L’importance de la contribution amateure à l’industrie des drones

Les véhicules aussi bien volants que sans pilote sont en pleine expansion. Il ne se passe pas une journée sans que nous apprenions au journal de 20 heures que des insurgés, ou des cibles miliaires n’aient été frappés par des drones pilotés à des milliers de kilomètres de leur théâtre d’opérations. Si les véhicules sans pilote étaient l’apanage des militaires, désormais, des entreprises innovantes ainsi que la communauté des bricoleurs s’intéressent à développer des drones dont le prix ne dépasserait pas 1000 $ et dont les usages pourraient en être moins guerrier.

Mary Cummings est une des premières pilotes de l’aviation navale américaine à avoir piloté des F-18 à partir de portes-avions. Dans une interview récente, elle revient sur son parcourt de pilote et explique pourquoi aujourd’hui elle a quitté l’armée pour se consacrer à l’enseignement au département d’aéronautique du MIT. D’après son expérience, faire atterrir un F-18 sur un porte-avions était une des choses les plus difficiles que l’on pouvait demander à un pilote. Cet âge d’or des pilotes, entre les années 80 et 2000, a été éclipsé par un concurrent inattendu. L’arrivée de l’informatique, des systèmes de navigation, capteurs et autres dispositifs électroniques a mis un terme à la suprématie des humains sur le pilotage. Dans cette interview, elle raconte que les systèmes électroniques permettaient aux avions de se poser plus rapidement, dans toutes les conditions inimaginables sans jamais faillir et concurrençaient les dizaines d’années d’expérience du meilleur des pilotes. C’est suite à ce constat que Marry Cummings a quitté l’armée navale pour travailler au MIT.

Vidéo : Mary Cummings : Pilote de combat à l’heure du pouvoir des drones par Wired on FORA.tv.

Vers la généralisation des systèmes de transports autonomes

Les innovations dans les systèmes de navigation sans pilote sont peu à peu sorties du champ militaire. Ils commencent à équiper les flottes commerciales : Cummings indique que les derniers Airbus et Boeing pourraient être capables de se passer entièrement de pilote humain aussi bien pour le décollage, le vol que l’atterrissage. Les pilotes ne seraient bientôt plus utiles que pour garer l’avion, lorsqu’il se rend à son terminal de débarquement, une procédure qui n’est pas encore automatisable dans tous les aéroports du monde. Les flottes des transporteurs comme Fedex pourraient être les premiers à utiliser ces technologies dans un cadre civil : ils n’attendent plus qu’une autorisation de l’administration fédérale de l’aviation américaine.

Mais il n’y a pas que dans l’aviation que les systèmes de navigation sans pilotes se déploient. De nombreux essais, projets voire dispositifs commerciaux sont en cours dans le secteur de l’agriculture avec des tracteurs sans pilote, mais également des drones pour surveiller les cultures ou des hélicoptères sans pilote pour répandre des pesticides et engrais.

Les drones civils sont également utilisés dans les cadres où la présence d’humains peut s’avérer dangereuse pour eux. Des drones américains ont survolé les centrales nucléaires japonaises touchées par le tsunami pour prendre des mesures ainsi que des photographies. La police américaine les utilise pour patrouiller dans les villes, voire comme support lors d’arrestations.
Les évolutions dans ce champ sont rapides. Lors du dernier « Grand Challenge » proposé par l’agence américaine pour les projets de recherche avancée de défense (la DARPA) en 2007 qui consistait en un concours interuniversitaire pour faire se déplacer une voiture sans pilote sur une aire de test loin des embouteillages des grands centres urbains, le vainqueur avait parcouru la distance à une moyenne de 20 kilomètres/heure et seules 4 équipes sur 35 avaient réussi à boucler la compétition (voir notre article de 2007 : « Et le vainqueur est !« ). 5 ans après, Google qui a, entre temps embauché l’ingénieur en chef de l’équipe victorieuse Sebastian Thrun pour son programme Google Car (vidéo), vient de recevoir l’agrément pour faire rouler ses voitures sans pilote sur les routes du Nevada et de Californie et cette fois, dans des conditions réelles.

Bref, la majorité des usages des systèmes de transport automatiques professionnels respectent la règle des « 3D » qui définit les conditions dans lesquelles ils doivent être capables de circuler : Dull (monotone – les systèmes doivent être capables de faire une surveillance répétitive de l’environnement), Dirty (sale – les systèmes doivent être capables d’évoluer en terrain difficile, évolutif), Dangerous (dangereux – les systèmes doivent être capables d’évoluer sur un terrain dangereux ou complexe).

Drones : une communauté amateure hyperactive

Depuis quelques années, les drones – c’est-à-dire des aéronefs autonomes ou commandés à distance, assez souvent de la taille d’un modèle réduit (Wikipédia) – et leurs dérivés (véhicules terrestres, bateaux…) sans pilote intéressent la communauté des bricoleurs et hackers. Les possibilités offertes aussi bien par la règle des « 3D » que des usages récréatifs et citoyens ont fait naître de nombreux projets associant passionnés, start-ups et universités. De très nombreux projets de drones amateurs, souvent « open source » existent. Il peut s’agir du « cœur du drone » son système d’autopilotage – comme Openpilot, Paparazzi une solution « open source » portée par l’École nationnale d’aviation civile qui équipe par ailleurs aussi bien des drones open source et amateurs que des projets professionnels et même certains drones de Thales, que des projets comme Vicacopter dont les auteurs offrent l’intégralité des plans sur l’internet.

Image : le stand DIYDrone à la Maker Faire 2011 de San Mateo, Californie, photographiée par achesonblog.

Lorsque l’on effectue des recherches sur le web à propos de drones « amateur », l’URL d’un site communautaire dédié à ces engins revient immanquablement. Le portail DIY Drones est une mine d’information pour tous ceux qui s’intéressent à la construction de leurs propres drones. Il regroupe la communauté des passionnés dont les échanges dans les forums et autres wikis collaboratifs sont incessants. Le site n’est pas porté par un « pro amateur » méconnu. Il s’agit de l’entreprise 3DRobotics (@3DRobotics) montée par Chris Anderson (Wikipédia) éditeur en chef de Wired Magazine et auteur d’ouvrages sur les pratiques et modèles d’innovation et économiques de l’internet très impliqué dans la communauté des bricoleurs – il vient d’ailleurs de publier Makers : la nouvelle révolution industrielle, entièrement consacrée au sujet du phénomène DIY.

Cette plate-forme agit comme un laboratoire d’innovation ouverte, les bricoleurs partagent leurs découvertes, leurs tests, leurs plans, le code, les modules et cartes contrôleurs qu’ils peuvent utiliser dans leurs prototypes et ceci le plus souvent sous licence libre. Le partage permet à d’autres de faire et permet d’apporter son lot de modifications au pot commun. La réalisation des drones amateurs passe par une collaboration et une coconception ouverte.

Un des projets phares de cette communauté est l’ArduCopter. Il s’agit d’un drone « open source » dont l’intégralité des plans, du code, des matériaux utilisés, etc. sont accessibles en ligne. Le cœur du drone, « l’autopilote », est une carte électronique développée par la communauté et produite par 3D Robotics depuis 2009.

La communauté des drones est très structurée. Elle s’appuie sur des méthodes collaboratives de coconception héritées du logiciel libre favorisant le partage de l’information pour accélérer son développement. Plusieurs PME produisent des cartes et des boutiques en ligne permettent d’acheter des kits pour monter son propre drone. Hier réservé a quelques happy few, les drones amateurs sont de plus en plus accessibles hors de la communauté des passionnés. Le foisonnement d’initiatives démontre la force et la vitalité de la fabrication amateure, dans un champ qui est pourtant souvent de très haute technologie, réservée à des industriels chevronnés. Si les systèmes amateurs sont encore loin des prouesses techniques des drones militaires ou commerciaux, la communauté innove de manière très active pour imaginer de nouveaux usages aux systèmes autonomes.

La contribution des amateurs au développement d’une industrie du drone, ou tout du moins d’un marché reste aujourd’hui difficile à estimer. Les contributions d’amateurs qui deviennent des projets d’entreprises, les contributions d’experts cachés sous un pseudonyme, sont autant d’interventions que l’on voit poindre sur le forum dédié au sujet, sans en avoir une mesure précise. De plus en plus de start-ups se lancent dans ce marché, non seulement dans la construction et la vente de drones, mais également de plus en plus dans une offre de service autour de la surveillance.

Le développement de la sousveillance amateure

Le coût du matériel et du logiciel nécessaire à la construction d’un drone amateur se révèle aujourd’hui assez modique (moins de 1000 dollars). La simplicité de construction (que ce soit par pièce détachée, sous forme de kits ou d’appareils déjà montés à l’image de l’aéromodélisme traditionnel – revivifié par ces pratiques – permet à cette communauté d’imaginer des véhicules autonomes pour de nouveaux types d’usages.

La société Française Parrot spécialisée dans les équipements sans fil commercialise un hélicoptère quadrirotors l’AR Drone (Wikipédia, aux environs de 300 euros) vendu dans des enseignes de grande distribution pour un usage récréatif. Équipé d’une caméra, il est pilotable via un smartphone et s’adresse au grand public. Ce qui ne l’empêche pas d’avoir déjà été hacké et d’être utilisé dans des formes qui n’étaient pas prévues au départ.

Plus récemment ce sont les journalistes qui pensent a utiliser des drones pour réaliser des reportages photo et vidéo. Le « drone journalisme » a le vent en poupe ! L’université du Nebraska a ouvert une chaire dédiée à ce nouvel objet pour répondre notamment a deux problèmes rencontrés par les journalistes : une baisse de leur budget et des lieux de plus en plus difficilement accessibles comme durant les mouvements Occupy aux États-Unis. L’université de Grenade développe un programme de modélisation 3D des bâtiments historiques depuis ce type d’engins. Pour se faire, elle utilise des drones afin de prendre de multiples clichés et en réaliser un rendu en trois dimensions. Durant les émeutes intervenues en Pologne en 2011, les manifestants ont utilisé des drones pour filmer les violences policières (vidéo). Les drones sont également utilisés par des militants écologiques pour prendre des photos de zones non accessibles. Les militants du collectif de hackers Telecomix qui avaient déjà comme fait d’armes d’avoir mis a disposition des outils sécurisés pour communiquer lors des révoltes arabes travaillent sur des drones pour prendre des clichés et les utiliser comme plate-forme de communication en Syrie.


Vidéo : les émeutes en Pologne en 2011, filmées par un drone amateur.

Les usages sont également parfois détournés : des promoteurs immobiliers de Los Angeles les utilisaient afin de reconnaître des zones constructibles. Le coût étant bien plus faible que d’avoir recours à des images d’avion ou d’hélicoptère. Ils ont été arrêtés parce que la police locale les as accusés d’enfreindre les lois sur l’utilisation de ce type d’appareil. C’est également le cas de fermiers aux États-Unis dont les rizières sont ravagées par des sangliers et dont la chasse devient extrêmement difficile et chronophage du fait de l’étendue des surfaces à surveiller. Cy Brown, ancien ingénieur électrique et aujourd’hui fermier, a développé un engin volant le Dehogaflier équipé dans un premier temps d’une caméra et ensuite d’une caméra thermique afin de repérer les sangliers et en communiquer les déplacements aux chasseurs sur le terrain. Présenté lors de la conférence DEF CON 2011 regroupant la crème des hackers mondiale, un prototype de drone embarquait lui tout l’équipement nécessaire pour pénétrer les réseaux Wi-Fi des zones survolées. Le drone avait également la capacité à se faire passer pour une cellule GSM et ainsi capter et potentiellement pirater les téléphones mobiles. Lors de leur présentation, un des hackers expliquait leur motivation : « Nous avons voulu mettre en lumière à quel point l’industrie de consommation a progressé, au point où le public a accès à des technologies qui mettent les entreprises, et même les gouvernements face à des risques d’intrusion dont ils n’ont même pas idée ».

Pour autant, l’essentiel de ces nouveaux usages consiste à utiliser les appareils comme de nouveaux moyens de prise de vue et de sousveillance, autonomes et légers… Ils démocratisent la photographie aérienne et distante et renouvellent les technologies de surveillance via la mobilité.

Des usages de sousveillance sous haute surveillance

Ces usages ne sont pas sans attirer de nouvelles complications. La multiplication de l’usage des drones civils va en effet apporter son lot de problématiques de gestion de l’espace aérien ainsi que des conséquences sur la sécurité des habitants des espaces habités. La France vient d’adopter très récemment deux arrêtés encadrant ces nouveaux engins, soulignait L’Express : « La réglementation est très restrictive. Ainsi, tous les pilotes de drones doivent suivre une formation. Et le seul scénario d’utilisation qui n’exige pas d’autorisation préalable requiert que l’engin évolue en dehors des zones peuplées et qu’il ne s’éloigne pas de plus de 100 mètres du pilote qui doit pouvoir à tout moment le suivre à l’oeil nu. » Une réglementation d’avance peut applicable à des objets qui sont aussi des objets de loisirs…

La multiplication de ce type d’appareil pose d’ailleurs de nombreuses questions en terme de liberté individuelle. L’Union pour les libertés civiles américaines s’en est fait l’écho récemment en publiant un billet prospectif d’un scénario très noir, mais finalement très crédible. En substance, leur usage non encadré pourrait amener en croisant les technologies de reconnaissance faciale et la lecture des données de localisation des téléphones mobiles à un tracking très fin des citoyens, aussi bien par des sociétés privées que publiques…

Mais ne sommes-nous pas là face à une sur-réaction sécuritaire pour faire face aux nouvelles possibilités que de nouveaux outils libèrent, en dénonçant les risques plutôt qu’en en analysant les apports ? Les nouvelles technologies sont souvent des boucs émissaires faciles, surtout quand elles viennent menacer des monopoles comme celui de la surveillance ou de l’imagerie aérienne.

Fabien Eychenne

À lire aussi sur internetactu.net

0 commentaires

  1. Très bel article et excellent résumé de l’état technique et économique du marché du drone actuel. Bravo à lire et à relire.

  2. Enthousiasmant. Bel exemple de ce à quoi la technologie sera le plus utile: la réappropriation de la société par les citoyens eux-mêmes, face au passéisme (et trop souvent à l’incompétence crasse) de nos « dirigeants ».
    Le mouvement est irréversible, et c’est un grand motif d’espoir…