Howard Rheingold : « De nouvelles normes sociales sont en train d’apparaître »

Howard Rheinglod est probablement le spécialiste mondial des communautés virtuelles, et plus généralement des nouvelles interactions sociales nées de l’utilisation des TIC. L’auteur de Smart Mobs nous confie son avis sur l’évolution du social networking et la fracture numérique – qui, selon lui, n’est plus une fracture entre ceux qui peuvent s’offrir des machines et ceux qui ne le peuvent pas, mais entre ceux qui savent les utiliser et ceux qui en sont victimes. Rencontre avec un gourou qui se consacre à la prochaine « révolution sociale » : l’utilisation des technologies de communication pour amplifier l’organisation collective.

Howard Rheingold (http://www.rheingold.com) est considéré comme l’un des « gourous » majeurs dans le domaine des interactions sociales en ligne.

L’un des artisans du WELL (une des premières communautés virtuelles d’envergure en ligne, 1985, http://www.well.com) et rédacteur en chef du Whole Earth Review Catalog, Rheingold a publié une dizaine de livres consacrés aux implications et mutations engendrées par les nouvelles technologies. Plusieurs de ces ouvrages (Tools for thought, 1985-2000 ; La réalité virtuelle, 1991 ; Les communautés virtuelles, 1993) sont des best-sellers internationaux.

Rheingold a également initié plusieurs projets de communautés virtuelles, notamment Electric Minds (1996-1997, http://www.abbedon.com/electricminds/html/home.html) ou Brainstorms (http://www.rheingold.com/community.html), et intervient aujourd’hui comme consultant spécialisé en la matière (http://www.rheingold.com/Associates/index.html).

Son dernier livre, Smart Mobs, a donné lieu à la création d’un blog collaboratif éponyme (http://www.smartmobs.com) consacré à la « prochaine révolution sociale » : l’utilisation des technologies de communication pour coopérer entre humains, et amplifier l’organisation collective.

Internet Actu nouvelle génération : Les communautés sociales de type Friendster sont-elles réellement « nouvelles » ? S’agit-il d’un effet de mode, ou bien d’une tendance de fond sur l’internet ?

Howard Rheingold : Je pense que c’est plus qu’une mode, mais il est vrai qu’il y a une publicité exagérée autour de ces logiciels « sociaux » de première génération.

Dans un sens, les communautés « à la Friendster » représentent un cas particulier de communautés virtuelles, qui sont loin d’être nouvelles et sont apparues il y a au moins 20 ans.

Les communautés virtuelles utilisent l’internet pour connecter entre eux des gens qui ne se connaissaient pas avant de se rencontrer en ligne, mais qui partagent des centres d’intérêts communs. Dans le cas de Friendster, le centre d’intérêt commun est un ou plusieurs amis que l’on partage. Le fait de combiner des réseaux sociaux, qui ont toujours existé sur notre planète, et des outils de communication en ligne, est en effet quelque chose de nouveau. C’est la première étape d’une évolution, de le même façon que l’email a évolué vers les message boards, les listes de diffusion et beaucoup d’autres médias « many-to-many ». Personne ne sait si le « social networking » va croître et devenir plus sophistiqué. On verra dans 10 ans.

Iang : Je suis proche d’un point où la plupart de mes « amis » sont des gens que je n’ai jamais rencontré « dans la vraie vie », et que je ne reconnaîtrais pas si je les croisais dans la rue. Globalement, peut-on dire que les communautés en ligne redéfinissent la notion de relation sociale ?

Howard Rheingold : Oui, mais cela c’est produit il y a très longtemps ! Il existe des centaines de milliers de communautés en ligne, et depuis des années…

Iang : Entre les emails, les SMS, les messageries instantanées, les amis, les amis de mes amis, etc., peut-on dire qu’une nouvelle forme de « sur-information » apparaît ? Cette fois-ci, elle ne provient pas des médias ou de la publicité, mais des gens que nous connaissons. Devons-nous craindre une « sur-information personnelle et sociale » ?

Howard Rheingold : Il est certain que tout le monde sur l’internet veut pouvoir envoyer des mails à tout le monde, mais personne ne veut recevoir des mails de tout le monde. Donc une nouvelle sorte de de « savoir social », de normes sociales, ou d’outils techniques (comme les listes d’amis ou les filtres anti-spam) sont en train d’apparaître.

Je pense que nous allons voir les gens se désengager de ces médias pour cause de sur-information. Je pense aussi que nous verrons beaucoup de gens les utiliser de façon incorrecte, entraînant d’autres gens à les utiliser mal. Et enfin, nous verrons ceux qui auront développé une connaissance très fine de ces outils et méthodologies tirer parti de ces flux d’information à leur avantage.

La nouvelle fracture numérique n’est donc pas entre ceux qui peuvent s’offrir les machines et les services et ceux qui ne le peuvent pas, mais entre ceux qui savent les utiliser à leur avantage et ceux qui sont victimes de la sur-information. Ce n’est pas un problème entre ceux qui « possèdent » et les autres, mais entre ceux qui « savent » et les autres.

Iang : Un problème d’interopérabilité apparaît sur les communautés sociales, de la même façon que pour les messageries instantanées. On choisit l’une des solutions existantes, qui ne sera pas compatible avec les autres. A l’inverse, certains essaient d’imposer des standards ouverts, comme FOAF, pour normaliser les choses et s’affranchir des plate-formes commerciales. Que va-t-il émerger ?

Howard Rheingold : L’intégralité du monde en ligne est le siège d’une bataille dont l’enjeu est le contrôle. Et la ligne directrice de cette bataille est de savoir si les systèmes les plus utilisés sont ouverts ou fermés, c’est-à-dire utiles à tous ceux qui produisent et consomment, ou au contraire l’apanage de quelques individus qui dirigent et contrôlent les choix de la majorité des gens.

Les efforts pour modifier le principe de bout en bout de l’internet pour permettre aux quelques gros propriétaires des principaux tubes de contrôler qui pourra envoyer des informations aux autres, l’intrusion de lois réglementant les droits d’auteur dans ce qui était jadis le domaine public, la dominance de standards propriétaires sur les standards ouverts en matière de systèmes opératoires, le combat des détenteurs de licence faisant pression sur les gouvernements pour continuer la régulation du spectre de fréquences comme si les technologies sans fil dataient du début du 20e siècle, tout cela fait partie de cette bataille.

Le résultat de ces luttes déterminera si nous serons des utilisateurs actifs qui façonneront les médias de demain, comme nous l’avons fait pour le PC et l’internet, ou si nous serons transformés à nouveau en consommateurs passifs de l’ère de télédiffusion, avec comme seuls choix celui des programmes que nous pouvons acheter en pay-per-view.

Propos recueillis par Cyril Fievet

Pour aller plus loin
« Smart Mobs : des foules trop intelligentes pour être réelles » : http://www.fing.org/index.php?num=4041,2
« Howard Rheingold présente Smart Mobs » : http://www.fing.org/index.php?num=4042,2

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