Libérez Wi-Fi !

Wi-Fi se développe comme une traînée de poudre : inconnu en France avant la mi-2001, sauf sous la forme du réseau Airport lancé par Apple en 1999, il est aujourd’hui une composante incontournable de l’offre de tous les fournisseurs de réseaux, de micro-ordinateurs, et même d’assistants personnels. La diffusion des cartes et des bornes est en croissance exponentielle, et le parc installé constitue, d’une certaine façon, une « infrastructure » prometteuse pour qui s’avisera de proposer aux usagers des services, gratuits ou payants, aujourd’hui en lieux clos, demain sur la voie publique.
En octobre 2001, nous posions la question « qui a peur de Wi-Fi ? » (http://www.fing.org/index.php?num=2086,4). Quelques mois plus tard, les ennuis commencent, avec la sanction prise contre Provence Wireless : autorisé à l’intérieur des bâtiments, Wi-Fi est toujours interdit à l’extérieur (sauf autorisation préalable). Il y a momentanément, en France, une situation dans laquelle la Défense nationale conserve la mainmise sur la bande de fréquence utilisée par Wi-Fi, et la sanction subie par des pionniers associatifs en zone rurale ne peut réjouir personne. Mais à observer ce qui se passe ailleurs et ce que la technique rend possible, le paysage devrait changer et satisfaire aussi bien les partisans des avancées Wi-Fi que ceux qui disent l’importance de fixer les règles du jeu.
L’ART a mené une consultation sur le sujet, preuve qu’elle ne se contente pas d’interdire : http://www.art-telecom.fr/publications/index-rlan.htm  ; la France ne restera sans doute pas longtemps comme l’un des seuls pays à l’écart de cette nouvelle possibilité, et l’on peut former l’hypothèse (et le souhait) qu’à la suite de cette consultation, des expérimentations assez larges seraient rapidement autorisées là où elles ne posent pas trop de problèmes d’environnement. La Fing, comme d’autres, a animé un travail de réponse à la consultation, sur les besoins, les usages, etc. : http://www.fing.org/index.php?num=2618,1 La variété des usages possibles laisse augurer de la probable complémentarité entre les scénarios de déploiement envisagés (et avec la téléphonie 3G, et avec les réseaux filaires, et entre réseaux commerciaux et réseaux sans opérateurs).

Les acteurs qui envisagent le Wi-Fi (hors zones privées) sont très différents les uns des autres : opérateurs commerciaux pour points chauds, réseaux alternatifs comme Provence Wireless et Wi-Fi paris, aménageurs de réseaux suburbains ou métropolitains et notamment beaucoup de collectivités territoriales (ville de Paris, Lille Métropole, et beaucoup d’autres),… De nombreux projets et réseaux existants en France et ailleurs allient les technologies, la fibre et le Wi-Fi par exemple. En Suède notamment, on voit de la fibre dans l’habitat collectif et du Wi-Fi pour couvrir les zones résidentielles plus clairsemées. A Castres-Mazamet, le Wi-Fi est envisagé en complément de la fibre, pour améliorer la capillarité du réseau. En Corse, en Nouvelle-Calédonie, l’alliance de gros câbles sous-marins, d’infrastructures en fibre ou câble et de déploiements légers en Wi-Fi serait sans doute une bonne façon de ruser avec les impératifs de la géographie physique sans ruiner le budget de l’Etat ou des territoires.
Cette diversité, en soi, laisse entrevoir des logiques divergentes, nécessitant une qualité plus ou moins grande, une sécurité plus ou moins poussée, une économie plus ou moins commerciale pour des coûts plus ou moins élevés. Le paradoxe est que Wi-Fi, solution essentiellement artisanale, voire « bricolée », apparaît comme un condiment indispensable de projets « lourds » aux enjeux sérieux. A ce stade, on ne peut entièrement esquiver la nécessité de réguler, comme celle de rappeler des limites de sécurité, de qualité, de coexistence. Sans pour autant jeter le bébé avec l’eau du bain.
Les détracteurs de Wi-Fi pointent les difficultés actuelles de coexistence entre plusieurs réseaux dans un même lieu ; celles-ci sont dues à ce que chaque utilisateur bloque une fréquence, il n’y a pas encore d’allocation dynamique comme on la connaît dans les autres modes de communication sans fil ou filaires. Les conflits deviendront-ils critiques, la technique permettra-t-elle de les réduire ? Le problème ne sera certainement pas le même en zones clairsemées et dans les grands centres urbains, et il est plausible que les règles doivent être plus strictes en zones denses. Toutefois, en Suède, nous avons été frappés de voir que le responsable de Homerun, le service payant de Telia installés sur quelques centaines de « points chauds » (hôtels, aéroports…) et destiné à un public professionnel nomade, ne voyait pas de risque de conflit avec les opérateurs ou réseaux libres et gratuits qui lui font de la concurrence en apparence, ne de risque de pollution : « si le cas se présente, il pose problème à mes voisins autant qu’à moi, donc on doit discuter, ce n’est pas forcément un mal ». Pas de panique donc, on n’en est pas à utiliser la bande d’arrêt d’urgence des autoroutes de l’information, mais plutôt à passer de l’ère de l’ORTF à celle de la bande FM (en espérant qu’il restera cette fois de la place pour les acteurs non-marchands…). À côté d’acteurs publics et associatifs a priori soucieux de l’intérêt général, que se passera-t-il si des prédateurs plus puissants imposent la loi de la jungle ?
La question de la pollution des ondes est aujourd’hui posée sous plusieurs angles, réglementaire mais aussi sanitaire, ou encore par les astronomes. Sur ces derniers aspects, voir par exemple la contribution de Daniel Azuelos, de l’Institut Pasteur, reproduite par wireless-fr (http://www.wireless-fr.org/medias/reseaux_sans_fil.pdf)  : avec des puissances de 30 à 100 mW, on est loin des 2W du GSM, des 20 à 50W des antennes GSM, des 6 MW de la Tour Eiffel. Ce n’est pas Wi-Fi qui nous fait subir les rayonnements les plus dangereux, ou qui gêne le plus les téléscopes.

Au-delà des questions réglementaires et technologiques, ce sont les données humaines qui sont les plus intéressantes dans le développement de l’internet : qui fait quoi, quels sont les acteurs dynamiques. A cet égard, la vague Wi-Fi permet de mettre en lumière deux facteurs dérangeants et stimulants  :
– Le retour des bricoleurs, du fer à souder, des autodidactes : alors même que l’esprit de sérieux avait pris le dessus, les garagistes sont de retour. Cette stimulation est dérangeante, tant nous répugnons à accepter que des gens qui ne sont d’aucun sérail constituent des gisements d’innovation, de changement et d’imprévu. Cette nouvelle manifestation du dynamisme de nombreux anonymes doit nous conduire, tôt ou tard, à tirer des conséquences sur le sujet « qui sont les acteurs de l’internet de demain ? » : beaucoup sont des inconnus inspirés.
– L’apparition de dynamiques « sans opérateurs », et d’une inversion de la logique télécom du « dernier kilomètre » au profit d’une approche du « premier kilomètre », en appui sur les usagers, les communautés, les territoires. On y reviendra.

Nous sommes en présence de dynamiques fertiles. La diffusion de l’internet et son appropriation par un grand nombre d’usagers en ont besoin. La question des infrastructures a trop longtemps monopolisé les débats, il est temps de se saisir de solutions légères permettant de répondre vite à des besoins émergents, voire aigus. Il est temps d’encourager les pionniers, les expérimentateurs, et de leur proposer un cadre de travail, en contrepartie d’engagements simples et de règles adaptées aux contextes. Libérez Wi Fi…

À lire aussi sur internetactu.net