Après la « Smart City », la « Living City »

Dans un récent article pour Fast Company, le prospectiviste Chris Arkenberg (@chris23, qui tient aussi le blog Urbeing Recorded traitant essentiellement de réalité augmentée), imagine un avenir vertigineux pour nos cités. Selon lui, les frontières entre la biologie et la technologie vont disparaître. Les villes de demain, explique-t-il, pourraient bien s’élaborer à partir d’imprimantes 3D, de biologie synthétique et de robotique.

Comment se combineront ces trois technologies pour donner naissance à l’urbanisme du futur ? Arkenberg envisage plusieurs développements. Dans un premier temps, les outils à disposition vont se perfectionner et se standardiser. Puis, dans environ une décennie, la biologie et la technologie commenceront à fusionner.

Dans un avenir plus lointain, notre vision de la construction devrait vraiment changer :
« Des bactéries seront modifiées pour cibler des matériaux spécifiques, comme le vieux béton. Lâchées dans les cités, elles remplaceront le vieil équipement avec une glu bactérienne structurellement plus intelligente, dotée d’accès au réseau et de capacités de calcul… Des ordinateurs cellulaires seront libérés dans les écosystèmes, captant les propriétés chimiques de l’environnement. Des cuves de bactéries produiront des carburants, des ressources protéiniques, de l’eau… »

Au final, nous explique-t-il, « L’architecture perdra sa rigidité formelle deviendra plus souple et se rapprochera de la vie telle que nous pouvons la voir à l’oeuvre dans les végétaux. »

Imprimer les maisons

Science-fiction ? Pas forcément. Chris Arkenberg nous donne quelques exemples de travaux contemporains qui pointent dans cette direction. Côté imprimantes 3D, il cite ainsi les travaux d’Enrico Dini, qui a créé un système permettant « d’imprimer » des maisons à partir de sable. Dini, nous explique-t-il, s’est même récemment associé avec l’Agence Spatiale Européenne pour installer sa machine sur la lune afin de produire des bases lunaires utilisant la poussière à disposition sur notre satellite… On pourrait citer d’autres applications de l’impression 3D à l’architecture, comme les travaux de Neri Oxman, qui cherche à obtenir de nouveaux types de matériaux hybrides.

Imprimer des bases lunaires
Image : Imprimer des bases lunaires, comme l’imagine le cabinet d’architecture Foster et l’agence spatiale européenne via FastCoExist.

Des essaims de constructeurs

Les drones pourraient aussi jouer un rôle dans la construction des cités. Dans ce domaine, les systèmes multi-agents pourraient se révéler fondamentaux. Il s’agirait en effet de générer des « essaims de robots » décentralisés capables d’effectuer une tâche de manière collective. Arkenberg cite le Termes Project, élaboré à l’université de Harvard, qui s’inspire des termites pour réaliser « un système décentralisé de construction dans lequel les robots coopèrent pour bâtir des structures tridimensionnelles plus larges qu’eux-mêmes. » Ces termites électroniques bénéficieront certainement des algorithmes d’autoassemblage comme ceux utilisés par Skylar Tibbits ou celui élaboré récemment au MIT.

Des maisons qui poussent

Reste la biologie synthétique. Arkenberg donne en exemple les travaux de David Benjamin qui réfléchit à la construction bactérienne : des organismes génétiquement modifiés susceptibles de construire des matériaux durables. Benjamin ne s’intéresse d’ailleurs pas uniquement à l’architecture traditionnelle. Il envisage d’employer ses techniques « bactériennes » pour fabriquer certains composants d’avion. La vidéo ci-dessous résume les projets de son groupe « The Living ».

De fait, l’architecture est dans l’esprit de bon nombre des pionniers de la biologie synthétique, qui n’hésitent pas à envisager des « maisons qui poussent ».

Bio-Computation (2012) from David Benjamin on Vimeo.

Dans leur récent essai, Regenesis, George Church et Ed Regis notent : « Après tout, de petites formes de vie, conduites exclusivement par leur ADN, ont, par elles-mêmes, produit des objets grands et complexes : éléphants, baleine,s ou dinosaures. Un minuscule œuf de baleine fertilisé génère un résultat aussi gros qu’une maison. Peut-être un jour pourrons-nous programmer un ou plusieurs organismes, qui produiront non plus une baleine mais une véritable maison. »

Et plus loin, les deux auteurs de citer Sidney Perkowitz, physicien à l’université Emory d’Atlanta : « Si les bioplastiques devraient constituer la révolution du 21e siècle dans le domaine des matériaux, les maisons qui se développent à partir de graines pourraient bien être celle du 22e ».

D’autres biologistes synthétiques envisagent de nouveaux dispositifs susceptibles de changer le paysage urbain. Récemment, un projet sur Kickstarter a attiré l’attention des médias spécialisés. Il s’agirait, à l’aide des outils de la biologie de synthèse de créer des « arbres lumineux » en mesure d’éclairer maisons et rues. Projet alléchant, mais qui appartient encore à la recherche fondamentale, et qui est peut-être un peu trop jeune pour le crowdfunding, surtout quand les investisseurs se voient promis un paquet de graines lorsque celles-ci seront disponibles (ils risquent d’attendre un certain temps…). Notons tout de même le soutien de George Church à cette initiative et le fait que, parmi ses créateurs, on trouve Amirav-Drory, créateur du Genome Compiler, l’un des outils de création virtuelle d’organismes de synthèse (voir sa vidéo dans notre précédent article sur la programmation du vivant). A noter qu’à l’heure où j’écris cet article, le projet a déjà réussi à réunir plus de 392 000$…

Trop souvent les spéculations de prospective se concentrent sur une seule technologie (que ce soit la biologie, la nanotechnologie, l’IA…), mais restent beaucoup trop larges dans l’étendue de leurs prédictions, s’intéressant à l’avenir de la vie, de l’univers et du reste. Au contraire, les transformations procèdent de combinaisons de technologies s’appliquant de façons différentes, pour chaque domaine spécifique, ici la ville. Dans le scénario d’Arkenberg, c’est la synchronisation de méthodes variées, certaines opérant au niveau micro, voire nano, et d’autres à l’échelle macro, qui entraîne un résultat qui rappelle certaines des prophéties les plus folles d’un Eric Drexler, par exemple – mais sans avoir à imaginer l’intervention de technologies complètement futuristes capables de jouer les Deus Ex Machina. On le voit, la plupart des briques de base sont déjà là. Le problème consiste à les faire passer à l’échelle.

Rémi Sussan

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  1. Au final, nous explique-t-il, “L’architecture perdra sa rigidité formelle deviendra plus souple et se rapprochera de la vie telle que nous pouvons la voir à l’oeuvre dans les végétaux.”