Memristor : Le composant manquant ?

Se pourrait-il que la lenteur des développements en intelligence artificielle soit due à un composant électronique manquant ? C’est l’idée surprenante développée dans un récent article du très sérieux
New Scientist
.

Il existe aujourd’hui trois types de composants électroniques fondamentaux : la résistance, la bobine et le condensateur (le plus connu des composants, le transistor serait en fait un genre de résistance). Dès 1971, Leon Chua, de l’université de Berkeley avait émis l’hypothèse d’un quatrième élément : le memristor, expliquait-il serait en mesure de se souvenir des courants qui l’ont traversé auparavant.

Les théories de Chua affirmaient qu’un tel « memristor » pouvait exister, mais il n’existait aucun système capable de réaliser cette prouesse dans le monde réel. Jusqu’à ce que Stan Williams, chercheur à Hewlett Packard, réalise un tel procédé au niveau nanométrique.

Il a utilisé pour cela des assemblages de molécules de dioxyde de titanium. Il a soumis son nanosystème à certains voltages, qui, selon la direction du courant, le transformait en conducteur ou semi-conducteur. Si ensuite on coupait l’électricité, le processus s’arrêtait. Mais si on relançait le courant par la suite, le système reprenait immédiatement son état antérieur.

Première conséquence : la possibilité de construire des mémoires « flash » beaucoup plus efficaces. En effet, l’effet memristor « s’use » et ne fonctionne environ que 10 000 fois avant de s’effondrer. Cela rend les memristors peu utilisables pour construire des mémoires d’ordinateurs, mais les mémoires flash qui s’usent au même rythme pourraient avantageusement être remplacées. Mais, toujours selon le New Scientist, là n’est pas le plus important : le memristor serait la clé de l’intelligence artificielle.

La mémoire est-elle la clef de l’intelligence artificielle ?

Pour expliquer pourquoi, l’auteur de l’article appelle à la rescousse une des créatures les plus bizarres de notre planète : le Physarum Polycephalum.

Un Physarum polycephalum par Sentrawoods
Image : CC Un Physarum polycephalum par Sentrawoods.

Cette curieuse forme de vie plus ou moins apparentée aux champignons vit dans les forêts et présente l’aspect sympathique d’une gelée gluante. Il s’agit en fait d’une amibe, d’un unicellulaire de taille gigantesque. Ce n’est même pas un animal, mais elle n’est pas aussi bête qu’elle en a l’air. Elle réagit à son environnement et est même capable de trouver son chemin dans un labyrinthe. En fait, certains chercheurs ont même travaillé à lui faire » piloter » un robot ! Mais il y a plus. Exposée à une série de stimuli répétitifs, elle s’est montrée capable de « prévoir » un évènement susceptible de se produire, comme un bon chien de Pavlov. En effet, soumise à une série de changements de températures, la créature se met au bout d’un certain temps à réagir à l’avance à ces modifications.

Comment cet organisme arrive-t-il à se souvenir sans le moindre neurone ? Pour Max Di Ventra, physicien à l’université de Californie, les éléments constitutifs de l’amibe pourraient bien se comporter comme des memristors. Capables de se souvenir des états vécus précédemment, ils reprendraient éventuellement une configuration spécifique déjà employée face à certains évènements. Ventra et son équipe se sont attachés à prouver leur hypothèse en construisant un circuit électronique analogue à la moisissure, comprenant bien sûr des memristors. Celui-ci devint vite capable, à son tour, de « prévoir » les courants électriques qui allaient le traverser.

Les capacités mémorielles du Physarum Polycephalum seraient la preuve que le développement de l’intelligence passe par un système de type memristor. Un collègue de Stan Williams à HP, Greg Snider, travaille sur la création de synapses électroniques capables de se conduire comme les vrais. Selon lui, l’existence de tels composants nanométriques permet justement des applications d’intelligence artificielle qu’une simulation au niveau électronique n’autorise pas, pour une simple raison : la densité. Rappelant qu’il existe plus de 1010 synapses par centimètres carrés de cerveau, soit une densité 10 fois supérieure à celles des microprocesseurs actuels, il précise avec la force de l’évidence  : « C’est une importante raison pour laquelle les machines intelligentes ne se promènent pas dans la rue. »

« Les gens confondent ce que nous faisons avec les réseaux neuronaux », renchérit Williams. « Mais les réseaux neuronaux – la voie la plus prometteuse, jusqu’ici, pour créer un cerveau artificiel – reste du software fonctionnant sur du matériel standard. Ce que nous visons, nous, est un changement d’architecture. »

Changer l’architecture de la mémoire

Steve Grand, l’auteur du jeu « expérimental » Creatures et spécialiste de la vie et de l’intelligence artificielle, n’est pas aussi enthousiaste. Certes le memristor est intéressant, mais selon lui l’auteur de l’article (et les chercheurs qu’il cite) commet une erreur fondamentale.

« Je ne peux empêcher, explique-t-il, de trouver qu’il existe un sérieux problème dans la manière dont les physiciens et les mathématiciens réfléchissent à la biologie. »

« Un ordinateur est bien sûr un système électronique, mais le point le plus important à ce sujet est qu’un ordinateur est capable de simuler n’importe quelle autre machine. Donc ils peuvent également simuler des memristors. Ils n’ont pas besoin d’être construits avec : ils les simulent sous forme de code, comme ils le font pour toute chose. Je suis sûr que j’ai écrit de nombreuses fois du code qui possédait un état mémoire analogue à celui d’un memristor (…). Il n’y a qu’un physicien pour confondre le hardware et le software comme ça. Ça me dépasse ».

« La science classique a parfois la mauvaise habitude d’être obsédée par les quantités et d’oublier, voire de nier l’existence, des qualités. (…) La raison pour laquelle nous ne comprenons pas le cerveau n’a rien à voir avec un « composant manquant ». La raison pour laquelle nous ne le comprenons pas est que nous ne saisissons pas le CIRCUIT. La mémoire, les pensées, les idées et le moi ne sont pas des propriétés des composants du cerveau, mais de son organisation.

(..) La vie et l’esprit sont des constructions qualitatives. Chercher le secret d’un mystérieux élixir vitae est une complète erreur ».

Sans doute, les memristors permettraient de créer des intelligences artificielles qui ne nécessiteraient pas des corps cybernétiques de 4 m3, ou qui ne mettraient pas une heure pour formuler la pensée la plus simple. D’un autre côté, l’absence des memristors ne saurait expliquer et justifier les difficultés rencontrées par les chercheurs en intelligence artificielle. Il semble bien qu’il y ait là une barrière théorique qui va bien au-delà de l’usage de tel ou tel composant.

Alors hardware ou software ? Les paris restent ouverts !

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0 commentaires

  1. Excellent article !
    Mais je ne crois pas qu’il y ait lieu d’opposer software et hardware. L’intelligence artificielle sera nécessairement une combinaison entre une architecture cognitive (quitte à s’inspirer de la biologie, et l’on n’est alors plus dans l’intelligence artificielle mais dans l’artificialisation de l’intelligence réelle) et un cheminement cognitif (simulation de l’intelligence réelle).

    Mais on pourrait aussi se poser une autre question : l’intelligence artificielle doit-elle nécessairement s’approcher au plus près de l’intelligence réelle ? 😉

  2. Merci de revoir cette traduction : les 3 composants cités au début sont :
    1- la résistance
    2- la bobine (plus précisément la self ou self inductance)
    3- le condensateur (ou capacité) mais accumulateur est une grosse faute de compréhension.

    Sinon, article intéressant. Il y a certainement de nombreux composants nouveaux à découvrir.

  3. « Se pourrait-il que la lenteur des développements en intelligence artificielle soit due à un composant électronique manquant » ? Au moins, cette question a le mérite de poser le vrai problème : comment se fait-il qu’un projet datant de 1971 (Minsky), et bien avancé à l’époque (Mycin), n’ait toujours pas débouché aujourd’hui, SOIT 40 ANS APRES ?

    L’explication est simple : l’intelligence artificielle est censée rendre l’ordinateur intelligent. Or, s’il devient simplement un peu intelligent, il n’a plus besoin de développeurs pour se programmer ! Il le fait lui-même. Et je ne blague pas, la solution est sur le marché depuis 10 ans. Mais c’est l’omerta de la recherche « officielle »… Vous croyez que des développeurs et chercheurs qui vivent de la crédulité des entreprises vont leur offrir une vraie IA qui permet de se passer d’informaticiens ?

    Cette IA pourtant existe. Lisez donc ces deux articles : L’IA raisonnante et Conscience artificielle et robotique (http://www.admiroutes.asso.fr/larevue/2008/93/lespinay.htm et http://www.admiroutes.asso.fr/larevue/2009/95/robotjpl.htm) et vous allez en apprendre de belles…