Rencontre avec Patrick Altman, éditeur en ligne.

Livre électronique : le danger de « construire un monde où toute connaissance devient payante ».

L’arrivée sur le marché des livres électroniques et la numérisation des livres soulèvent un grand nombre de questions suscitées, entre autres, par le caractère strictement fermé de ces outils, véritables ordinateurs de poche aux fonctionnalités réduites à la lecture. Quid, dans ce contexte, de l’accès et de l’échange de la connaissance qui se trouve là strictement cantonnée à une marchandise ? En effet, avec le livre électronique, impossible d’échanger un livre. Les parents ne peuvent plus passer un livre à leurs enfants. Et les bibliothèques ? Que deviendront-elles si le livre électronique devient LE mode de lecture ?
Sur ces questions, nous avons rencontré Patrick Altman, éditeur en ligne, fondateur d’Edispher (http://www.edispher.fr), et auteur d’un article dans Libération intitulé « Livre.com  : 0 corps, 0 âme » qui posait déjà la question de la numérisation galopante et de l’accès à la connaissance. Une chose est sûre  : le livre est en train de connaître une vraie révolution liée aux nouvelles technologies de l’information et ses usages sont en train d’être profondément bouleversés. Il est urgent, dans ce domaine, de réfléchir aujourd’hui pour ne pas que le nouveau monde du livre se construise sans les principaux intéressés : les lecteurs.

Dangers ?
« La notion de domaine public est en train de se réduire comme une peau de chagrin. L’analyse du moment c’est que l’or de demain sera la connaissance. C’est juste. Mais comme on fait de la logique de commercialisation à propos de tout, la connaissance représente un enjeu économique démesuré. Les modèles qui sont en train de se développer sont totalement fermés. Si le modèle consiste à payer un fichier que l’on télécharge pour le consulter, la notion de posséder un livre disparaît. Il ne vous appartient pas. C’est de la location de fichier. Donc :

1- Ce n’est pas vrai qu’on achète un livre quand on achète un livre électronique.

2- Que signifie de devoir payer pour avoir accès à un document ? On fait disparaître toute notion de gratuité d’accès à la connaissance. Avec le livre électronique, il devient impossible de prêter un livre, à moins de prêter votre machine. Donc vous-même, vous vous retrouvez sans accès à la lecture.

Les concepteurs des livres électroniques sont eux-mêmes piégés par la technologie. Dématérialiser, ça veut dire de passer d’une multitude d’objets (les livres, livres de poche, etc…) à un objet (la machine). Les éditeurs ont un telle trouille de perdre le contrôle de la diffusion que plus on les rassure, plus il est facile de les attirer dans ce qu’on leur propose. Mais ce n’est pas pour autant que ce qui est proposé a un sens, à part un sens économique.

Finalement, on est en train de construire un monde où toute connaissance devient payante. Plus on bénéficie d’outils performants pour accéder à cette connaissance, plus le danger est grand.

Le problème ne réside pas tant dans les machines, que dans ce qu’on met dedans. Ce qui est en train de se passer, c’est que ce sont les développeurs de logiciels qui sont en train de définir la façon dont va être diffusée la culture. Ils sont en train de fabriquer le marché. Je lance donc un appel aux éditeurs, et aux auteurs. Il est urgent de travailler ensemble et de définir des protocoles et des formats. De la même façon que la télévision n’a pas tué le cinéma, le livre électronique ne va pas tuer le livre papier, sauf si les offreurs de technologies finissent par imposer leur système. Le risque que nous courons, c’est de ne plus avoir le choix.

Solutions ?
Je ne dis pas qu’il ne faut rien facturer. Mais faut-il TOUT facturer ?
Finalement, baser la notion de livre sur le fait que quelqu’un a écrit quelque chose est peut être la solution, au lieu de prendre en considération une redevance à l’auteur pour X copies, qui permettront la représentation de l’oeuvre, qui sur le plan économique n’a pas de valeur. Dupliquer un fichier numérique ne coute rien. Donc ce qui a de la valeur c’est l’acte de création.
Lorsqu’un auteur cède ses droits à un éditeur, l’éditeur acquiert le droit de vous vendre un objet à l’intérieur duquel il y a une représentation de l’oeuvre. Dans le prix de l’objet, il y a un part pour l’auteur. Si l’on suit la même logique dans le livre électronique, l’auteur ne touche rien ! Or il y a un acte unique de création dans lequel l’auteur offre quelque chose. L’idée est donc de mettre l’auteur au coeur du système. Le forum openculture (http://www.openculture.org) aux Etats-Unis avance déjà dans cette direction. Car produire du texte, finalement, entre le papier et le crayon, cela représente un coût insignifiant. Mais quelle puissance phénoménale ! Un mot peut bouleverser les choses. C’est unique. Il y a donc un danger très important de verrouiller le marché de la culture.

Contribution de Patrick Altman

Un nouveau modèle économique pour l’édition électronique

La polémique croissante autour du droit de prêt met en évidence une prise de position nouvelle pour l’univers du livre : il faudra payer pour voir.
L’auteur de l’écrit est dans la même situation que le peintre ou le sculpteur, c’est à dire qu’il est le plus souvent seul face à son ouvrage.
L’édition de livres physiques obéit à une logique qui n’a que peut varié depuis sa description par Diderot dans sa  » lettre sur le commerce de librairie « .

Editer c’est toujours mettre en relation une oeuvre et un public, mais éditer électroniquement c’est s’affranchir de la production d’objets physiques et de lourdes structures de distribution. La distribution électronique via les réseaux comme Internet n’a pratiquement pas de coûts variables. C’est-à-dire que la vente des fichiers, a contrario des livres en papier, n’est plus une nécessité pour assurer un équilibre économique dès lors que l’offre éditoriale existe.

Il en résulte que les besoins de l’édition électronique peuvent se résumer à trois éléments :
Disposer d’une structure éditoriale
Disposer de moyens informatiques et humains pour la mise en forme et la distribution de fichiers par les réseaux
Disposer de ressources financières pour rétribuer les auteurs.

La question de la rémunération des auteurs constitue la pierre d’achoppement de l’équation de l’édition électronique.
Actuellement la rétribution d’un auteur est calculée en pourcentage du prix du livre papier. L’auteur est considéré comme le coeur du dispositif éditorial, il s’agit cependant pour l’éditeur de faire des affaires, d’où les trésors d’imagination et de marketing déployés pour vendre des objets qu’on appelle des livres. Les droits d’auteurs peuvent économiquement être assimilés à la contrepartie de la contribution des auteurs au chiffre d’affaires que réalise un éditeur sur la vente d’objets en papier imprimé.
Le prix d’un livre n’est d’ailleurs pas établi d’après la valeur intellectuelle d’une oeuvre, mais en fonction de la somme des coûts engendrés pour la produire, la fabriquer et la distribuer. C’est pourquoi les livres de poche sont moins chers que les ouvrages de première édition, sans quoi il faudrait estimer que la valeur culturelle d’un texte imprimé au format de poche serait moindre que le livre de première édition.
Avec l’oeuvre numérique distribuée par les réseaux et donc sans support de stockage (disquette, CD ROM ou autre type de mémoire électronique), les éléments constituant l’essentiel du prix d’un livre disparaissent. Dès lors, la valeur d’une oeuvre doit bien davantage se définir par rapport à elle-même.
C’est l’acte de création qui doit être pris en considération et non ses multiples représentations électroniques.
Comment estimer la rémunération d’un auteur pour prix de divulgation de son oeuvre ? Il semble que c’est à l’auteur que doit revenir le pouvoir de fixer la rémunération de son travail comme le font les sculpteurs ou les peintres sans se préoccuper du nombre de regards qui se poseront sur leur oeuvre.
L’auteur ne céderait plus un droit permettant la commercialisation d’objets mais un droit de divulgation pour une période dont le terme pourrait être déterminé par avance avec possibilité de renégocier ce droit en fin de période.

Il devient alors possible d’imaginer un modèle économique éditorial alternatif qui ne repose plus sur une structure capitaliste classique, mais sur des concepts associatifs et coopératifs.
Les ressources ne proviendraient pas d’un capital social privé associé à une activité commerciale, mais de cotisations versées par des entités aussi différentes que les entreprises, les particuliers, les collectivités locales, les bibliothèques, d’autres associations ou structures internationales comme l’UNESCO… Les lecteurs seraient invités à pourvoir aux ressources sous forme de dons (dont une partie, selon les statuts de l’association, pourrait être défiscalisée). C’est un collectif d’initiatives qui contibuerait à la création, et assurerait la rémunération des auteurs.

C’est aussi toute la collectivité des lecteurs qui bénéficierait de la mise à disposition d’oeuvres circulant librement dont la vocation serait d’accroître un patrimoine culturel contemporain et classique de qualité.

L’association aurait toute lattitude pour négocier auprès des éditeurs traditionnels la cession de droits dérivés pour une future édition papier. Cette cession de droits profiterait aussi largement à l’auteur.

Ce modèle aurait l’avantage de proposer une offre gratuite pour le lecteur et rendrait sans objet la protection des fichiers au moment du téléchargement. Corollaire non négligeable pour le respect de la vie privée : l’anonymat du lecteur pourrait être total.

En échange de leurs contributions, les cotisants importants auraient le droit de proposer sur leur site le téléchargement d’ouvrages publiés par l’association. On peut penser aux bibliothèques par exemple.

Il va de soi que les formats de fichiers offerts au téléchargement devront couvrir le maximum de plate-formes matérielles représentatives du marché de la lecture électronique.

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