Musique et Numérique : Faut-il jeter les DRM avec l’eau du bain ?

Les DRM comme mesures de protection technique ont échoué, et il est difficile de s’en étonner. Pourtant, l’idée qu’ils portent dépasse celle d’un contrôle des droits d’accès et d’usage. Pourraient-ils, demain, permettre de mesurer – sans contrôler – les usages afin de permettre notamment de meilleures rétributions des auteurs ?

Ce texte est le dernier d’une série d’articles consacrée à l’innovation marchande dans le secteur de la musique, issu du projet Musique et numérique : la carte de l’innovation, dont la Fing a présenté les conclusions le 19 avril 2007.

Début 2006, la France, suivant avec retard le reste de l’Union européenne, votait une loi qui faisait reposer l’essentiel de l’économie des contenus numériques sur les « mesures techniques de protection », traduction maladroite de digital rights management (Gestion des droits dans un monde numérique). Début 2007, une première major, EMI, rendait les armes en autorisant – moyennant un supplément de prix de 30 % – le téléchargement sans protection de ses titres, via la plate-forme iTunes d’Apple.

S’agit-il du dernier clou planté sur le cercueil des DRM ? Ou serait-ce l’occasion de remettre cette question à plat ?

La bataille perdue contre les consommateurs
L’expérience vécue des DRM, pour l’amateur de musique ou d’autres contenus numériques, plaide aujourd’hui clairement pour l’abandon pur et simple : impossibilité de lire une œuvre sur de nombreux appareils, incompatibilités multiples, incertitude sur les possibilités d’usage dans l’avenir… Aujourd’hui, il est parfois plus sûr et plus commode de recourir aux systèmes gratuits d’échange (autorisé ou non) de fichiers qu’aux plates-formes commerciales !

Et les appels en faveur de l’interopérabilité des DRM, même inscrits dans la Loi, ont toute chance de rester lettre morte, car les décisions en la matière ne se prennent ni dans les parlements nationaux, ni même chez les majors du disque ou du film.

Dans leur application concrète, les MTP (Mesures de protection technique) sont avant tout dirigées contre ceux à qui l’on doit pourtant tout : les consommateurs. Elles visent à limiter leur possibilité d’enregistrer, de lire et surtout de copier les œuvres qu’ils ont achetées. Il s’agit de recréer, dans le monde numérique, des barrières à la circulation et la copie des oeuvres aussi (voire plus) élevées que celles qui avaient cours lorsque la musique était avant tout disponible sur des supports matériels.

Cette tentative a échoué, et il est difficile de s’en étonner. Mais l’idée sous-jacente aux DRM dépasse de loin cette maladroite mise en œuvre. Les DRM recouvrent l’ensemble des techniques utilisées par les détenteurs de droits pour contrôler l’accès et l’usage de contenus, de services ou d’appareils numériques, à tous les niveaux de la chaîne de valeur et à toutes les étapes possibles d’usage, final ou intermédiaire. Cela peut inclure :

  • L’identification des œuvres, des artistes, des ayants-droits (tatouages, etc.) ;
  • L’authentification des utilisateurs ;
  • L’expression au travers de codes informatiques de licences, de droits et de restrictions d’usage ;
  • Le contrôle, le suivi, la mesure des accès et des usages, etc.

Par exemple, on peut recourir à des DRM pour analyser le nombre d’écoutes d’un titre sur un site financé par la publicité, calculer les droits à reverser par le site, et pourquoi pas, plus bas dans la chaîne, informer les auteurs, interprètes, éditeurs, etc., de ce qui leur est dû par divers intermédiaires – sans pour autant limiter d’aucune façon les possibilités d’écoute ou de copie dont bénéficie l’utilisateur final.

Comme le dit Leonardo Chiariglione, pionnier des standards MPEG et animateur du Digital Media Project, « l’ambiguïté entre la gestion et la protection brouille le message dans la mesure où, si l’expérience semble montrer que la musique protégée ne se vend pas, il reste à prouver que la musique gérée ne se vend pas non plus.  »

Creative Commons a-t-il besoin de DRM ?
Chiariglione poursuit par un exemple intéressant, quoique provocateur : « Cela reviendrait à dire que le mouvement Creative Commons est une coquille vide ! »

Comme d’autres « licences de libre diffusion », Creative Commons est un dispositif juridique qui permet aux titulaires de droits d’autoriser le public à effectuer certaines utilisations (notamment utiliser, copier et redistribuer l’œuvre), tout en réservant, par exemple et à sa discrétion, les exploitations commerciales, les œuvres dérivées ou la possibilité de modifier l’œuvre originelle.

L’expression de cette licence permet certes aux ayants-droits d’aller en justice, mais dans l’univers numérique, extraordinairement divers, mondial, la plupart des usages non-autorisés passeront inaperçus, ou encore, chaque cas de non-respect causera individuellement un dommage trop minime pour mériter un procès. En l’absence de dispositifs techniques destinés à s’assurer du respect des choix de l’auteur, Creative Commons est – c’est d’ailleurs une position revendiquée – un système d' »expression numérique des droits », et non un système de gestion de ces droits. C’est déjà beaucoup, notamment en ce qui concerne le public qui se voit consentir des droits très larges, mais ce peut être insuffisant dans de nombreux cas, et en particulier lorsqu’une œuvre est réutilisée à des fins commerciales alors que la licence retenue ne le permet pas.

On pourrait ainsi, a minima, s’attendre à ce que des dispositifs techniques, pourquoi pas protégés par la loi comme le sont aujourd’hui les DRM, permettent d’identifier une œuvre et ses ayants-droits, voire d’en vérifier l’intégrité. De nombreuses propositions existent en ce sens.

Que peut-on vraiment gérer ?
Il apparaît moins certain qu’il soit facile d’aller plus loin, par exemple de suivre la circulation d’une œuvre, notamment dans les circuits commerciaux (ventes, diffusions publiques…), ce qui pourrait pourtant paraître légitime. S’attaquant notamment à cet objectif, le Digital Media Project a par exemple été contraint de définir un ensemble extraordinairement complexe de « droits et usages traditionnels » à respecter, sans vraiment répondre à ce stade à quelques questions difficiles : peut-on vraiment, en l’absence de verrous opposés aux utilisateurs finaux, tracer les usages commerciaux (ou encore les modifications non-autorisées d’une œuvre) sans empiéter gravement sur la vie privée des utilisateurs ? Est-il vraisemblable d’espérer imposer à l’industrie un standard commun ?

Malgré ses limites, le Digital Media Project a le mérite de rouvrir la discussion sur les systèmes technico-juridiques de gestion des droits, au moins pour atteindre l’objectif économique de garantir aux artistes que si quelqu’un gagne de l’argent à partir de leur création, ils en bénéficient également (en tout cas s’ils le souhaitent).
Reste que les éventuelles réponses, à supposer qu’elles existent, ne seront pas trouvées avant quelques années. Les acteurs ont donc tout intérêt à explorer en parallèle d’autres pistes que celles qui s’appuient sur des dispositifs techniques à base de DRM.

Daniel Kaplan

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