Fabien Girardin, doctorant à l’université Pompeu Fabra, à Barcelone (Espagne), a commis certainement la présentation (.pdf) la plus stimulante de Lift07.
Son point de départ a consisté à s’attarder sur les promesses de l’informatique ambiante, avec ses systèmes sans fils, invisibles, sans coutures, fluides, proactifs, « calmes », comme il les définissait… Pourtant, force est de constater que la réalité n’est pas aussi tranquille : l’intelligence ambiante n’est ni intelligente, ni ambiante. Les portes automatiques ont souvent tendance à se refermer sur vous et ne réagissent pas toujours de la manière dont les utilisateurs le voudraient. Les nuages de connectivité n’existent pas souvent (les réseaux sans fils tombent et il faut souvent échanger des codes d’accès sur un bout de papier pour y accéder) : l’accès à la connection ambiante n’est pas forcément aussi évidente qu’on nous la promet. Tous les jours, nous sommes confrontés à des interactions réelles imparfaites avec les technologies et les infrastructures qui les supportent.
En regardant avec une belle lucidité le monde tel qu’il fonctionne, en regardant ce qui compose les détails de notre vie quotidienne, Fabien Girardin pointe du doigt la réalité « créative, sociale, désordonnée et contradictoire » qu’évoquait il y a peu Daniel Kaplan.
« Alors où est le problème ? », s’interroge le chercheur. « Est-ce que les technologies sont trop complexes à implémenter ? »
Nous vivons dans un monde désordonné, c’est cela qui est souvent trop complexe à appréhender, répond Fabien Girardin. Pourquoi ? Parce que nos infrastructures tombent en panne, se cassent, sont volées, se dégradent, s’usent, sont vandalisées, on besoin d’être remplacées, d’être réglées, entretenues… Elles sont hétérogènes et nécessitent des adaptateurs pour fonctionner ou pour se connecter les unes aux autres (adaptateur de prises électriques, démultiplication des télécommandes…). Elles ressemblent surtout à des tours de Babel technologiques. Les questions de propriété, de droits d’accès, sont essentielles et non-triviales : comment recharger son ordinateur quand on n’a pas accès à une prise électrique ? Sans compter qu’il faut encore ajouter les particularités culturelles, les choses qui nous semblent à l’envers parce que la culture où elles s’expriment n’est pas la même que la nôtre, comme le montre souvent le regard de Jan Chipchase. Ce qui est “calme”, acceptable, fluide, peut varier d’une culture à une autre.
Et puis nous sommes imprévisibles, ou en tout cas, la masse des individus, contextes, actions, produira toujours des situations imprévisibles : on développe des applications en essayant de penser à des contextes d’utilisation et la surprise est toujours là, possible, tangente. L’ensemble produit un “nuage d’incertitudes” : que capte le capteur ? que signifient les données captées ? que doit-on en inférer ?…
Pour mieux appréhender l’informatique omniprésente, il faudra peut-être proposer de nouvelles approches, faire apparaitre les balafres plutôt que de faire disparaitre l’informatique. “Couturer la conception” (seamful design), plutôt que proposer une informatique sans couture. Ne plus cacher les machines, mais au contraire, rendre les limites, les frontières, les incertitudes visibles. Manifester, montrer, révéler ce que l’on croyait devoir rendre invisible : comme on peut indiquer dans quel sens s’ouvre une porte, comme on peut dévoiler les zones qu’une infrastructure Wi-Fi couvre ou non, pour permettre aux gens de jouer avec ces limites, comme on indique aux gens où ils sont filmés ou où ils ne le sont pas.
Nous aimons jouer avec le bruit et le désordre, c’est ce qui nous permet le plus souvent d’avoir la main sur notre environnement. « Les utilisateurs doivent pouvoir être acteurs et pas seulement des récepteurs passifs des technologies qui vont les envahir. Ils doivent pouvoir les configurer », explique Fabien Girardin. Et d’évoquer le rôle d’un design pour l’appropriation afin que nous puissions co-créer la technologie.
En définitive, “la seamlessness” (la capacité d’un système d’être sans couture) est une exception : le désordre et les limites sont structurelles, et il faut prendre cela en considération dans la conception, pour ne pas reproduire les erreurs du passé de l’intelligence ambiante.
Sans compter qu’il nous faut aussi nous poser la question de savoir si nous voulons vraiment vivre dans un monde de technologies “calmes”, lisses, où tout est invisible, pour ne pas dire aseptisé. Une question à laquelle, on peut l’espérer, nous apporterons tous la même réponse.
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Très raffraichissant à lire dès le matin. Loin des considérations liées aux normalisations des XML et autres OOP qui manquent sérieusement d’ « individualitéS » et nous mènent droit vers un monde ressemblant au web pour les blondes qu’on nous promettait à l’aube de ce siècle. Enfin une opinion raisonnable et conformes aux principe initiaux de la cybernétique.
Chassez le naturel, il revient au galop ! L’anarchie, c’est la vie.
Beau billet à l’intelligence kaplanienne !
J’y crois bien au ‘seamful’ design. Mon example préféré est quand les gens en réunion se lancent une clé USB au lieu de s’envoyer un mail; c’est plus de travail mais tellement plus humain, social, public. etc.
“Couturer la conception”
le seamul design n’est-il pas pas le design de nouvelles représentations, de « nouvelles matérialités » nécessaires.
Le design d’interaction comme le nomme la majorité des acteurs creatifs de produits et services innovants ne doit-il pas intégrer l’humain suivant lequel on ne comprend rien à ce qu’on ne voit pas. Voir c’est croire ou du moins comprendre. On ne peut pas finalement échapper au pouvoir de la matière et de la forme.
À cet égard la question des représentations des services et des interactions va dans le sens du « seamful design »; voir les assemblages, les produits, les usages, le rôle et la finalité d’un produit/service.
Chaque dispositif doit à mon sens exprimer une représentation cognitive de son usage ou des pratiques qu’il propose. Une « esthétique » de la cognition en quelque sorte.
Le meccano a ainsi permis a des generations d’ingénieur de comprendre la mécanique élémentaire. Il est confondu à l’ère mécanique.
C’est pourquoi notre vision du design numérique aborde de manière identique les représentations, l’interaction et l’information « service ou les contenus » en gardant les yeux en permanence sur la finalité du processus.
Ce design numérique, on pourrait d’ailleurs s’appeler de manière plus juste : design cognitif
« Aborder la réalité des enjeux » ou « qui est connecté à quoi et paye à qui »
Ce design cognitif pourra alors être transparent, expressif et visible face aux enjeux convoqués par l’intelligent ambiant.
Les objets pervasifs portent, en effet des enjeux assez opposés. De manière schématique, on peut dire que les designers y voient le bien et effectivement une informatique douce, calme et continue. L’industrie y voit un moyen de tracking, de surveillance, d’accès a des infos ou des abonnements rentables et permanent dans les maisons, au dela du compteur électrique ou de la box, ou de combiné téléphonique, en un mot capter le consommateur et l’observer . cette dualité, pas si opposer et souvent confondu se retrouve également dans les potentiels d’IPV6.
C’est pourquoi, l’article de Daniel Kaplan, nous encourage à ne pas enfouir les moteurs technologiques de demain, mais à les révéler.