Médecine et réseaux feront-ils bon ménage ?

A l’heure où nombre d’expérimentations audacieuses sont menées avec succès, on ne peut que le souhaiter, tout en fondant les développements annoncés sur une nécessaire vigilance. Dans ce domaine comme dans d’autres, l’internet est porteur de mutations considérables qui feront bien vite oublier les impressionnants efforts technologiques, appelés pour une grande part à la banalisation, et incitent à porter le regard sur les nouvelles pratiques des acteurs médicaux et hospitaliers et des patients.

Le partage d’expériences, l’accès des praticiens à l’expertise des spécialistes, l’amélioration des conditions pédagogiques de la médecine et de la chirurgie sont parmi les expérimentations les plus stimulantes sur lesquels notre dossier ouvre quelques fenêtres. Mais les avancées en cours ne resteront pas dans le champ clos des professionnels. Comme dans d’autres domaines, la révolution numérique donne des ailes à l’usager averti : citoyen, administré, consommateur, travailleur ou élève peuvent s’affranchir des déterminations réductrices et des dépendances verticales et affronter la condescendance et l’opacité des autorités de tous ordres. La possibilité pour chacun d’accéder à la connaissance, à son propre dossier médical, à des contre-avis de spécialistes, provoque dans le corps médical de légitimes inquiétudes : les dérives de l’hypocondrie ou du mercantilisme, les illusions et la confusion sont prévisibles. Il ne suffira pas d’ériger des barrières et des contrôles, et toute approche hexagonale sera vaine dès lors qu’un numéro de carte visa suffira pour se payer l’expertise de tel grand spécialiste suisse ou américain, réel ou charlatanesque. Il ne s’agit pas d’imposer et d’interdire, mais de proposer un modèle convaincant. A l’heure où apparaît en France le  » médecin référent « , il est probablement le maillon à renforcer, celui qui saura consulter et interpréter, valider ou mettre en doute, pour peu que les moyens lui soient donnés de se repérer dans la complexité des données, des sources et des experts, et que, corollairement, on prenne au sérieux l’éducation et l’information du patient, de l’usager de la médecine.

Avec la banalisation des connaissances vient celle des lieux : l’équipement des maisons, des habits et du corps avec des dispositifs de monitoring, de surveillance et de traitement à distance est annoncé, il utilise en bloc l’ensemble des technologies de nouvelle génération, haut débit, mobilité, sécurité, continuité, nouveaux appareils, navigation dans la connaissance. A mesure que la chirurgie devient moins invasive, le contrôle médical, lui, se fait plus présent, plus diffus, plus ordinaire. Cette mutation est éminemment justifiable pour des questions sanitaires, thérapeutiques, de confort et budgétaires, et nul ne songe que les hôpitaux ou les cabinets médicaux disparaîtront pour autant ; mais les questions qu’appellent le télétravail ou l’éducation à distance surgissent de même pour la télémédecine : le domicile n’est pas toujours un lieu adapté, la télécommunication ne remplace pas la présence humaine, la résistance légitime à ces changements doit inciter à respecter la liberté de choix.

Au-delà de la fascination pour les techniques, la  » médecine en réseau  » permet de développer enfin les réponses à de nombreux besoins identifiés depuis longtemps. Les relations entre les institutions, les établissements, les médecins et les usagers sont marquées par la verticalité, la dépendance et l’opacité. Le chemin du changement sera, avant tout, celui de l’appropriation des moyens par les acteurs, qu’il faut aujourd’hui encourager à anticiper.

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