Peut-on apprendre en ligne ?

A TED 2011, Salman Khan est venu présenter la Khan Academy, une collection soigneusement structurée de plus de 2000 vidéos éducatives (voir la présentation vidéo avec sous-titres en français). La Khan Academy connaît un succès notable avec quelques 1 millions de visiteurs par mois qui regardent entre 100 et 200 000 vidéos par jour, souligne son créateur.

Salman Khan a commencé incidemment. Analyste financier pour un fonds de pension, il donnait des cours de math à distance à des cousins via l’internet et a décidé de mettre quelques leçons sur YouTube, plus comme complément aux cours qu’il leur donnait qu’autre chose. Ses cousins ont été assez heureux d’avoir moins à le déranger pour accéder aux leçons et de pouvoir les suivre selon leur propre rythme. Petit à petit, les vidéos publiques sur YouTube ont rencontré succès et commentaires élogieux… Tant et si bien que quelques profs ont commencé à utiliser ces cours en vidéos comme devoir du soir et à proposer des exercices en classe. Peu à peu, « Les professeurs ont utilisé la technologie pour humaniser la classe », explique Salman Khan.

Le succès aidant, Salman Khan a quitté son travail et fondé une association à but non lucratif, la Khan Academy. Les cours vidéos ne suffisant pas, l’association a développé des exercices interactifs associés à chaque cours. Après avoir suivi le cours en vidéo, les élèves sont invités à faire les exercices interactifs associés : ceux-ci se répètent jusqu’à ce qu’ils en aient réussi 10 d’affilés, signe qu’ils ont compris la notion.

Pour Salman Khan, le système est très différent de ce qu’il se passe en classe, où les cours alternent aux exercices, avant qu’un contrôle ne vienne mesurer le savoir acquis. Chaque élève réussi différemment son contrôle, mais celui-ci accompli, tout le monde passe à l’apprentissage de la notion suivante. En classe, l’idée est qu’on avance rapidement, au rythme du programme, tant et si bien que bien des élèves se retrouvent parfois à la dérive parce qu’ils ont mal assimilés une notion ou que des lacunes se sont accumulées, rendant difficile l’apprentissage d’une notion qui repose sur des savoirs antérieurs. Avec les cours et les exercices de la Khan Academy, les enfants apprennent et assimilent les notions à leur rythme. « Le modèle traditionnel pénalise l’expérimentation et l’échec, et n’attend pas la maîtrise. Nous, nous vous encourageons à expérimenter. Nous vous encourageons à échouer. Mais nous attendons vraiment que vous réussissiez », clame Salman Khan.

KahnAcademyMapofknowledgeLes apprentissages sont organisés autour d’un arbre des connaissances qui amène les élèves vers des connaissances toujours plus évoluées. On part des bases des mathématiques, pour aller vers l’arithmétique, puis l’algèbre… Les cartes permettent de visualiser son avancée dans les concepts.

Certaines classes pilotes à Los Altos ont remisé leurs manuels pour travailler avec la Khan Academy. Chaque élève travaille à son rythme et l’enseignant accède à un tableau de bord qui lui montre les progrès de chacun. Il peut ainsi visualiser les notions acquises, celles sur lesquelles travaillent les élèves et bien sûr, celles avec lesquelles les élèves rencontrent des difficultés, ce qui lui permet d’intervenir. Pour chaque élève, l’enseignant accède à un tableau de bord détaillé du travail de l’élève : mesurant le temps passé, les exercices accomplis, les vidéos vues… Il a également accès à une synthèse des connaissances de sa classe, lui permettant de voir l’évolution de tous les élèves (on peut d’ailleurs gérer une classe facilement via la Khan Academy). En introduisant le suivi personnalisé, on constate bien les rythmes d’apprentissages différents des enfants, estime Salman Khan. On constate également qu’une fois un concept compris et su, bien souvent, la suite est plus facile. « Beaucoup d’efforts pour humaniser la classe se concentrent sur les rapports entre l’élève et l’enseignant. Pour nous, l’humanisation dépend d’un rapport entre l’élève et un temps d’apprentissage profitable avec le professeur. Dans un enseignement traditionnel, le prof passe son temps à donner des cours, des exercices et des contrôles. Peut-être que 5 % de son temps est vraiment passé à rester assis à côté des élèves pour leur expliquer quelque chose et travailler vraiment avec eux. Grâce à nous, 100 % de leur temps peut-être consacré à cela ! »

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Image : en haut, les résultats d’un élève, en base, ceux d’une classe…

Salman Khan rêve déjà d’une classe mondiale, où les enfants ayant appris une notion viendrait aider ceux qui sont en train de l’apprendre. Une évolution qui sera sûrement pour la prochaine version de la Khan Academy… A l’heure où certains Etats américains cherchent à développer les enseignements par ordinateurs pour réduire les coûts de l’enseignement, comme le rapporte Courrier International, il est certain que nombreux sont ceux qui s’intéresseront aux premiers résultats de cette Académie en ligne. Néanmoins, insiste Salman Khan, son rêve n’est pas de faire disparaitre les professeurs, mais au contraire, de les faire se recentrer sur leur mission : aider à apprendre !

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0 commentaires

  1. L’accablement : voila ce que quelqu’un qui, comme moi, n’est pas né de la dernière averse ressent à la lecture de cette conférence qui ne fait que répéter un vieil air, assez bêbête mais qui plaît toujours : ça marche ici, ça marchera partout – ça marche pour ça, ça marchera pour tout – je l’ai fait, vous pouvez le faire, etc.

    Voyez ces généralisations dont l’audace force l’admiration.

    Premier exemple : j’ai enseigné les maths à distance avec succès à mes neveux ; la méthode réussira avec tous les neveux du monde !…

    Deuxième exemple : on peut apprendre les mathématiques élémentaires par des exercices progressifs (euh, ça, on le sait depuis assez longtemps, mais bon, pourquoi pas…) ; n’importe qui pourra apprendre n’importe quoi par la même méthode. Ben voyons !

    L’accablement ne suffit évidemment pas. Car c’est toujours la même rengaine : discréditer l’institution et les apprentissages collectifs, réduire l’apprentissage à une construction individuelle de connaissances, bref, étendre le régime de la jungle qui prévaut à Wall Street (d’où Khan vient) à tout.

    Personne n’est obligé de se laisser faire.

  2. @Serge – Je ne vois pas ce qu’il y aurait d’impérialiste ou de coercitif à dire : « Je vous explique ce que j’ai fait, comment je l’ai fait, dispositif qui a marché chez moi et qui marchera peut-être chez si vous, si vous voulez bien essayer… » S’il y a contrainte, s’il y a l’idée que ce qui marche ici doit marcher partout, il me semble que c’est plutôt du côté de « Programmes officiels » qui s’imposent dans le cadre d’un système éducatif centralisé… Non?

  3. @Chrsitian
    Si Khan en restait là, en effet, il n’y aurait rien à redire. Chacun a le droit d’avoir des idées, des pratiques et de les faire connaître. Ce n’est pas cela qui m’accable mais la suite: le passage du particulier au général et la critique systématique, récurrente, lancinante de la forme scolaire et des systèmes éducatifs (critique à laquelle vous semblez vous-même vous rallier…).
    Or, utiliser une expérience personnelle pour critiquer une institution, c’est idiot sur le plan intellectuel mais ça peut aussi soulever des questions quant à l’idéologie sous-jacente de celui qui s’y livre.

  4. @Serge – Il me semble, en effet, que l’école ne sera pas dispensée d’évoluer avec son temps. Sa forme actuelle n’est pas la forme traditionnelle – je veux dire, pas celle qui correspond à la longue tradition des pays occidentaux comme de tous les autres pays du monde. La forme actuelle apparaît au 19e siècle, c’est-à-dire à l’âge d’or de l’industrie et de l’état-nation centralisé. C’est une forme moderne, qui contredit largement les formes traditionnelles. Et je ne vois pas ce qui pourra empêcher qu’une forme post-moderne (adaptée à l’Europe des régions et à la culture numérique) vienne à son tour remplacer la forme moderne. J’ajoute que je termine une carrière de 40 ans dans l’école publique, et que mes appels à la réforme, et que mes critiques elles-mêmes n’ont rien d’une attaque. Je pense même qu’on ne peut pas faire plus de tort à l’école qu’en l’empêchant d’évoluer… Car alors beaucoup iront se réfugier dans un individualisme effréné, qui n’est pas plus de mon goût que du vôtre.

  5. @Chrsitian
    Nous voila donc d’accord.
    Les deux choses sont vraies : d’une part des innovateurs qui font des choses intéressantes (encore devraient-ils admettre qu’ils ne sont pas eux-mêmes les mieux placés pour en faire l’apologie), d’autre part une institution qui a, comment pourrait-on le contester, besoin de changer (encore faudrait-il admettre que ce n’est pas nouveau et qu’elle le fait, même si ce n’est pas suffisant pour certains).

    Enfin, et c’est peut-être le plus difficile, entre les brillantes idées des premiers et le besoin de changement de la seconde, il n’y a pas de lien direct. Le changement de l’institution ne peut pas résulter d’une trouvaille. C’est l’affaire d’un collectif, d’une société, d’une culture, d’une tradition, choses qui ne se changent pas comme une ampoule usée.

  6. @Serge – L’exemple de la Khan Academy est dangereux, en effet, s’il conduit à penser que des enfants peuvent apprendre seuls – sans un maître pour les conduire, et sans une communauté d’autres élèves pour interagir. L’atelier que j’anime favorise au contraire des activités collectives, à caractère ludo-éducatif. Et les outils numériques nous aident dans ce projet. J’ajoute que de petits ateliers comme le nôtre peuvent intervenir à l’invitation et sous l’autorité des enseignants sans du tout dénaturer l’esprit de l’école publique (ou privée sous contrat). Je pensais à notre présent dialogue en relisant le rapport d’activité de l’une de nos animatrices, que je vous invite à consulter en page d’accueil de notre site. Vous verrez que nous intervenons dans les Classes Relais et que nous ne prétendons nullement accomplir des miracles…

  7. @Serge: Je comprends votre point de vue, mais il me semble que cet ensemble pédagogique (je ne trouve pas de meilleure expression) s’adresse surtout aux autodidactes.
    Il me semble y avoir deux problématiques très différentes à ne pas mélanger:
    – les cursus universitaires structurés,
    – et le plaisir d’apprendre. J’ai moi-même repris les maths il y a quelques années, à travers des bouquins d’occasion assez déglingués de la collection Schaum (merci aux Etats-uniens de nous permettre d’accéder au savoir pour quelques dollars!).

    Le savoir est une chose tellement précieuse dans notre société de plus en plus abrutie par l’utilitarisme que tous les moyens d’y accéder sont bons.

    Merci donc à la Khan Academy que je viens de découvrir grâce à vous.