Le droit d’inventivité

« Avouons-le : le débat sur la loi relative au droit d’auteur (DADVSI) est dans l’impasse. L’impasse tient à ce que la controverse est enfermée dans le seul débat DRM/licence globale. Il y a bien sûr des problèmes de droit de propriété intellectuelle, mais ils ne sont pas séparables d’autres problèmes. Destinés à protéger le droit d’auteur, les DRM peuvent aussi servir à verrouiller solidement les consommateurs et à établir des monopoles dans la distribution des oeuvres. Il est donc paradoxal de légaliser les DRM et leur protection sans, simultanément, imposer l’interopérabilité des dispositifs techniques et prévenir le risque de stratégies de préemption du marché, comme le refus de céder des droits d’auteur sur des catalogues. Le danger est de conforter la position dominante de quelques firmes, qu’elles soient issues des industries de contenus, des télécommunications ou de l’informatique, au détriment des auteurs, des petites structures n’ayant pas les moyens de négocier des catalogues de droits et des consommateurs subissant une offre de contenus et de services limitée.

La DADVSI vise à prolonger dans le monde numérique les modes de distribution existants avec tous les problèmes que l’on connaît (exposition insuffisante des oeuvres, prix élevés) en y ajoutant l’incompatibilité entre standards technologiques. Tout se passe comme si la révolution numérique devait accoucher d’une souris : le paiement à l’unité et non au CD. Or, avec le numérique, d’autres modèles de valorisation des oeuvres deviennent possibles. Celui de la distribution directe (l’auteur vend ses oeuvres directement), mais ce canal repose sur une illusion : la désintermédiation. Plus fondamentalement, Internet ouvre la voie à de nouveaux modèles économiques exploitant le caractère décentralisé et interactif du réseau. Un succès comme celui d’eBay montre les possibilités d’extraire de la valeur à partir des interactions entre particuliers (les échanges CtoC). Les nouveaux modèles peuvent prendre plusieurs formes, celle du peer-to-peer (P2P) actuel, mais aussi celle de plates-formes marchandes dont la fonction serait de marier la diversité de l’offre à l’hétérogénéité des préférences des consommateurs. Les fonctions de sélection, d’édition et de recommandation s’effectuent alors au sein du réseau lui-même. Il s’agit bien de modèles alternatifs au modèle actuel où ces fonctions sont concentrées en amont, le réseau n’étant qu’un nouveau canal de distribution auquel il faudrait simplement adapter le droit. »

Alain Rallet et Fabrice Rochelandet, professeur et maître de conférences à l’université de Paris-Sud dans un excellent Rebonds du quotidien Libération dont nous vous invitons à lire la suite.

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