Islande : la « sagesse des foules » au secours de la Constitution ?

Gudrun Petursdottir, présidente du Comité constitutionnel d’Islande, est venue sur la scène de Lift France nous présenter le projet assez étonnant de révision de la Constitution en cours en Islande.

Comme tout le monde le sait, l’Islande a subi de plein fouet la crise économique de 2008. L’une des conséquences de ce séisme économique a été une profonde remise en cause du système politique traditionnel et le lancement d’un vaste processus de réécriture participative de la Constitution, qui attend aujourd’hui sa ratification par le Parlement.

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Image : Gudrun Petursdottir sur la scène de Lift, photographiée par Loup Cellard pour la Fing.

L’Islande, nous a rappelé Gudrun Petursdottir dans sa présentation, est une république assez jeune. Elle a longtemps été sous la coupe de la couronne du Danemark avant de devenir indépendante en 1944. Elle a également connu une évolution foudroyante. Pays parmi les plus pauvres en Europe au début du XXe siècle, c’est devenu l’un des plus prospères. Malheureusement, ce succès avait son revers. « En 2008, les hommes d’affaires et financiers islandais avaient complètement perdu la notion de leurs limites, avec les conséquences qu’on connait. A cette occasion, la population furieuse a découvert qu’un petit groupe profitait d’avantages financiers gigantesques. Une vague de contestation a alors envahi le pays. C’est là que le numérique est entré en jeu : les gens dont le pouvoir d’achat avait été laminé par la crise ont communiqué entre eux via leurs téléphones mobiles, l’internet. Ils se sont organisés et se sont réunis devant le Parlement. Cette manifestation géante a pris le gouvernement de court, car il n’y avait pas d’organisateurs, de leaders, de mots d’ordre… Les méthodes classiques de contestation avaient été transformées par la technologie ».

Cette intrusion des nouveaux moyens de communication dans l’espace public a inspiré le processus de révision de la Constitution actuellement en cours en Islande. En 1874, le roi du Danemark et d’Islande avait proposé une constitution calquée sur celle des Danois. En 1944, lorsque l’île est devenue indépendante, le Parlement d’alors a opéré un petit nettoyage, en changeant quelques aspects obsolètes, par exemple, en remplaçant le roi par un président. Et la Constitution a été approuvée par 98 % de votes favorables. « Les Islandais étaient contents d’avoir leur propre Constitution. Depuis, il a toujours été question de remettre les choses à plat et de permettre à l’Islande de posséder « sa » Constitution, et non un copier-coller de celle du Danemark. Mais cela ne s’est jamais fait. Le Parlement n’était manifestement pas le meilleur promoteur de l’opération et pour cause : les parlementaires avaient trop d’intérêt à voir se poursuivre le statu quo. La Constitution fonde leurs pouvoirs et ils n’avaient donc aucun intérêt à la réviser. »

« Pour arriver à un changement, il fallait donc impliquer le public. »

En fait, pour remettre un peu de contexte sur les propos parfois rapides de Gudrun Petursdottir, il faut rappeler que le 10 mai 2009, un nouveau gouvernement est formé issu d’une alliance entre les sociaux-démocrates et le mouvement écologique, comme le rappelle Adrien Galvez sur Mediapart. « Pour la première fois, une femme, Johanna Sigurdardottir, est élue Premier ministre. Cependant, dans ce contexte de crise économique et politique, la pression populaire s’accentue sur le gouvernement pour revoir l’organisation des pouvoirs législatifs et exécutifs ainsi que les piliers de l’infrastructure administrative islandaise. Le 4 novembre 2009 le Premier ministre propose de réviser la Constitution et un Comité constitutionnel indépendant du Parlement est créé. Celui-ci remet un rapport au printemps 2010 et le projet de révision de la Constitution approuvée par le Parlement le 16 juin 2010. Cette révision, suivant les axes indiqués par le Comité, devra porter sur des points précis, dont : les concepts fondamentaux de la constitution, l’indépendance de la justice, l’organisation des élections, le rôle du Président de la République et du gouvernement. Le rapport du Comité prévoyait aussi d’une part l’organisation d’un forum national pour consulter directement les citoyens et recueillir leur avis, d’autre part l’élection de 25 citoyens, par suffrage direct, chargés de mener à bien la révision de la constitution et formant la nouvelle Assemblée constitutionnelle. »

Le processus avait donc deux phases. La constitution d’une assemblée populaire tout d’abord, puis les travaux de l’Assemblée constitutionnelle.

Après 6 mois de travail – organisé par Agora.is – on a réuni, le 6 novembre 2010, 1000 citoyens tirés au sort parmi les Islandais (soit 0,3 % de la population islandaise qui compte 320 000 habitants). Il fallait une représentation de toutes les couches de populations en âge, sexe, situation sociale, origine géographique, etc. Puis ces mille personnes se sont réunies pendant 8 heures pour dresser la liste des valeurs fondamentales de la société islandaise. « Les gens ont parlé des problèmes importants, se sont écoutés et ont rangé les problèmes par ordre de priorité. Ce fut une journée incroyable », se souvient avec émotion Gudrun Petursdottir.

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Image : L’assemblée populaire islandaise par Agora.

« Ce jour-là, l’informatique a permis de collecter les débats. Il y avait des équipes qui saisissaient les informations immédiatement et les analysaient. Au lieu de prendre des mois, on a pu présenter le message de cette assemblée le lendemain à 16 h. Tout le monde pouvait avoir accès à tout le processus, tous les détails tenaient sur une clé USB. »

« Le message de l’opération était radicalement nouveau : pour la première fois, on laissait la population dire ce qu’elle avait à dire. Le rôle de l’institution était de poser les principales questions et de mettre en perspective les problèmes, mais elle ne se mêlait pas du processus. »

Le rapport a été transmis à l’Assemblée constitutionnelle… qui était en train d’être élue. C’était une élection ouverte à laquelle 523 candidats se sont présentés pour en devenir membres (sélectionnés selon différents critères : avoir plus de 18 ans, ne pas être un élu national et être soutenu par au moins 30 personnes dans sa démarche), et 25 ont été élus, le 30 novembre 2010.

Gudrun Petursdottir oublie cependant de préciser que cette seconde élection a tout de suite généré une contestation. La campagne n’a duré qu’un mois, la participation a été assez faible (36 % des votants) et de nombreux problèmes de scrutin ont été relevés. Tant et si bien que le 25 janvier 2011, la Cour suprême islandaise a invalidé les résultats de l’élection de l’Assemblée constitutionnelle. Un comité constitutionnel a alors proposé que le Parlement nomme formellement les 25 élus à l’Assemblée constitutionnelle, ce qui fut fait en mars 2011. L’Assemblée constitutionnelle a donc enfin pu se réunir pendant 4 mois, d’avril à juillet 2010. Ses débats étaient ouverts au public et télévisés. Les projets de révision figuraient sur le web, les internautes pouvaient commenter. De fait, il y eut 3 600 commentaires du public et 370 suggestions formelles. Il va sans dire que ce processus, complètement ouvert, n’aurait pu avoir lieu sans l’aide de la technologie.

4 mois après le début de son travail, le 29 juillet 2011, l’Assemblée constitutionnelle a remis un projet de Constitution (.pdf, la version anglaise) – approuvé à l’unanimité par ses membres – au rapporteur du Parlement. Au jour d’aujourd’hui, le Parlement ne l’a hélas pas encore ratifié. Les débats se poursuivent. Les conclusions devraient être soumises à un référendum dont le Parlement n’a pas encore fixé la date. Reste à savoir, si, entre un Parlement qui renâcle à approuver les conclusions de l’Assemblée et une opposition qui condamne le processus dans son intégralité, le projet se terminera un jour…

Bien sûr, comme le faisait remarquer Eric Eymard pour Owni, l’expérience ne s’est peut-être pas avérée au final aussi démocratique qu’elle l’aurait voulu, ni aussi fluide. Mais Gudrun Petursdottir veut encore croire que le Parlement islandais finira par permettre au processus d’aboutir.

« Mais l’Islande est un tout petit pays », a remarqué Daniel Kaplan. « Peut-on envisager une méthodologie analogue avec des populations plus importantes ? » Pas de problème, selon Gudrun Petursdottir. « La consultation de base a impliqué 1000 personnes, mais il y aurait pu y en avoir 10 000, si on avait décidé d’y mettre plus de ressources. Cela ne demande que de l’organisation et de la confiance. Il faut faire confiance à la population. Ce travail a permis de comprendre ce qui était le plus important pour le public. Il a permis de faire apparaître les valeurs sur lesquelles construire une Constitution.

La pression populaire pour que le Parlement adopte ce projet s’exerce toujours sur le Parlement, même si elle est moins forte qu’au moment de la crise, qu’au pic de la réaction émotionnelle… Il y aura bientôt des élections en Islande. J’espère que le Parlement aura le courage d’utiliser ce matériau. »

Hubert Guillaud et Rémi Sussan

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0 commentaires

  1. C’est aussi cette Premier ministre qui souhaite adhérer à l’Union Européenne alors que 80% de la population y est opposé.

    Ça n’enlève en rien cette formation originale ; il a fallu cependant arriver au pied du mur pour que le peuple s’empare du problème.

  2. On pourrait tout à fait imaginer un projet de ce style en France. Lorsqu’il est prévu qu’un sujet de société doive arriver au stade législatif, pourquoi ne pas organiser un forum officiel, évidemment modéré et bien structuré, qui présenterait une version 0 du projet de loi et ouvrirait la porte à l’argumentation ? Ainsi serait alimenté un VRAI débat sur des sujets difficiles (cannabis, prostitution, homoparentalité…) et il serait possible pour l’exécutif de présenter un projet de loi à l’Assemblée qui tienne la route. Après, au Parlement de faire son boulot, mais au moins les décisions seraient prises en connaissance de cause.
    C’est peut-être un vieux fantasme de démocratie éclairée… mais il y a déjà un précédent fondateur « sauvage » qui a changé le cours de choses: le retournement historique sur le Traité européen en 2005. Et les gens s’intéresseraient beaucoup plus à la politique s’ils avaient le sentiment d’avoir une prise sur leur propre destin.

  3. Savez-vous pourquoi les pays du sud sont moins développés que ceux du nord ?
    Et bien c’est trés simple: C’est parce que le cerveau, comme les ordinateurs, a besoin de fraicheur pour fonctionner à ses pleines capacités.

    – Oui, eh bien de fraîcheur vous en manquez visiblement un peu Valentin. Voilà une contribution modèle qui n’élève pas le débat, au contraire. 🙁 – HG