#pdlt : Esprit hacker, es-tu là ?

Xavier de la Porte, producteur de l’émission Place de la Toile sur France Culture, réalise chaque semaine une intéressante lecture d’un article de l’actualité dans le cadre de son émission. Désormais, vous la retrouverez toutes les semaines aussi sur InternetActu.net.

Le mensuel américain Wired vient de livrer un article qui fait la couverture du numéro de mai titré : « Le pouvoir geek : comment la culture hacker a conquis le monde ». Le dossier consiste en un long papier de Steven Levy dont l’angle est alléchant. Il y a 25 ans, Steven Levy publiait un livre qui a fait date : Hackers, Heroes of the Computer Revolution (résumé en anglais sur Wikipédia), livre pour lequel il avait interrogé quelques-uns des génies de l’informatique de l’époque (dont Bill Gates, Steve Wozniak ou Richard Stallman). 25 ans plus tard, Steven Levy décide de les revoir, de les interroger à nouveau, de comprendre ce qui s’est passé entre temps, de saisir ce qui reste de l’idéal hacker et comment il s’est prolongé, non sans mutation, dans la figure très contemporaine et très valorisée du geek de génie, dont Mark Zuckerberg, le fondateur de Facebook, est désormais la figure emblématique.

Wired et les hackers

L’idéal hacker

Je fais une parenthèse terminologique. Si, en français, le terme « hacker » désigne essentiellement un « pirate informatique », ce n’est pas son sens originel en américain. « Hacker » signifie originellement « bidouilleur », « bricoleur de code » et son glissement vers le sens de « pirate informatique » est un problème que Steven Levy ne manque pas de prendre en compte dans son long article. Mais c’est dans son premier sens intraduisible de « programmeur bidouilleur » qu’il faut l’entendre dans l’article de Levy, qui définit lui-même les hackers comme ces « brillants programmeurs qui ont découvert des mondes de possibles à l’intérieur des délimitations codées d’un ordinateur ». Ce que Steven Levy avait pressenti à l’époque, c’était que ces gens seraient les acteurs centraux de la révolution numérique qui commençait à avoir lieu. Ce qu’il avait découvert à l’époque dans l’esprit hacker, c’était notamment « un joyeux mépris pour tout ce que les autres considéraient comme impossible ». Mais, il y avait derrière cela, dit Lévy, « quelque chose de plus merveilleux encore […], tous les vrais hackers partageaient un ensemble de valeurs qui sont devenues le credo de l’âge informatique ». Levy rappelle quelques-unes de ces valeurs : « On peut créer de l’art et de la beauté sur un ordinateur ». Ou « les hackers doivent être jugés sur leur aptitude à hacker, pas sur les faux critères du diplôme, de l’âge, de la race ou de la position sociale ». Un autre axiome faisait des ordinateurs des instruments insurrectionnels, qui garantissaient du pouvoir à tout individu doté d’un clavier et d’une intelligence suffisante. Et, puis, il y avait un dernier postulat, que Levy avait considéré alors comme la clé de la culture hacker, et qui est devenu le plus controversé : « Toute information doit être libre et gratuite ».

Levy rappelle à quel point ces préceptes ont inspiré des générations de programmeurs, d’intellectuels et d’entrepreneurs et à quel point aussi toute personne qui utilise un ordinateur en profite, « l’internet lui-même existe grâce aux idéaux hackers », résume-t-il. Mais à l’époque déjà, Levy s’inquiétait de la menace de la commercialisation dont il craignait qu’elle ne corrompe ces idéaux. « Le fait que l’éthique hacker se répande aussi largement, écrit Levy et se mêle à l’argent de tant de manières laissait présager que le mouvement, comme toute sous-culture qui entre dans le mainstream, allait changer du tout au tout ». Et c’est cela qu’il est allé vérifier, en retournant voir les vieux hackers, ceux qu’il avait interrogés il y a 25 ans, mais aussi les plus jeunes.

Pour ça, il identifie trois grandes catégories : les « titans », ceux qui ont réussi, qui sont aujourd’hui riches, puissants et célèbres, qui sont parvenus à capitaliser leurs aptitudes en faisant plus ou moins de concessions. Les « idéalistes », qui n’ont pas trahi l’idéal, mais d’une manière ou d’une autre, en souffrent. Et la « nouvelle génération », qui a pleinement profité des acquis hackers et les transforme, sans aucun scrupule, en or.

Comment le code façonne l’humanité

Parmi les Titans, il y a évidemment Bill Gates. Bill Gates, en un sens, c’est l’emblème du hacker. Programmeur de génie, comme le rappelle Lévy qui dit avec admiration : « sa première version de Basic, écrite avec une telle efficacité qu’elle pouvait fonctionner sur un ordinateur de 4 kilos bits de mémoire, était une merveille. » Bill Gates, c’est le type qui dit, encore aujourd’hui : « Si vous voulez engager un ingénieur, regardez les codes qu’il a écrits. Ca suffit. S’il n’a pas écrit beaucoup de code, ne l’engagez pas. » Mais Bill Gates était-il encore un hacker au début des années 80 ? Pas vraiment. D’abord, comme il l’explique à Levy, c’est entre 13 et 16 ans qu’il avait vécu le plus intensément la programmation. Une fois à Harvard, il ne pouvait plus passer sa journée à programmer, mais, dit-il « à 17 ans, mon cerveau logiciel était formé ». Et puis, très vite, Bill Gates a transgressé une règle fondamentale de l’éthique hacker. Il a toujours considéré que le logiciel relevait de la propriété intellectuelle, qu’il était interdit de le copier. Ca a fait sa fortune. Ca l’a aussi distingué très vite, dès le milieu des années 70, de l’éthique hacker pure.

Autre figure intéressante, et moins connue, Andy Hertzfeld. Au début des années 80, il était employé par Apple où il a designé le système d’exploitation du Macintosh. Aujourd’hui, il travaille pour Google. Et le passage ne s’est pas fait sans difficulté. Car, d’un côté, Google est la Mecque des hackers, en mettant en avant la passion et soutenant l’open source, deux impératifs hackers. Mais d’un autre côté, Google est une énorme entreprise avec des standards et des processus suffisamment rigides pour rendre l’expérience moins amusante. D’ailleurs, Hertzfeld le dit « je ne peux pas exercer ma créativité d’une manière qui m’apporte de la joie, ce qui est fondamental pour moi ». En même temps, et c’est le calcul qu’il fait, il a gagné en passant chez Google la possibilité de laisser une empreinte sur le monde. Comme l’écrit Lévy : « Quelqu’un chez Google peut affecter la vie de millions de gens avec quelques lignes de codes ». Et pour Hertzfeld, ce pouvoir l’emporte sur la joie de la créativité : « Google, l’iphone, tout ça remue la culture plus que les Beatles ne l’avaient fait dans les années 60. Ca façonne l’humanité », explique-t-il à Steven Levy.

Des valeurs à coeur (hacker)

Chez les idéalistes, le discours n’est pas le même, évidemment. Pour Richard Greenblatt, qui était en MIT dans les années 80, et qui est aujourd’hui chercheur indépendant, les intérêts économiques se sont introduits dans une culture qui était fondée sur les idéaux d’ouverture et de créativité. Il explique à Levy : « Il y a aujourd’hui une dynamique qui tend à formater les pages web pour que les gens cliquent le plus possible sur les publicités. Ceux qui l’emportent, ajoute-t-il, sont ceux qui s’arrangent pour vous rendre les choses le moins efficaces possible ». Et quand il regarde l’état du hacking contemporain, il voit un monde déchu. Le mot lui-même a perdu son sens : « Ils nous ont volé notre mot, dit-il à Steven Levy. Il a irrémédiablement disparu. » Le discours de Richard Stallmann n’est pas très différent. Au MIT au début des années 80, il est devenu un des papes du logiciel libre, une des personnalités les plus écoutées dans ce domaine. Mais ça n’évite pas l’amertume. Il paie aujourd’hui son radicalisme par un sentiment d’isolement qui le différencie grandement de la figure du geek telle qu’on la valorise aujourd’hui.

Et c’est précisément cette figure par laquelle Steven Levy termine son long papier. Les geeks, ce qu’il reste des hackers d’antan. Et d’abord Paul Graham, 45 ans, un gourou du web, à la tête d’un incubateur de start-ups. Lui le dit tout de go. Il cherche des hackers. Il explique pourquoi : « Les hackers comprennent suffisamment bien un système pour en être en charge et en faire ce qu’ils veulent et pour parfois le mener dans des voies inattendues. » Mais ce qu’il vise en priorité, ce sont ceux qu’il appelle les « hackers du monde » : « des gens qui ne comprennent pas seulement comment trafiquer les ordinateurs, mais comment trafiquer le monde ». Il raconte d’ailleurs à Steven Levy comment il conseille aux jeunes start-uppers qui vont rencontrer des investisseurs de ne surtout pas s’habiller comme des diplômés de MBA. Hacker, c’est aussi une question de style. Pour lui, les valeurs hackers ne sont pas menacées par le business, elles ont conquis le business : faire du rapiéçage pour résoudre un problème, décentraliser la prise de décision, mettre en avant la qualité du travail plus que celle de la garde-robe, ce sont des idéaux du hacking et ils se sont infiltrés dans le monde travail. Voilà la nouvelle génération de hackers, selon Steven Levy, des gens qui ne voient pas le business comme un ennemi, mais comme le moyen pour leurs idéaux et leurs innovations d’atteindre le plus large public possible. Nouvelle génération au premier rang de laquelle, on trouve l’inévitable Mark Zuckerberg, fondateur et PDG de Facebook. Lui se voit comme hacker, qui a dit un jour « nous partageons un éthos commun, vouloir construire une culture hacker ». Et il l’explique à Steven Levy : « On n’a pas commencé avec une grande théorie, mais avec un projet qu’on avait bricolé en quelques semaines […]. Toute notre culture repose sur le fait qu’on veut construire les choses rapidement. […] Ca fait partie de la personnalité de Facebook maintenant. Nous croyons fortement dans l’idée qu’il faut bouger vite, qu’il faut repousser les frontières, qu’il faut casser des choses. » Et pour ça, il faut des hackers, Zuckerberg le dit clairement : « Un bon hacker peut être aussi bon que 10 ou 20 ingénieurs, et on essaie d’en tenir compte. On veut être l’endroit où les meilleurs hackers veulent travailler, parce que notre culture est fabriquée de telle manière qu’ils puissent faire les choses vite, qu’ils puissent faire des trucs dingues et être reconnus pour cette qualité. » Ce qui n’empêche pas Zuckerberg, comme Gates, d’être accusé de mettre à bas l’éthique hacker, pour des raisons assez évidentes, notamment la réduction à minima de qui faisait originellement cette culture.

Le bilan à tirer de tout cela peut paraître assez déprimant. Mais Levy n’en reste pas sur ce constat. Et il convoque Tim O’Reilly , le grand Tim O’Reilly. Pour lui, l’esprit hacker existe encore, sans doute plus dans l’informatique, déjà plus dans les technologies vertes sur lesquelles le marché a fait main basse. Les vrais hackers regardent ailleurs, ils regardent vers la biologie, et ils manipuleront le code génétique comme les hackers des générations précédentes ont manipulé le code informatique. C’est d’ailleurs ce que dit Bill Gates à Steve Levy, s’il était adolescent aujourd’hui, il irait vers la biologie « en créant artificiellement de la vie avec l’ADN de synthèse. C’est un équivalent du langage de programmation des machines. […] Si vous voulez vraiment changer le monde, c’est par là que vous devriez commencer : les molécules. »

Xavier de la Porte

L’émission du 21 mai 2010 était consacrée à la gouvernementalité algorithmique avec Antoinette Rouvroy chercheuse au Centre de recherche informatique et droit et Thomas Berns, du Centre Perelman de philosophie du droit, auteur de Gouverner sans gouverner : une archéologie politique de la statistique. Ainsi que de Breaking, spectacle et processus créatif d’Eli Commins. Une émission à réécouter en différé ou en podcast sur le site de Place de la Toile.

placedelatoile

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0 commentaires

  1. Les hackers d’hier n’étaient pas reconnus. Nous verrons demains qui étaient les hackers d’aujourd’hui. Prions pour qu’ils existent, car les mondes numériques ont tendance a se transformer en dispositifs de surveillance a la proximité des pouvoirs. Et, contrairement aux années 50-70, les pouvoirs sont aujourd’hui très proches des mondes numériques.

  2. Autant j’ai apprécié la lecture de cet article, autant je trouve que la conclusion sur les « hackers biologistes », c’est du grand n’importe quoi.

  3. Par Robert Stallman vous voulez parler de Richard M. Stallman ; )

    – Oups. Corrigé. Merci ! – HG

    Fort heureusement l’esprit hackeur est toujours là, je crois qu’il l’a toujours été. C’est je pense ce qui a fait que l’Homme en tant qu’espèce a pu évoluer et s’adapter à son environnement.
    L’esprit hackeur c’est la volonté de décortiquer le monde pour le comprendre puis le tourner à son avantage. Autrefois on appelait les hackeurs… alchimistes. L’un des grand principe de cette science est le suivant :
    « Visita interiorem terrae rectificando invenies operae lapidem »
    Ce qui veut à peu de chose près « Descends dans les entrailles de la terre, en distillant tu trouveras la pierre de l’oeuvre » ou moins littéralement que plus on analyse un phénomène ou un objet ou une technologie et plus on peut trouver matière à en faire autre chose.

    Zuckeberg n’a rien d’un hackeur. l’esprit hacking est définitivement incompatible avec l’idée de brevet technologique ou informatique et donc incompatible avec l’idée de s’enrichir autre que spirituellement

  4. On parle de hacker et actuellement en génétique aussi avec les biohacker ( ceux qui créent des nouveaux microorganismes, réécrivent un gene à base de marqueur ADN ( g,a,t,c) ) .
    Ce sont des développeurs aucun lien avec un pirate qui est un cracker , il cherche une faille et l’exploite , donc un autre sujet .
    Enfin vous confondez homme d’affaires s’étant lancé dans l’économie numérique ( Bill GATES , ZUCKEBERG etc… ) avec des programmateurs ( Robert STALLMAN ) , il y a une nuance et la philosophie est loin d’être la même car l’idéale de l’un et le cauchemar de l’autre . 🙂 ;p

  5. Dans une startup, souvent des pouponnières de hackers, il y a 3 types d’individus: le creatif, le tech et le financier. Le hacker est quelque part entre le creatif et le tech. Gates et Zuckerberg sont plutôt des financiers: un peu tech, un peu creatif, mais trés financier.

  6. Comme il le disent un hacker est un bidouilleur c’est tout. Enfaite… suffit de savoir le mot « bidouille » en englais, pour savoir qu’un hacker est un bidouilleur rien de plus simple. Tout comme un « cat » et un chat…

    Bref… Ta les gens qui lisent et qui réfléchissent, et ta ceux qui lisent et qui croit tout, sans réfléchir. (je parle pas de cette article, mes des milliard d’autre polluant le web…)

    Bye bye….

    PS: « Hackeur » sa existe pas en francais, Hacker non plus… bref, quand vous aurais compris que Hacker = Bidouilleur en francais, vous aurais marquer 1 point.

    (Comme on peu le lire sur wikipedia, hacker, est un mot utiliser en informatique pour désigner un programmeur astucieux , et c’est pas parce qu’on l’utilise en informatique qu’il est fait que pour l’informatique…(tout comme tu peu te servir d’un marteau en maçonnerie et en electricité aussi…))

    Nous somme en 2010… et comme tout les jour, je constate que 99% de l’humanité a besoin d’une rénovation cérébrale….. Et j’ai réfléchie + de 8 longue années a sa pour le dire 😉

    Et vous savez ce que j’aimerais le + au monde ? qu’une fois vos membres mort (je parle de votre corp) votre âmes ce trouve de nouveau yeux, et que vous puisez voir tout le monde de haut, et vous verrez les erreur fatale que vous faite, vous verrez les gentils et les méchant, et la je peut vous dire que vous aurais de sérieux remord. (je suis hors-sujet… mes… je pense qu’on doit être libre de dire ce que l’on veut, tant que c’est pas bête.)

    –Putain ce mec… il en rajoute toujours trop…Certain me reconnaisse grace a sa d’ailleurs.

  7. @Bidouilleur Moi je crois que le monde ira mieux une fois qu’internet sera débarrassé de ces fautes d’orthographe qui altèrent le sens des phrases. Ca aussi ca mérite une rénovation cérébrale.

    Sinon, le débat ici se fait sur une simple question sèmantique. Je pense que le terme hacker est sujet à fluctuations de sens au fil du temps.

  8. Je crois Bidouilleur a raison de dire que hacker=bidouilleur.
    Simplement, je rajoute que le hacker considere le partage comme une composante essentielle du processus de bidouille. S’il n’y a pas de partage alors on ne peut pas parler de hacker.

    Ainsi bill gates n’a RIEN d’un hacker, il en est exactement l’inverse : quelqu’un qui cherche a cacher les connaissances aux autres.

    Stallman, torvalds et autres sont des hackers car ils considerent que leurs connaissances meritent d’etre partagees par tous, pour le bien de tous et y compris pour la bidouille elle-meme.

  9. @ flu : Je crois pas que tu sois bien placé pour parler de terminologie dans le monde de l’informatique… Sinon, je savais pas que Stallman était programmateur, moi qui croyais qu’il travaillait dans l’informatique…

  10. L’article de Wired est à replacer dans le contexte business et techno-enthusiaste de la communauté des professionnels des médias qui ont décidé de populariser la culture hacker dans les années 80. Steven Levy, ainsi que Stewart Brand, mais aussi Kevin Kelly (Silicon Valley, the WELL, Wired Mag) n’ont eu cesse de territorialiser les pratiques de détournements informatiques et les représenter sous des formes modifiées telles que la figure du hacker milliardaire (gates, zuckerberg) ou prophétique (woz, les éditorialistes de wired dont SL, KK, howard rheingold, etc).

    Une très bonne contre-analyse de la construction de l’image médiatique des businessmen hackers se trouve dans le livre de Fred Turner ( From Counterculture to Cyberculture: Stewart Brand, the Whole Earth Network and the Rise of Digital Utopianism (2006) ) où il détaille le renversement de l’idéologie des pionniers des détournements informatiques (notamment le homebrew computer club qui a été un des premiers lieux experimental attaqué par Gates) vers des problématiques d’influence et de pouvoir économique à très grande échelle comme par exemple la transformation de S. Brand hippie écolo des années 60 en spin-doctor pour Shell avec le but de créer un futur toujours plus vert.

    Wired est une machine à recycler des scénarios du futur en business-models et également un haut lieu d’édification de statut et d’ordre social. Turner montre bien comment les agents de communication comme Brand, John Brockman (edge.org), Kevin Kelly, etc, ont réussi à créer une techno-élite d’un rang suffisament élevé qu’elle leur permet d’accéder aux mêmes lieux de pouvoir que l’élite politico-economique internationale (de TED à DAVOS ).

    A bien des égards, Tim O’Reilly est le Steward Brand des années 2000, Make Magazine l’équivalent du Whole Earth Catalogue et les FOO/SCI Camps l’équivalent des Trips Festivals organisés par Brand et les hippies baba coolos des années soixante ( http://www.pranksterweb.org/trips.htm ). O’Reilly est d’ailleurs un regular des diners Edge en compagnie de Brand, Bill Gates, Richard Saul Wurman (Ted), Kevin Kelly, Craig Venter (biologiste), Peter Gabriel :))

    Concernant le point final à propos de la biologie synthetique, le mouvement DIY Bio et le futur du hacking (bio, nano, everything hacking), je pense que contrairement à l’informatique et à ses enjeux incertains dans les années 70, les sujets comme les PCR diy, le séquencage du génome à la maison et les nanopoudres de carbones dans son garage vont faire face à des groupes énormes comme l’industrie pharmaceutique, petrochimique, et autres grands groupes de recherche internationaux aux avocats et stratégies territoriales affutées et dynamique. Il faudra donc déployer non seulement une intelligence et une créativité scientifique mais également légale, culturelle et sociale pour arriver à être un citoyen chercheur qui ne risque pas de finir comme Steve Kurz 😉

    DIY Bio, iGem, OpenWetWare sont tout à fait passionants et je crois que certaines personnes à Paris se sont lancés dans ces aventures passionnantes (voir la carte de DIY Bio et regarder France) ainsi que les hackers de la FFF (Free Fermentation Foundation) à la Générale à Paris. Le Nano hack est difficile car les machines pour travailler à cette echelle sont encore rares et réservées à quelques labos qui n’ont pas forcément l’intention de distribuer leurs résultats en Open-Source 🙂

    D’une certaine manière, le hacker moderne est un chercheur qui se pose la question de la liberté d’experimenter et de publier librement des recherches dans un contexte de plus en plus controllé, territorialisé. Richard Stallman a pu écrire le code source d’un photocopieur dans les années 70, il aurait plus de difficulté de fabriquer une machine ultrabrevetée moderne ou de modifier par exemple le code source d’une imprimante 3D. Sans se lancer dans l’éternel débat GNU, open-source, creative commons, remix, etc (stallman vs lessig), il me semble que le hacker moderne n’est pas l’enthousiaste bio-hacker qui fait de la bière fluo dans sa cuisine, mais plutôt le hacker juridico-scientifique de l’ACTA qui va permettre à ses camarades d’experimentation de ne pas aller en prison à cause d’un copyright infringement d’un grand groupe pharmaco-chimique ou mieux d’un patent troll comme Intellectual Venture qui enregistre les brevets à la chaine et valorise un portefeuil territorial.

    Récemment, le Berkman Center à Harvard à organisé de nombreuses mini-conf sur le brevet logiciel, le brevet bio, l’open-hardware d’un point de vue juridique (Berkman dépend de la Harvard Law School). A quand la même préoccupation en France (je crois que certains groupes comme Vivagora organisent des débats sur ce sujet, mais dans un contexte plus politisé je crois).

    Enfin, Il serait intéressant pour un journal/blog comme Internet actu de comprendre de la même manière quel est son indépendance dans ce genre de débat et notamment jusqu’à quel niveau de critique peut on aller lorsque on est une structure qui dépend également d’autres organismes en général techno enthousiastes, à la Wired, comme la Fing par ex. Inventer le futur est fascinant, se poser la question de la validité de ce genre d’invention est également intéressant. Wired, Tech Review et grand nombre de publications technophiles sont toujours bornées par les limites de leur modèle économique et de leur propre culture.

    Lorsque Steven Levy décrète que Mark Zuckerberg est un hacker, qui à part les hackers peut en rire ? La plupart des lecteurs de Wired s’en remettront à l’autorité de Wired et ce genre d’article influencera certainement la manière dont les gens percoivent Gates, Zuckerberg par collusion avec de « vrais » hackers comme Stallman, Richard Greenblatt, etc. Une composition photo avec les « hackers » et hop, on est membre du club, comme on est membre du club qui invente le futur en participant aux diners Edge, et donc par correlation, on doit certainement dire quelque chose d’intéressant, et pourquoi pas penser qu’on fait partie de l’élite intellectuelle. Vu de l’exterieur, pourquoi pas, tout est question d’image 🙂

    Un journaliste devrait pouvoir être plus ou moins indépendant dans sa pratique. Lorsque les pharmaciens sont les docteurs comme à Wired, il semble que la rigueur éditoriale se transforme parfois en éloge. Lorsque c’est un éditeur de livres, organisateur de conférence qui pré-dit (pro-gramme) le futur, est-ce un commentaire ou un plan com ? Je tiens à préciser que Tim O’Reilly, les éditorialistes de Wired et les astroturfers américains comme Brand ou Brockman sont très intelligents et connaissent très bien ce milieu. Je déplore néanmoins le peu de perspectives alternatives sur ce genre de sujet car en général ces publications sont très visibles et occupent une grande majorité de l’espace du discours.

    Concernant Internet Actu et le grand nombre de ses source provenant de Tech Review, TED, Wired et similaires, il serait intéressant de considérer parfois des perspectives différentes, en interviewant aussi des spécialistes des sciences humaines (STS, history of sciences & technology, infocom, chercheurs non-américains 🙂 ) spécialistes de ces questions pour avoir plus souvent un avis différent, dépassionné. Le futur attire car c’est un espace projectif, ouvert, où l’on peut y voir tout ce qu’on l’on désire. Le présent de la recherche intellectuelle, scientifique nous résiste, et donc est moins séduisant, moins vendeur, mais tout autant valide pour notre reflexion sur l’avenir (cf Latour, le futur c’est le passé, nous allons en fait vers l’à venir http://www.centrepompidou.fr/Pompidou/Manifs.nsf/0/515C4F318833B4C9C1257458003244E8?OpenDocument&L=1 ).

    Pour finir ma « rant » sur Wired et leur market domination:) , je tiens à apporter un point de vue sur un des concepts phares du biohacking ces dernières années: le body-hacking. Récemment, les conférences comme H+, et les mouvements transhumains, posthumains, extropiains, singularistes, etc se rapprochent des mouvements DIY Bio (cf H+ la semaine prochaine à Harvard http://hplussummit.com/ ). Portés par des groupes multinationaux et par des individus enthousiastes convaincus que la technologie est plus importante que la morale, ces mouvements fabriquent de nouvelles images de citoyen hackers, détournant, « augmentant » leur corps, leur contexte, grace aux prouesses de la technologie.

    Sans être luddite, il semble nécessaire de comprendre pourquoi un tel élan vers l' »augmentation » de l’humain ? Pourquoi etre +, pourquoi re-construire l’humain ? J’avais cru comprendre que les hackers étaient curieux, experimentateurs mais surtout des personnes désirant connaitre et partager une experience humaine, sociale. Le hacker+ , comme le business hacker, ou le spinner hacker du futur sera certainement aussi loin de la conception initiale des ados de MITERS que le sont aujourd’hui les hackers de salon et autres surfeurs de bahines ;))

    Enfin, un petit commentaire sur la tension entre image de hacker et hacker praticien. Récemment de nombreux hackerspaces, fablabs et lieux de production technologiques ont été intégrés (ou seront intégrés) dans des montages ambitieux, et présentés comme les « fabriques du futur ». Tout comme Levy et son adoubage technocratique, il sera intéressant de voir comment les collusions entre prospective futuristique, nécessités politiques et réalités et désirs des lieux expérimentaux réutiliseront, recycleront, re-branderont l’image du hacker, bidouilleur idéal, citoyen stackhanov agissant et indépendant de tout système.

    Et à un moment ou N. Chomsky est à Paris, je finis mon commentaire fleuve :] par une citation de Edward Bernays, neveu de Freud, et inventeur des RP modernes:

    « l’ingénierie du consentement est l’essence même de la démocratie, la liberté de persuader et de suggérer ». – (Edward L. Bernays, « The Engineering of Consent », 1947) »

    Cheers,
    o0o

  11. Vous n’avez pas mentionné un livre tout à fait intéressant sur le sujet, il s’agit de « l’Ethique Hacker et l’Esprit de l’ère de l’information » de Pekka Himanen.

  12. Parler de hacking en citant bill Gates et en ne faisant aucune allusion à Richard Stallman
    😮
    Sacrilege!!!!!!!