Pourquoi ne savons-nous pas résoudre les grands problèmes ?

Jason Pontin (@jason_pontin), rédacteur en chef de la Technology Review (@techreview) nous interroge dans son dernier édito : « Pourquoi ne savons-nous pas résoudre les grands problèmes ? ».

Dans les années 60, la conquête de la Lune a été la dernière grande frontière que l’Amérique a su dépasser. Cela a nécessité une mobilisation sans précédent des financements et de la recherche publics, privés et militaires. Le programme Apollo, à son apogée au milieu des années 60, représentait 4 % du budget fédéral. La Nasa a dépensé 24 milliards de dollars (soit 180 milliards de dollars d’aujourd’hui), pour un programme qui employait 400 000 personnes et a exigé la collaboration de 20 000 entreprises, universités et organismes gouvernementaux. Le programme n’a pas servi seulement à rapporter 841 kilos de roches lunaires…, mais a montré « la puissance transcendante de la technologie ».

Aldrin photographié par Armstrong
Image : Aldrin photographié par Armstrong lors de la mission Apollo 11, via le site de la Nasa.

« Pour les contemporains, le programme Apollo s’est produit dans le contexte d’une longue série de triomphes technologiques. La première moitié du siècle a produit la ligne d’assemblage et l’avion, la pénicilline, le vaccin contre la tuberculose (…). Le progrès semblait posséder ce qu’Alvin Toffler (Wikipédia) a baptisé dans Le choc du futur (publié en 1970) une « poussée d’accélération ». (…) Pendant des décennies, la technologie n’a cessé d’augmenter la vitesse maximale de déplacement humain. »

Qu’est-il arrivé à l’innovation ?

« Mais depuis 1972, aucun être humain n’est retourné sur la lune. Personne n’a voyagé plus vite que l’équipage d’Apollo 10 et depuis le dernier vol du Concorde supersonique en 2003, même les voyages civils sont devenus plus lents. Le joyeux optimisme sur les pouvoirs de la technologie s’est évaporé et les problèmes que nous espérions résoudre avec la technologie, tels que la faim, la pauvreté, le changement climatique, le paludisme, le cancer, la vieillesse, se sont finalement révélés inextricablement difficiles. »

« Que nous est-il arrivé ? », demande, dépité, l’éditorialiste. Qu’est-il arrivé à notre capacité à résoudre les grands problèmes de notre société ? Cette question est la même que posent désormais certains investisseurs de la Silicon Valley. C’est en tout cas celle que pose Founders Fund, une société de capital-risque créée par Peter Thiel (Wikipédia), co-fondateur de PayPal dont la devise est « Nous voulions des voitures volantes – et nous avons eu à la place 140 caractères ». Founders Fund est une société importante parce qu’elle est le bras investisseur de ce qu’on appelle « la Mafia PayPal » une communauté d’investisseurs de la Silicon Valley dont la plupart étaient parmi les premiers employés de PayPal (parmi les autres membres de cette bande d’investisseurs, on trouve Elon MuskWikipédia, @elonmusk -, le fondateur de SpaceX et de Tesla Motors, Reid Hoffman – Wikipédia, @quixotic -, le président de LinkedIn ou Keith RaboisWikipédia, @rabois – de Square). Peter Thiel est caustique, comme il le confiait au New Yorker. Si Twitter a assuré aux Etats-Unis 500 emplois pour la prochaine décennie, quelle valeur a-t-il créée pour l’économie tout entière ?

Max Levchin (Wikipédia, @mlevchin), un autre membre de la Mafia Paypal déclarait : « on dépense beaucoup d’argent, mais qui ne produit pas nécessairement de sens, d’innovation de rupture ».

Comment financer l’innovation de rupture ?

Mais si nous en sommes là, c’est tout de même aussi un peu la faute du capital risque, rappelle Pontin. Bruce Gibney auteur du manifeste de Founders Fund « Qu’est-il arrivé au futur ? » souligne d’ailleurs que dans les années 90, le capital-risque a cessé d’être le bailleur de fonds du futur pour devenir celui de ce qui ne prête pas à conséquence. Ce qui semblait futuriste à l’époque d’Apollo 11 « est resté futuriste, en partie parce que ces technologies n’ont jamais reçu le soutien financier qu’à reçu l’industrie électronique ».

« L’argument est bien sûr follement hypocrite », relève Pontin. La Mafia PayPal a fait fortune dans l’acquisition d’entreprises qui ont fait des choses plus ou moins futiles. Slide, l’ancienne société de Levchin dans laquelle a investi Funders Fund a été rachetée en 2010 par Google pour 200 millions de dollars et n’a développé que des widgets pour Facebook comme SuperPoke et FunWall. On ne peut pas dire qu’il y ait là de quoi changer le monde !

Reste que cette explication est insuffisante, estime Pontin. « L’argument que les investisseurs ont perdu leur appétit pour les technologies à risque, mais potentiellement importantes, explique ce qui ne va pas avec le capital-risque et nous dit pourquoi la moitié des fonds ont affiché des rendements négatifs ou plats cette dernière décennie. A l’exception de Google (qui veut « organiser l’information mondiale pour la rendre universellement accessible et utile »), les ambitions des start-ups lancées ces 15 dernières années semblent dérisoires par rapport à des Intel, Apple et Microsoft, fondées entre les années 60 et 70. (Bill Gates, le fondateur de Microsoft voulait « mettre un ordinateur dans chaque maison et chaque bureau » et Steve Jobs, le fondateur d’Apple souhaitait faire « les meilleurs ordinateurs du monde »). »

L’activité du capital de risque a toujours eu du mal à investir de façon rentable dans des technologies telles que la biotechnologie et l’énergie, dont les besoins en capitaux sont importants et dont le développement est long et incertain, rappelle Pontin. Les capitaux risqueurs ne se sont jamais vraiment intéressé aux technologies qui visent à résoudre de grands problèmes, car leur valeur économique immédiate n’est pas évidente. Levchin, Thiel, et Garry Kasparov, l’ancien champion du monde d’échecs, avaient prévu de publier un livre intitulé Le plan d’action pour expliquer pourquoi l’innovation avait disparu. Le livre qui devait être publié en mars 2012 a été reporté sine die parce que les auteurs n’ont pas réussi à s’entendre sur les recommandations qu’ils souhaitaient y développer.

Quel levier d’action avons-nous pour résoudre les grands problèmes de demain ?

Pour Jason Pontin, si le capital-risque est essentiel pour le développement et la commercialisation d’innovations technologiques, il n’est pas suffisant pour s’attaquer aux grands problèmes.

Car si nous n’arrivons pas à nous confronter aux grands problèmes de l’humanité, c’est pour plusieurs raisons, estime Pontin. La première est que nos institutions ont échoué, elles sont moins fortes que l’économie. En 2010, moins de 2 % de l’énergie mondiale consommée provenait des énergies renouvelables. Mais pour l’instant, le charbon, le gaz naturel et le pétrole sont moins chers que toutes les alternatives, quand bien même le changement climatique serait un problème réel et urgent. Aux Etats-Unis, l’investissement public dans la recherche d’énergie alternative est passé de 10 % des dépenses de R&D publique en 1979 à 2 % (.pdf) (soit seulement 5 milliards par an !). Nous devrions avoir une taxe sur le carbone et un cadre réglementaire qui fixe les quantités polluantes qu’entreprises et Nations peuvent consommer. Enfin, il devrait y avoir des expérimentations pour tester et optimiser collectivement de nouvelles technologies énergétiques. Nous en sommes loin !

L’autre raison, estime le rédacteur en chef de la Technology Review, est que des problèmes qui semblaient être technologiques s’avèrent ne pas l’être. Nous pensions jusqu’à récemment que les famines étaient surtout causées par des défaillances dans l’approvisionnement alimentaire (et donc semblaient pouvoir se résoudre par l’accroissement de la production agricole). Mais Amartya Sen (Wikipédia), économiste lauréat du prix Nobel, a montré que les famines sont des crises politiques qui affectent la distribution alimentaire de manière catastrophique. La technologie peut certes améliorer les rendements des cultures ou des systèmes de stockage et de transport des aliments : mais elle peine à éradiquer les problèmes politiques qui en sont à l’origine.

Le paludisme, qui affecte plus de 216 millions de personnes dans le monde estime l’Organisation mondiale de la santé (.pdf), a résisté à la plupart des solutions technologiques que nous avons pu imaginer, explique encore le rédacteur en chef de la Technology Review. Les solutions les plus efficaces consistent à éliminer l’eau stagnante et améliorer le niveau de vie des gens. Les solutions technologiques ne parviennent pas à résoudre les problèmes de pauvreté.

Enfin, certains problèmes échappent à toute solution parce que nous ne comprenons pas vraiment le problème. Nous n’avons pas encore remporté la guerre contre le cancer, lancée par Nixon en 1971, ni celle contre Alzheimer qui risque d’être demain l’un des premiers problèmes de monde développé.

« Il n’est pas vrai de dire que nous ne pouvons pas résoudre les grands problèmes par la technologie : nous le pouvons. Mais tous ces éléments doivent être pris en compte. Les dirigeants politiques et le public doivent vouloir résoudre le problème, nos institutions doivent soutenir les solutions, cela doit être un problème technologique et nous devons le comprendre. »

Le programme Apollo a satisfait à ces critères. Est-il reproductible ? Avons-nous besoin de grands programmes mobilisateurs pour résoudre les maux de nos sociétés ? « Nous ne sommes plus en 1961 », déplore Pontin. Aucun politicien ne peut héroïser l’avenir comme le permettait le contexte de la guerre froide. Le corps des ingénieurs n’aspire plus à l’embrigadement productif de l’armée. Et l’exploration du système solaire n’anime plus la foi populaire. Et puis, aller sur la lune était facile. Ce n’était qu’à trois jours. Même la conquête de Mars, pour laquelle la Nasa a un programme tout prêt, semble un lointain inatteignable, et qui paraît bien futile pour mobiliser les énergies face aux problèmes qui nous attendent sur terre. « Nous sommes seuls avec notre époque et les solutions de demain seront plus difficiles à trouver. Nous ne manquons pourtant pas de défi : un milliard de personnes veulent l’électricité, des millions d’autres sont privés d’eau potable, le climat change, nos méthodes de fabrication sont peu efficaces, l’éducation est encore un luxe, la démence et le cancer frapperont demain chacun d’entre nous. Les technologues ne renonceront pas à tenter de les résoudre », estime Pontin, même si le spécialiste semble ne pas avoir trouvé le levier qui nous permettra d’atteindre un futur un peu plus désirable.

Hubert Guillaud

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0 commentaires

  1. Cela dit, cet article ne répond pas à la question qu’il pose même : « pourquoi ? »
    Mais comme l’auteur est rédacteur en chef de la Technology Review, on lui parodnne, hein.

  2. « Les dirigeants politiques et le public doivent vouloir résoudre le problème, nos institutions doivent soutenir les solutions, cela doit être un problème technologique et nous devons le comprendre.”

    Les grands problèmes d’aujourd’hui sont les politiques, la finance, la mutation écologique.
    Les deux premiers ne sont pas des problèmes technologiques mais politiques. Le deuxième est un problème qui résulte de technologies non-maîtrisées.
    Cette croyance en la toute-puissance de la technologie est à la fois aveugle, parfaitement obsolète, voire nuisible puisqu’elle cache, volontairement ou non, les vrais acteurs et les vrais dangers potentiels, globalement les citoyens et les politiques.