Contre l’effondrement (8/8) : vers une civilisation spatiale ?

Les miroirs solaires restent des dispositifs orientés exclusivement vers la Terre. Peut-on aller plus loin, envisager le passage à une véritable industrie spatiale, un changement de civilisation qui laisserait loin derrière lui toutes les craintes sur notre futur déclin ?

La ruée vers les astéroïdes

Le plus avancé de ces projets concerne l’exploitation des astéroïdes. Il en existe à peu près 10 000 à orbiter dans la région de la terre (et 150 millions dans tout le système solaire). Plusieurs entreprises se penchent aujourd’hui sur le problème, la plus connue étant Planetary Resources qui compte parmi ses investisseurs les noms prestigieux de Larry Page, Eric Schmidt ou même le réalisateur James Cameron. Car les astéroïdes sont des réceptacles de ressources précieuses : métaux rares ou non, mais aussi et surtout de l’eau. Laquelle peut être utilisée à diverses fins, mais surtout, par la cassure de la molécule en atomes d’oxygène et d’hydrogène, peut être une réserve de carburant pour les vaisseaux spatiaux en vadrouille dans le système solaire.

Question ressources minérales, Gizmodo nous informe par exemple que l’ensemble du platine (métal qu’on retrouve dans une grande quantité d’équipement électronique et informatique) jamais extrait de notre planète tiendrait dans un petit appartement de Manhattan. Un astéroïde de 500 mètres de diamètre pourrait en contenir bien plus.

L’agence spatiale japonaise a déjà réussi à rapatrier sur terre des échantillons d’astéroïde, grâce à sa mission Hayabusa. La sonde Hayabusa 2 a été lancée en 2014 et devrait revenir vers 2020.

External-5j-680x452
Planetary Resources est déjà à pied d’oeuvre. Sa série d’engins Arkyd a pour objectif non pas pour l’instant de se livrer à l’exploitation d’astéroïdes, mais plus simplement de repérer parmi ces astres ceux qui pourraient revêtir un potentiel industriel. L’Arkyd 100 devrait être lancé vers la fin 2016, et sera placé en orbite basse autour de la terre avec pour mission d’observer les astéroïdes. Les modèles Arkyd 200 et Arkyd 300 seront eux aussi consacrés à l’observation, mais ils seront plus sophistiqués. Ils analyseront la composition chimique des rochers en détail. Ils devraient être lancés entre 2017 et 2019.

Planetary Resources n’est pas la seule compagnie à se lancer dans l’exploitation des astéroïdes. Deep Space Industries possède aussi son propre plan, qui consiste à fabriquer un vaisseau mère contenant une douzaine de micro-satellites susceptibles d’explorer le système solaire. Le vaisseau mère lui-même ne serait pas bien grand : il ne ferait qu’un mètre de diamètre sur 45 cm de haut, et contiendrait des « cubesat« , de petits cubes de 15 cm environ. Ceux-ci posséderaient divers instruments de mesure et d’analyse. Deep Space Industries propose un partenariat avec des chercheurs qui pourraient envoyer leur propre « cubesat » dans l’espace pour effectuer la mission qu’ils désirent. Coût de l’opération : environ 2 millions de dollars. Plutôt cher, mais moins onéreux que passer par toute la bureaucratie de la NASA pour obtenir une place sur leurs engins, a expliqué l’un des ingénieurs de Deep Space Industries James DiCorcia.

Reste que le but, on le répète, n’est pas la simple exploration, mais bien l’industrialisation et l’exploitation. A terme, les vaisseaux mère pourraient délivrer des outils de prospection destinés à extraire les richesses de l’astéroïde. Comment effectuer cette exploitation, avec d’aussi petits engins ? C’est là qu’entre en jeu, de nouveau, nos amis les microbes et leur capacité à extraire les ressources. Un article de space.com, republié sur le site de Deep Space Industries, explique la marche à suivre : « Le CubeSat injectera dans l’astéroïde un fluide à basse température contenant des bactéries, qui se propageront à travers les fissures générées par le processus d’injection. Au fil du temps, les microbes – génétiquement modifiées pour traiter efficacement les métaux décomposeront les composés nocifs au sein de l’astéroïde et/ou transformeront des ressources en différents états chimiques susceptibles de se prêter davantage à l’extraction. » L’article ne précise pas comment les minéraux ainsi extraits seront rapatriés vers la mère terre ou vers une autre base spatiale, ce qui montre bien que ce genre de processus n’est intéressant qu’au sein d’un système industriel complet.

Le retour de la Lune

Et la Lune ? Là aussi, après une longue période de désintérêt, quelques nouveaux projets voient le jour. Science Daily nous apprend que deux compagnies, Shackleton Energy Company et Moon Express, envisagent d’exploiter les réserves d’eau situées au pôle lunaire, là encore pour produire du carburant. Mais la nouvelle la plus intéressante vient de la Chine, dont l’agence spatiale a annoncé qu’elle souhaitait « établir une base sur la Lune, comme nous l’avons fait au le pôle Sud et au pôle Nord« . Selon Science Daily, la Chine souhaiterait mettre la main sur les métaux rares présents sur la lune, accroissant ainsi sa situation de quasi-monopole… L’agence spatiale européenne n’est pas en reste. Elle envisage la création d’une base sur la Lune, dans laquelle humains et robots travailleraient de concert. A noter que la vidéo de présentation ci-dessous parle du projet essentiellement comme d’une expérience scientifique, sauf dans les dernières secondes, où l’accès à de nouvelles ressources est enfin mentionné. Motherboard ironise quelque peu à ce sujet. L’ESA, remarque le magazine, insiste beaucoup sur la coopération internationale, mais que se passera-t-il au moment de l’exploitation des richesses ? Et Motherboard de rapprocher cette future situation de celle existant actuellement au pôle Nord, et le désaccord entre le Danemark, le Canada et la Russie concernant ce territoire, où, semble-t-il, 22 % des richesses minérales de notre planète sont concentrées. « Aller sur la lune sera peut-être l’étape la plus facile« , conclut l’article.

De fait , la Lune n’est pas le seul objet cosmique a faire l’objet d’interrogations d’ordre politique. Les astéroïdes aussi suscitent des interrogations. Qui possédera les ressources extra-terrestres ? Fin 2015, les Etats-Unis ont lancé le Spurring Private Aerospace Competitiveness and Entrepreneurship (SPACE) , qui autorise de fait l’exploitation de richesses extraterrestres non vivantes par des entreprises privées, ce qui bien sûr ravit des sociétés comme Planetary Resources et Deep Space Industries. Et, nous apprend Futura-sciences, le Luxembourg a lui aussi, en janvier 2016, annoncé la mise en place d’un futur cadre juridique pour l’usage commercial des ressources spatiales. La multiplication de ces préoccupations légales nous montre en tout cas que nous n’avons pas affaire à un lointain projet utopique, mais au contraire à un domaine dont les retombées économiques à court terme sont envisageables.

Ascenseur pour les étoiles

Reste le projet le plus ambitieux, celui qui pourrait nous permettre réellement de démarrer une civilisation extra-planétaire : le fameux ascenseur spatial !

Comme souvent dans le domaine spatial, l’idée et loin d’être neuve. La théorie en a été émise pour la première fois par l’astronome russe Konstantin Tsiolkovsky, au début du XXe siècle. Mais c’est surtout Arthur C. Clarke qui l’a popularisée dans son roman Les fontaines du paradis en 1979. Le concept ? Comme son nom l’indique, il s’agirait de créer un ascenseur reliant par un système de câbles la surface de la Terre à l’orbite terrestre. Cela permettrait de transporter facilement des personnes, et surtout des matériaux, soit afin de construire des installations en orbite, sur la Lune, voire sur Mars, mais également de ramener sur Terre une grande quantité de matières premières, ou même d’objets manufacturés directement dans l’espace.

Selon Motherboard, l’ascenseur réduirait radicalement l’envoi de matériel vers l’espace. Ainsi, aujourd’hui, le Falcon Heavy de SpaceX, un lanceur lourd qui devrait faire son premier vol en 2016, serait en mesure de transporter des charges à raison de 14000 $ par kilogramme. Cela pourrait tomber à 500 $ le kilo avec un ascenseur, précise le magazine, se basant sur les conclusions de l’ISEC (International Space Elevator Consortium), une organisation consacrée à l’étude et à la réalisation de ce projet futuriste.

800px-Nasa_space_elev
Arthur C. Clarke le reconnaissait bien : il existait un obstacle technologique majeur au développement d’une telle structure. On ne connaissait pas dans les années 70, de matériau suffisamment solide pour fabriquer un tel câble ! Mais les choses ont changé aujourd’hui. Premier candidat possible, les fameux « nanotubes de carbone » qui possèdent en effet la dureté et la flexibilité requise. Problème : on produit déjà une bonne quantité de nanotubes, mais sous la forme de petits fragments ! On ne sait pas en fabriquer de très longs ! Or, nous explique Motherboard, un chercheur de l’université de Cincinnati, Mark Haase, a peut être trouvé une solution : entremêler ces petites fibres avec des matériaux un peu moins solides. Cette combinaison pourrait permettre la création de câbles suffisamment longs et flexibles.

Depuis peu, une autre possibilité se fait jour : des nanofibres de diamant. Ces cristaux unidimensionnels pourraient être assez solides pour soutenir la cabine de l’ascenseur, avec toutefois un doute. Sur une trop grande longueur, ces fibres pourraient devenir cassantes. Mais une simulation, conduite à l’université du Queensland pourrait suggérer que l’insertion de défauts dans la chaîne pourrait accroître la « ductilité  » (ce qui signifie, nous dit la Wikipédia « la capacité d’un matériau à se déformer plastiquement sans se rompre« ) d’un tel matériau. Jusqu’à quel point ? Là est la question…

En tout cas, les acteurs sont déjà présents. Au premier plan, l’une des plus grandes entreprises de construction japonaise, Obayashi Corporation, qui envisage de créer un tel ascenseur pour 2050. La cabine de l’ascenseur mettrait 7 jours et demi pour grimper jusqu’à la station spatiale située au sommet de l’ascenseur, à 36000 km de la terre à raison de 200km par heure, nous explique Wired. Le câble serait composé de nanotubes de carbone, l’annonce d’Obayashi datant de 2014, il n’y est bien sûr pas question ni du diamant, ni des nanotubes « améliorés » de l’université de Cincinnati…

*

Ce qui frappe dans ces projets, c’est qu’il y a finalement peu d’obstacles fondamentaux à leur faisabilité technique. Mais hélas, c’était déjà le cas des cités spatiales de O’Neill, réalisables avec la technologie des années 70. Ce qui manque dans l’affaire, c’est le nerf de la guerre : l’argent !

On peut imaginer aussi des problèmes culturels ou politiques, très bien mis en scène par Clarke lui-même dans Les fontaines du paradis. Dans ce roman, on découvre que le site idéal d’implantation de l’ascenseur spatial se trouve juste sur un site sacré bouddhiste, ce qui entraîne évidemment moult complications. En fait, il est douteux que de simples startups, ou même de grosses sociétés comme au Japon, se trouvent en mesure de réaliser le saut quantique nécessaire à l’industrialisation de l’espace. Et c’est bien souvent le cas d’autres projets évoqué dans ce dossier : qui par exemple fournira le terrain nécessaire pour la culture d’algues susceptibles de produire de l’énergie ? Quant au fameuses fermes verticales, il en faudra un grand nombre pour nourrir l’ensemble de la planète et cela créera certainement divers conflit sociaux avec les agriculteurs plus traditionnels. En ce qui concerne la fusion, on a vu le prix d’ITER. Paradoxalement, les solutions technologiques pour lutter contre l’effondrement demandent au final les mêmes conditions que celles exigées par une « décroissance volontaire » : la mise en place d’institutions mondiales, capables de penser sur le long terme, en mesure de mettre en œuvre des projets qui s’étendront sur 20, 30 ou 50 ans. A croire que la technologie n’est jamais le problème !

Rémi Sussan

Après Vers l’effondrement : aurons-nous encore un futur ?, retrouvez le dossier « Contre l’effondrement » :

À lire aussi sur internetactu.net

0 commentaires

  1. Superbe série d’acticle, dont l’optimisme mesuré tranche dans la grisaille ambiante. Merci à l’auteur.

  2. trés bonne série d’article, cependant ne manque t il pas une 9 iéme partie sur les océans ?

    Pour étudier ce qu’il serait possible d’envisager sur et sous la surface des océans. En particulier les villes flotantes ou une partie d’une ville ou d’un réseau d’infrastructure (datacenter par exemple), les fermes aquacole, énergie ou matiére premiere des geyser sous-marin (projet européen MIDAS).

    Qu’en pensez vous?

  3. Clara,
    Très bonne remarque. Je traite de l’aquaculture dans l’article n°3 du dossier sur la nourriture, mais il serait intéressant de creuser plus sur les cités marines ou sous-marines en projet. Il y a un livre, « The Millennial Project: Colonizing the Galaxy in Eight Easy Steps » de Marshall Savage, préfacé par Arthur C.Clarke, où l’auteur affirme notamment que l’installation de cités marines serait la première étape d’une véritable conquête de l’espace. Son argumentation m’a paru très logique, mais le livre date de 1994. Lors de mes recherches, j’ai peu vu d’informations récentes sur de tels projets « océaniques » (il y a deux ou trois ans, j’aurais dit la même chose de l’espace) , mais le sujet m’intéresse fortement, et j’aurai certainement l’occasion d’y revenir.

  4. Merci pour cette série d’articles. Que de possibilités pour l’avenir de l’humanité. Cela laisse réveur ! Laissons le pessimisme anbiant de côté.