« Les MVNO ne sont pas un danger pour les opérateurs »

Un nouvel acteur semble pointer le bout de son nez dans l’univers de la téléphonie mobile. Le MVNO : Mobile Virtual Network Operator, opérateur de réseau mobile virtuel, en français dans le texte. En clair, il s’agit d’un opérateur qui propose une offre de téléphonie mobile sans posséder aucune infrastructure. Il doit donc être l’hôte d’un opérateur traditionnel. L’un des premiers exemples concrets de MVNO en Europe nous vient de Grande-Bretagne où Virgin propose, depuis 1999, un abonnement GSM sous sa marque à partir des infrastructures de One2One. En France, le mouvement n’est aujourd’hui qu’embryonnaire : si la Grande-Bretagne héberge une dizaine d’opérateurs mobiles virtuels, l’hexagone ne compte qu’une seule entreprise pouvant approcher la définition de MVNO : Transatel qui commercialise depuis quelques mois un abonnement « voyageur fréquent », hébergé par Bouygues Télécom. Rencontre avec Bertrand Salomon, co-fondateur de Transatel

Un nouvel acteur semble pointer le bout de son nez dans l’univers de la téléphonie mobile. Le MVNO : Mobile Virtual Network Operator, opérateur de réseau mobile virtuel, en français dans le texte. En clair, il s’agit d’un opérateur qui propose une offre de téléphonie mobile sans posséder aucune infrastructure. Il doit donc être l’hôte d’un opérateur traditionnel. L’un des premiers exemples concrets de MVNO en Europe nous vient de Grande-Bretagne où Virgin propose, depuis 1999, un abonnement GSM sous sa marque à partir des infrastructures de One2One. Si bien que l’abonné Virgin est, sans le savoir, un abonné One2One. Pour autant, le cas Virgin n’est pas significatif : il ne s’agit là que d’un opérateur virtuel qui vend sa marque. Or là où les MVNO sont susceptibles de trouver leur place comme acteurs, non seulement de la téléphonie mobile mais aussi de l’Internet mobile, c’est dans l’offre de services. C’est ce qu’illustre un autre exemple de MVNO outre-Manche : FTMobile, filiale du Financial Times. Le grand quotidien économique vend aujourd’hui des abonnements GSM, non pas pour trouver dans la revente de minutes de télécommunication une nouvelle source de revenus, mais pour offrir des services spécifiques à ses abonnés.
Car la spécificité des MVNO est justement de se concentrer sur le service offert à l’abonné. Une particularité qui prend toute son importance dès que l’on aborde la téléphonie 3G et les licences UMTS. En effet, les MVNO pourraient bien répondre à la fameuse question : à quoi vont servir les débits offerts par la 3G ? Sachant que le marché dans ce cas là n’est pas dans le transport de la voix mais bien des données ? L’ouverture des fréquences à des MVNO fait d’ailleurs partie des conditions d’attribution de licences UMTS dans quelques pays d’Europe.
En France, le mouvement n’est aujourd’hui qu’embryonnaire : si la Grande-Bretagne héberge une dizaine d’opérateurs mobiles virtuels, l’hexagone ne compte qu’une seule entreprise pouvant approcher la définition de MVNO : Transatel qui commercialise depuis quelques mois un abonnement « voyageur fréquent », hébergé par Bouygues Télécom. Cet abonnement offre des tarifs préférentiels pour l’abonné GSM lorsqu’il se trouve en Grande-Bretagne ou en Belgique, avec un menu de services adapté. Si vous êtes à Londres et que vous appuyez sur la touche « taxi », c’est à Londres que vous appelez et non à Paris. (Pour plus de précisions, voir encadré) De plus, un coup d’œil sur les premières réflexions de l’Autorité de Régulation des Télécoms concernant les opérateurs mobiles virtuels montre bien à quel point ces acteurs sont nouveaux : la prudence est de mise, y compris dans la définition du MVNO. Prudence due entre autre à l’échec des SCS : Sociétés de Commercialisation de Services, dont l’objet se limitait à la revente des abonnements des opérateurs. Les MVNO, et c’est d’ailleurs ce qui rend les opérateurs frileux dans leur accueil de ce nouveau type d’acteurs, voient leur objet se concentrer sur l’offre de services. Restent que ces opérateurs mobiles virtuels, qui ont déjà la confiance des opérateurs suédois, norvégiens, anglais, etc. sont susceptibles d’être porteurs de beaucoup d’espoirs pour l’avenir de l’Internet mobile : en matière de création de services et d’applications, et même d’ébauche de modèle économique.
Pour tenter d’en savoir plus sur le sujet, nous avons rencontré Bertrand Salomon, co-fondateur de Transatel, société fondée en juillet 2000 et qui, contractuellement, n’est pas considérée, en France, comme MVNO. Précaution nécessaire, les trois opérateurs français n’étant pas encore très favorables à cette notion d’opérateur mobile virtuel.

Commençons par la définition de MVNO. Cela ne semble pas très simple ?

En effet, ça veut dire beaucoup de choses. Très officiellement, pour notre part, notre contrat avec Bouygues Télécom, qui nous permet de commercialiser un service GSM en France à destination des voyageurs fréquents, est un contrat de type SCS. Nous n’avons pas le droit de dire MVNO.
Mais la définition de base de l’opérateur mobile virtuel c’est un acteur qui commercialise une offre de téléphone mobile sans avoir de réseau et sans avoir de licence d’opérateur. Et il commercialise cette offre sous sa marque.
On distingue trois types de MVNO.
– Le service provider, comme c’est le cas pour Virgin : un acteur qui revend l’offre de l’opérateur sous sa marque. Dans ce cas, c’est uniquement la puissance marketing qui fait l’offre. Aujourd’hui Virgin est en train de rajouter des services à son offre, mais au départ la société ne vendait que sa marque et sous-traitait tout le reste à One2One.
– Les hybrides MVNO qui disposent de quelques éléments de réseaux pour contrôler le rendu du service. Par exemple ils disposent de la carte SIM, d’une plate-forme de services. Ce qui est notre cas : nous fabriquons nos propres cartes SIM.
– Le full MVNO qui dispose de tout un réseau télécom sauf les antennes : c’est typiquement le modèle Télé2.

Ensuite il faut faire la distinction entre les MVNO « mass-market » et les MVNO de niche. Notre conviction est que les MVNO de niche ont plus d’avenir que les mass market, sauf pour quelques cas très particuliers comme Virgin. D’autant plus qu’un MVNO mass market est plus menaçant pour un opérateur : ils ciblent les mêmes clients. Alors qu’un MVNO de niche est censé avoir des coûts d’acquisition plus réduits sur une clientèle particulière ou peut générer plus de revenus de la part de cette clientèle-là.

Enfin, il existe aussi des MVNE : E pour enabler. C’est l’acteur qui va se positionner entre l’opérateur mobile et celui qui veut commercialiser un service. C’est le deuxième métier de Transatel. Nous sommes donc des intermédiaires : si, par exemple, Disney veut créer Disney Telecom pour équiper les jeunes, le MVNE va aider Disney à construire le business plan, tester des services sur 200 gamins, grâce à la plate-forme de services, etc.

Les MVNO se sont beaucoup développés en Grande-Bretagne notamment. En France en revanche, il n’y en a pas. Pourquoi ?

Le fait de dire qu’un acteur peut commercialiser, sous sa marque, une offre GSM peut faire craindre à l’opérateur de perdre le contrôle du client. On observe qu’en Europe du Nord, ils sont assez ouverts à ce genre de modèles. L’Europe du sud, la France, l’Italie, l’Espagne se posent beaucoup plus de questions. Il y a une volonté en France de contrôler le client final et de rester dans un marché où il y a le moins d’acteurs possibles. Nous essayons de démontrer que l’ouverture à des acteurs nouveaux ne sera pas un danger pour les opérateurs mais une opportunité dans la mesure où ils contrôlent une ressource rare qui est le réseau et la licence opérateur qui leur garantit de ne pas être qu’une commodité. C’est un discours qui est bien compris au Nord et qui est en train de commencer à rentrer en France.

Quel est l’avantage de l’existence des MVNO, pour les MVNO d’une part et pour les opérateurs d’autre part, qui abandonnent finalement un morceau de leur territoire ?

L’intérêt pour un opérateur est de pouvoir atteindre des usagers qui ne sont pas ses clients d’origine grâce à un MVNO de niche qui lui amène des clients qu’il n’a pas, en échange de quoi ils partagent une partie des revenus.

Et qu’est-ce que cela apporte aux principaux intéressés, à savoir les clients, d’être abonné via un opérateur mobile virtuel ?

Ils ont d’abord un choix d’offres plus vaste, et une meilleure adéquation à leurs besoins. Vis-à-vis du client final un MVNO est vu comme un autre opérateur. En Angleterre, du point de vue du client final, Virgin est un réseau comme un autre. Des études ont constaté que les clients de Virgin notaient mieux la qualité de « leur » réseau que les clients de One2One, alors que physiquement le réseau est le même ! Donc pour le client final, l’apport des MVNO est de diversifier le choix de son opérateur et l’opportunité de trouver un prestataire de services qui va mieux répondre à ses besoins.

L’offre et la diversification des services, telle est donc la valeur ajoutée des MVNO ?

Oui. Le modèle existait en France avec les SCS (Société commerciales de services), qui étaient censées apporter cela. Ca n’a pas fonctionné car, souvent, elles ne se sont pas données les moyens de se différencier des opérateurs. Elles ne faisaient que revendre l’offre de l’opérateur, sous la marque de l’opérateur, en ne changeant que très peu les services : facture détaillée, d’une couleur différente… et c’est tout. Le modèle MVNO part de la même idée, mais en partant d’une différenciation sur le service et pas seulement sur la gestion client.

Est-ce que de se concentrer sur les services ne va pas être le moteur de l’Internet mobile puisque, avec les MVNO, on se concentre sur les services et non plus sur la performance technique ?

Il commence à y avoir un consensus dans l’industrie en France, et même au niveau des opérateurs mobiles, qui est de dire que les vrais enjeux pour élargir l’offre viendra avec le monde des données.
Le GSM classique est un mono produit : on ne vend que de la voix. On peut comprendre alors qu’un acteur fasse à la fois le réseau, l’ingénierie réseau, le service et la commercialisation. Mais dès qu’on arrive dans les data, il y a tellement d’applications possibles entre l’Internet grand public, l’Internet professionnel, la télémétrie, etc, que les opérateurs ne pourront pas développer toutes les applications. Par exemple si les réseaux GPRS sont prêts techniquement, en revanche il n’y a pas encore d’applications dessus et, aujourd’hui, les opérateurs sont à la recherche d’applications GPRS. Et elles se développeront en laissant l’initiative à d’autres acteurs qui se concentreront sur les services. Aujourd’hui les opérateurs freinent face aux MVNO, mais surtout au niveau du GSM : il n’y a donc plus beaucoup de marge à partager sur la voix. Sur les data tout est à inventer et les opérateurs sont assez conscients d’avoir besoin des MVNO. Dans le Nord de l’Europe, les opérateurs ont fini cette réflexion et se disent : « Il y aura des MVNO sur les data, et je dois, en tant qu’opérateur, accueillir et fidéliser les meilleurs ! Donc je dois avoir la meilleure infrastructure et les traiter comme des vrais clients. »

Les MVNO sont la boite à idée de l’Internet mobile de demain ?

Dans un marché efficace, il y a des opérateurs qui exploitent le réseau GPRS, des MVNE qui sont un gateway d’interface entre les opérateurs et les MVNO, dont le but est de réduire le « time to market » et les investissements nécessaires au MVNO de façon à pouvoir autoriser leur émergence, particulièrement sur les marchés de niche. D’où la possibilité, pour les acteurs du monde de l’Internet d’aujourd’hui, de développer des idées créatives autour du contenu, de l’invention de nouveaux services, la plate-forme intermédiaire du MVNE permettant de tester la validité du service. Dans une autre vie j’étais en charge, chez Bouygues Télécom, de monter le portail 6° sens. Beaucoup d’acteurs venaient nous dire : j’ai une super application. Mais en tant qu’opérateur nous n’avions pas la capacité de les accueillir tous. On va choisir un chat, un jeu… Mais nous n’avions pas la bande passante pour recevoir tout le monde et eux n’avaient pas les moyens de commercialiser leur service autrement qu’en étant référencés chez un opérateur. Avec l’avènement des MVNO, l’enjeu est de leur permettre, éventuellement, de commercialiser une offre, d’être plus indépendants au bénéfice d’eux-mêmes mais aussi de l’opérateur mobile qui, du coup, intégrera plus de services. L’idée c’est de faire grossir le gâteau pour tout le monde, pas de le couper en plus petites parts.

Quels genres d’idées apparaissent ?

Dans les applications professionnelles, on se concentre sur la notion de bureau mobile par exemple : accès permanent à son intranet, à ses outils de communication. Dans un domaine plus grand public c’est tout ce qui est « fun and download » : jeux, téléchargement musique et ça tend vers le commerce électronique.

Comment voyez-vous l’avenir des MVNO ?

Si on fait un parallèle entre Internet fixe et Internet mobile, on a d’un côté un site web qui peut proposer le service qu’il veut sans forcément être un ISP. Un portail Internet peut avoir de la valeur à être aussi un ISP si ça lui donne un outil de facturation vers le client final, ou s’il a besoin d’une infrastructure d’email. Mais Yahoo, par exemple, marche très bien sans être ISP. C’est pareil dans l’Internet mobile : on peut être opérateur de portail mobile sans être opérateur de télécom. A très court terme, tel que l’Internet mobile a été lancé, les opérateurs ont moyen de rendre difficile l’accès à l’Internet. Mais peu à peu, les opérateurs vont ouvrir l’accès à l’Internet mobile, donc tout prestataire, tout fournisseur de portail Internet mobile pourra exister sans qu’il ait besoin d’être un opérateur mobile virtuel.
Mais il est vrai que le modèle économique d’un portail mobile reste à trouver, tout comme celui de l’Internet fixe. En revanche, il ne faut pas croire que le modèle économique va venir des revenus de télécommunications. Aujourd’hui, sur le WAP, les opérateurs ne reversent pas une partie des revenus des communications WAP vers les fournisseurs de service parce que le WAP n’est pas surtaxé. C’est même illusoire de surtaxer une communication WAP, c’est au même tarif que la voix. Avec le GPRS, le coût de télécommunication sera beaucoup plus optimisé. L’avantage du GPRS c’est moins, au départ, le meilleur débit que les coûts de structures qui sont plus adaptés. Cela permettra de faire une tarification à l’acte selon ce qu’on aura consommé (octets), donc il faudra trouver des services que le client final est d’accord de payer. Alors un fournisseur de contenu peut devenir un MVNO mais son but sera moins d’essayer de gagner de l’argent sur les télécommunications que de contrôler l’expérience client complète. L’exemple qu’on peut citer c’est FT mobile en Angleterre : Le Financial Times, avant de lancer FTmobile, s’est dit : « j’ai du contenu, je suis légitime, je veux valoriser mon contenu sur les mobiles. » Ils ont commencé par aller voir les opérateurs en leur demandant comment ils pouvaient s’intégrer dans leur portail, et ils ont jugé qu’ils pouvaient faire mieux que le niveau de services offert par les opérateurs mobiles. Ils sont donc devenus MVNO. Mais c’était un moyen pour commercialiser leur offre sur laquelle ils sont légitimes. Le but n’était pas de gagner sur la revente des minutes de communications. Quand nous rencontrons des candidats MVNO nous leur conseillons tout de suite de ne pas essayer de construire un business plan uniquement sur le revenu des communications. Il faut qu’ils cherchent leurs revenus en utilisant leur savoir-faire et faire du mobile un nouveau canal de distribution.

MVNO par l’ART
http://www.art-telecom.fr/dossiers/mvno/corps.htm
Le rapport de la Commission Consultative des Radiocommunications sur le partage d’infrastructures 3G en France par le groupe de travail sur le partage d’infrastructures et les opérateurs mobiles virtuels
http://www.art-telecom.fr/publications/enquete/index-synt-ccr.htm
Les conditions d’attribution de licences UMTS
http://www.art-telecom.fr/textes/avis/index-appel3g.htm

Transatel et le service « voyageur fréquent »
« Nous sommes un service provider GSM, explique Bertrand Salomon. Cette offre est à destination des gens qui voyagent beaucoup en Europe, qui passent 25 à 45 % de leur temps dans les pays que nous couvrons pour le moment : l’Angleterre et la Belgique. Nous leur offrons un abonnement GSM qui leur permet d’avoir des prix compétitifs, par rapport au coût de roaming actuel, lorsqu’ils sont dans ces pays, et une meilleure continuité de services : consultation du répondeur gratuite et directe, menu de services qui permet d’accéder à des services locaux. » Trois ou quatre nouveaux pays devraient être couverts par Transatel dans le courant de l’année 2002.
http://www.transatel.com/

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