Pourquoi (et de quoi) avons-nous peur ?

Pas étonnant, en cette semaine d’Halloween, que les informations sur nos peurs se multiplient sur le web. La revue Motherboard (la section « techno » de Vice) y a consacré un important article, mais avant de s’y pencher, examinons tout d’abord cet intéressant sondage effectué par la Chapman University en Californie sur les peurs des Américains. Les différentes raisons de s’effrayer ont été divisées en plusieurs catégories, parmi lesquelles technologie, gouvernement, environnement, crime, anxiété personnelle, etc.

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Puis les sondeurs ont effectué un classement des peurs, tous domaines confondus. En première place du top 10 arrive la « corruption du gouvernement » suivi du cyberterrorisme et de la captation des données personnelles par les entreprises. Le vol de carte bleue clôt le top 10. La première crainte environnementale, le réchauffement climatique, arrive à la 21e place, donc après les reptiles, le contrôle des armes à feu (11e place) ou même l’obamacare (13e place) ! Eh oui, les Américains ont plus peur de la sécurité sociale que du réchauffement climatique.

Évidemment, il peut paraître injuste de mettre sur le même plan la peur des reptiles et celle du cyberterrorisme, mais rien n’empêche à chacun de faire son propre classement par catégories. Cela dit, cet amalgame est intéressant précisément parce qu’il nous permet d’évaluer les manières dont notre cerveau perçoit les craintes et les hiérarchise.

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Un mécanisme ancien

Mais comment fonctionne la peur ? Pour revenir à l’article de Motherboard, la journaliste Kaleigh Rogers s’interroge sur la pérennité de celle-ci dans notre monde moderne. Pourquoi, demande-t-elle, sommes-nous toujours submergés par des peurs aujourd’hui inutiles, tandis que d’autres, par exemple celle d’écrire des textos en conduisant, peinent à nous atteindre ?

Cela tient au caractère ancien, ancré dans notre passé, de nos peurs. Si quelque chose appartient au système 1 c’est bien cette émotion là qui nous fait réagir en quelques millisecondes.
Imaginons, écrit-elle, qu’on aperçoive un serpent se glisser dans les herbes, que se passe-t-il alors ?

La rétine envoie des informations au colliculus supérieur, puis à une partie du thalamus appelé le pulvinar (Durée : moins de 100 millisecondes).

Le pulvinar avertit l’amygdale (souvent surnommé « de centre de la peur » du cerveau), et ensemble, ils se connectent au cortex visuel (Durée : 20 millisecondes).

Le cortex visuel analyse les informations, les renvoie vers le pulvinar et l’amygdale, et également dans le cortex frontal (Durée : moins de 100 millisecondes).
Temps total : 200 millisecondes ou 0,2 seconde. »

On voit bien qu’il s’agit d’une réaction sur laquelle l’esprit conscient n’a guère l’occasion de réagir. Et aussi qu’il s’agit d’un phénomène lié à une perception plus qu’à une réflexion. Il va sans dire que la crainte du réchauffement climatique, ou d’envoyer un sms en voiture, n’a pas les mêmes caractéristiques.

On le sait depuis longtemps, on connait le rôle de l’amygdale dans ce domaine. Diverses recherches ont montré que les personnes dénuées de cet organe à la suite de lésions cérébrales ont tendance à ne pas éprouver de craintes, ce qui est aussi dangereux qu’en éprouver trop ! Mais une récente étude, nous apprend Motherboard, a nuancé cette explication. Des personnes possédant une amygdale endommagée ont éprouvé des attaques de panique lorsqu’elles respiraient de l’oxyde de carbone.

Existe-t-il des peurs « génétiques », innées, par opposition à celles qui sont apprises ? Celle des serpents, par exemple ?

La réponse est un peu compliquée. En fait, il semble bien que nous ayons des dispositions génétiques pour repérer les serpents très rapidement et très facilement.

Un article du New York Times nous informe qu’il existe probablement un groupe de neurones (situés dans ce fameux pulvinar) spécialement dédié à la reconnaissance de ces sympathiques reptiles. Selon une étude publiée en 2013 dans Developmental Science, les enfants reconnaissent les serpents aussi rapidement que les adultes, et il n’existe aucune différence entre les enfants ayant vécu à la campagne et ceux élevés à la ville, qui n’ont jamais vu ces animaux du moins en dehors de la télé.

Ce serait, continue le New York Times, une caractéristique que nous partageons avec nos cousins primates. Des chercheurs japonais ont en effet soumis à des tests un groupe de macaques. On leur présentait des scènes avec huit fleurs et au milieu d’elles un serpent, ou au contraire huit serpents avec une fleur au milieu. Les singes étaient récompensés quand ils pointaient l’intrus. Conclusion, beaucoup plus facile pour eux de trouver le serpent au milieu des fleurs que la fleur perdue parmi les serpents. Et c’est d’autant plus significatif, précise le NYT, que ces macaques, élevés en captivité, n’avaient jamais vu de serpents auparavant.

Selon l’anthropologue californienne Lynne A. Isbell, la vision très précise des primates viendrait justement du fait que leur cerveau a évolué pour reconnaître les serpents.

Mais reconnaître n’implique pas la phobie. Pourquoi alors certaines personnes ont-elles une telle répulsion pour ces bestioles ? Pour Dean Burnett, un neuroscientifique de Cardiff, cité par MotherBoard, « Les bébés sont naturellement aptes à identifier les serpents… mais ils ne réagissent avec frayeur que plus tard dans la vie, quand ils ont appris que les serpents sont quelque chose qu’il faut craindre et pas seulement à remarquer« .

Toujours selon Burnett, ce « système de la peur » est toujours intact, mais il tend aujourd’hui à à être activé dans de multiples circonstances, liées à notre vie sociale, avec la même efficacité : « des craintes sociales comme la gêne, la honte, la culpabilité, ou le jugement d’autrui, sont également étiquetées comme des menaces parce que notre cerveau travaille encore sur des principes qui se sont développés au cours de millions d’années… La société humaine n’existe que depuis quelques millénaires. Les dangers pour lesquels nous avons évolué afin de les éviter ont plus ou moins disparu aujourd’hui, mais les mécanismes pour les détecter sont encore actifs« .

Chéri, fais-moi peur

4773689-kruegerCette propension que nous avons à avoir peur de n’importe quoi possède également un effet secondaire : nous aimons avoir peur. Pour quelle raison ? Pour Mathias Clasen de l’université d’Aarhus au Danemark, la réponse se trouve encore dans l’évolution.
Selon le New Scientist :

« Dans les milieux universitaires, l’appel de l’horreur a généralement été expliqué en termes freudiens – comme des manifestations symboliques de désirs et d’angoisses refoulés. Clasen pense que ce sont des sottises. « Si nous voulons comprendre le phénomène, nous devons tenir compte de notre programmation biologique – les caractéristiques évoluées de l’architecture cognitive humaine, » dit-il. »

Mais cela n’explique pas que nous puissions aimer nos peurs. La réponse viendra peut-être une fois encore de la neuroscience et notamment du cas de cette femme qui, ayant perdu son amygdale, se vit projeter différentes séquences de films d’horreur. Comme on pouvait s’y attendre, elle ne ressentit aucune crainte. Mais nous précise le New Scientist, elle trouva ces films « distrayants et excitants« . Pour Clasen, ce goût pour l’horreur viendrait aussi de notre passé lointain. La peur, explique-t-il, a permis à nos ancêtres de repérer plus facilement les dangers et à les éviter à temps. En conséquence, la sensation de peur pourrait se trouver « récompensée » par notre cerveau, car celle-ci augmente nos capacités d’apprentissage et donc de survie.

La peur, un outil de prévention ?

La peur peut-elle être utilisée pour changer les comportements à risque ? Le débat a lieu depuis des années, certains affirmant qu’insister sur les craintes produirait un effet contre-productif. Une récente étude présentée par Science Daily est (un peu) plus optimiste. Des chercheurs de l’université de l’Illinois ont conduit une méta-analyse, reposant sur 127 publications en psychologie mettant en jeu des expériences impliquant 27 000 personnes entre 1962 et 2014. Selon leur recherche, il semblerait bien que la peur soit effectivement en mesure de changer un comportement, mais à plusieurs conditions. D’abord, cela fonctionnerait apparemment plus avec les femmes qu’avec les hommes. Mais surtout, la peur ne serait efficace que lorsqu’elle concerne des actions uniques et non répétées et lorsque le message contient aussi des indications claires sur les moyens d’éviter la menace (par exemple, nous dit Science Daily, porter un préservatif ou se faire vacciner). En conséquence, la peur dans un message de prévention aurait un impact léger, mais réel, et ne risquerait pas de produire d’effets contre-productifs. Mais précise Dolores Albarracin, la chercheuse qui a mené l’étude, des messages basés uniquement sur la peur ne seront pas suffisants.

« Des stratégies plus élaborées, comme former les gens aux compétences dont ils auront besoin pour réussir à changer leurs comportements, se révéleront probablement plus efficaces dans la plupart des contextes. Il est très important de ne pas perdre cela de vue« .

Bref, la peur, conservons-la, chérissons-la, mais, comme la viande rouge, consommons-la avec modération !

Rémi Sussan

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0 commentaires

  1. Marrant, je ne vois pas la peur de ne plus être libre, la peur d’une dictature, oligarchique, la peur des banksters pseudo-capitalistes, normal vu les commenditaires de cette étude 😀

  2. La peur me semble être un réflexe inné, alors que la crainte serait une peur apprise. On peut « aimer » avoir peur, aimer ce sentiment glaçant libérateur d’adrénaline (qui intervient, en effet quand par exemple on regarde un film horrifique, ou qu’on s’apprête à sauter en parachute) mais il me semble antinomique d’aimer craindre.