Télévision, de la communion à la conversation

L’opposition est classique chez les acteurs de l’internet : d’un côté, les médias « traditionnels », télévision en tête, au travers desquels un petit nombre de professionnels gavent de contenus marketés et préformatés des masses de téléspectateurs passifs ; de l’autre, sur le web, des navigateurs actifs qui tirent des bords d’une connaissance à l’autre et publient celle qu’ils en tirent. Les médias de la société industrielle et hiérarchisée contre ceux de la société de l’information et du réseau.

Dominique Wolton, qui même lorsqu’il traite de l’internet, parle en fait de la télé, nous enseigne à juste titre que cette vision des médias diffusés n’a guère de sens. Le téléspectateur n’est passif qu’en apparence, il filtre et retraduit en continu, il discute, il s’évade, et il s’appuie également sur ce qu’il voit pour en faire autre chose : un sujet de conversation, une référence commune, une émotion partagée tout de suite ou plus tard… Dans une « société individualiste de masse« , l’enjeu de la communication (quoiqu’en dise malgré tout un Patrick Le Lay) ne serait pas l’abrutissement ou la manipulation, mais bien plutôt la construction continue d’un espace commun, alors que les individus deviennent de plus en plus différents : « l’enjeu de la communication est moins la gestion des ressemblances que la gestion des différences« , autrement dit, « la recherche de l’intercompréhension, du respect d’autrui et de la visite. »

Avec la multiplication des programmes, d’abord, et désormais des options, des occasions, des appareils, des formes et des moments de visualisation, des interactions, des sources… on passe peu à peu de la communion autour de moments partagés, à des sortes de conversations : j’exprime ce que je cherche auprès d’un autre (une entreprise, une communauté, une personne) qui exprime ce qu’il a à dire, ou à montrer, mais aussi son désir de le partager – et ainsi de suite. Avec, à la clé, un véritable brouillage des frontières entre communication interpersonnelle et communication de masse, qu’expriment tant les skyblogs que les nouvelles formes de télévision que décrit notre dossier.

Cette évolution rend (au moins pour l’instant) la vie difficile aux entreprises de médias installées, mais elle va bien au commerce. Les marchés sont aussi des « conversations », comme l’affirmaient dès 1999 les auteurs du « Cluetrain Manifesto« .

En revanche, dans cet univers dont la limite est la chaîne de télé unipersonnelle – un émetteur, un récepteur -, la question de Wolton – on osera, abusivement, la résumer ainsi : « Qu’est-ce qui permet de nous rassembler au-delà de nos différences ? » – prend toute son importance. Qu’est-ce qui nous expose à l’autre, à la différence, à l’inattendu, au désaccord et au conflit même, si nous disposons toujours du confort de choisir ce qui nous ressemble ? Et d’ailleurs, comment même savoir ce qui nous ressemble, en premier lieu ?

On n’est pas obligé d’adhérer à toutes les conclusions qu’en tire Dominique Wolton. On peut trouver du bon dans les communautés et les tribus, auxquelles les technologies donnent corps et vie d’une manière profondément neuve. Pour autant, on ne pourra pas éluder la question de ce qui, dans l’ordre de la communication, viendra civiliser la rencontre entre ces communautés.

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