, sur le mode « Plus on communique, plus on se voit ! » Pour certains grands-parents, les TIC ont même changé les rapports avec les adolescents : les adolescents se confiant plus facilement, cachés derrière l’écran.

Enfin, les TIC peuvent aussi être utilisés dans la relation intergénérationnelle pour mettre voire maintenir à distance. Ils peuvent aussi favoriser un rapport d’exclusion, ou d’autonomisation : les petits-enfants se servent des technologies afin de se préserver de l’intrusion des grands-parents. La dimension asynchrone de la communication leur permet de préserver leur intimité, leur autonomie. Ils gardent la connexion sans véritablement cultiver le lien.

sparkangelshome.jpgEn écho à ces constatations sociologiques, Franck Rougeau, cofondateur de Sparkom, a présenté SparkAngels, une plateforme collaborative de téléservice à la personne. Comme le disait Laurence le Douarin, les médiations entre personnes âgées et adolescents sont parfois difficiles : comment accompagner ceux qui sont le plus loin de la technologie dans l’usage du numérique ? Comment fait-on quand on est bloqué devant un fonctionnement, seul devant son écran ? « La plupart du temps, on demande conseil à un proche », explique Franck Rougeau, mais l’aide à l’usage par téléphone est très complexe du fait de la richesse des interfaces, écrans et logiciels.

D’où l’idée de SparkAngels, de développer une solution en libre téléchargement pour partager et montrer ses écrans entre deux personnes distantes et permettre de débloquer, par l’exemple, une personne en difficulté face à son environnement informatique. Les usages de SparkAngels sont intéressants : le système totalise 170 000 utilisateurs et 500 téléchargements par jours, soit quelque 1000 sessions quotidiennes (2000 personnes) d’une durée moyenne de 15 minutes. Le système est bien sûr surtout utilisé par des seniors, sur la recommandation de leur descendance à la recherche d’un outil pour mieux les accompagner. Le système est enfin surtout utilisé pour débloquer des problématiques d’usages plutôt que pour faire de la formation.

Une des demandes des utilisateurs, qui a le plus fait évoluer la plateforme, a été d’avoir accès à des référents, pour ne plus avoir à gêner leurs enfants ou pour trouver des compétences particulières. SparkAngels a lors mis en place une plateforme payante, mettant en relation experts et personnes demandant de l’aide. Peut-être de quoi voir ici, les limites de la relation de médiation familiale autour des nouvelles technologies… ou au contraire leur succès, puisque la médiation conduit à la transmission et à l’appropriation.

Amandine Bruguière et Hubert Guillaud

NB : Les étudiants de l’Ensci ont réalisé, à l’occasion de l’université de printemps, plusieurs supports de communication pour interroger le numérique par rapport au vieillissement. L’affiche qui illustre ce billet est l’un de ceux-ci. Vous trouverez les autres sur le fil Flickr de la Fing.

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