La notion d’apprenti sorcier ne date pas de l’internet… mais en permettant aux utilisateurs d’accéder à des outils dignes des professionnels, les TIC renouvellent assurément la figure de l’apprenti sorcier. Quel est le rôle croissant de ces « pro-am » dans les processus d’innovation d’aujourd’hui ? Dans les prochaines vagues d’innovation suivantes (puces dans les objets, objets dans les corps…), l’innovation par les utilisateurs continuera-t-elle de fonctionner ou bien sommes-nous confrontés à une renaissance de la figure de l’amateur qui peut s’éteindre avec la prochaine vague d’innovation ?, s’interrogeait Daniel Kaplan, chef d’orchestre de cette « session« .
En l’an 2000, rappelle Arnaud Belleil, directeur associé de Cecurity.com et auteur de de « e-Privacy – Le marché des données personnelles« , les craintes en matière d’atteintes à la vie privée se focalisaient en bonne partie sur les… cookies et le marketing ultra-personnalisé, qui augurait d’un consommateur manipulable à l’envi. La réalité, aujourd’hui, ce sont les spams, qui sont tout le contraire de la personnalisation, et l’avènement d’une société de surveillance choisie et désirée par les individus, et pas imposée par des états totalitaires ou marchands intrusifs.
Arnaud Belleil évoque ainsi l’utilisation d’étiquettes RFiD par les marathoniens pour faciliter leur chronométrage, de bracelets de géolocalisation pour enfants dans le parc d’attraction Legoland pour libérer les parents du stress de la surveillance, mais aussi pour les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer afin de leur éviter la contention, le GPS pour les montagnards, à l’image des balises Argos utilisées en mer, leur permettant d’envisager de pouvoir faire des randonnées seuls avec un risque plus faible qu’auparavant… toutes technologies qui, pour lui, relève d’une forme de « traçabilité désirée » offrant un certain nombre de nouvelles fonctionnalités et possibilités. Chacun accepte des dispositifs différents selon ses choix personnels, arbitrant entre la sécurité, la vie privée et la transparence ; entre ses valeurs et ses pratiques.
Les puces RFiD sous-cutanées sont-elles une évolution « normale » de la société ?
Pour Daniela Cerqui, enseignante à l’Institut d’Anthropologie de l’université de Lausanne, la société de surveillance n’est pas un dérapage mais la conséquence logique de la volonté de transparence. Elle rappela ainsi comment Kevin Warwick avait été vertement attaqué lorsqu’il s’était, le premier, implanté une puce RFiD sous la peau en 1998, alors qu’aujourd’hui, cette pratique tend à se banaliser. De son point de vue d’anthropologue, la prise en compte des risques, de même que la prise de « risques mesurés » qu’évoquait par exemple Stéphane Distinguin dans l’atelier précédent, ne sont que la partie immergée de l’iceberg : « à coups de petits bonds, on finit par faire de grands pas en avant« .
Pour elle, il faut éviter de stériliser le débat en opposant techno-optimistes et catastrophistes : la technique n’est pas une limite, mais la mise en oeuvre de systèmes de valeurs, de définitions de l’humain, qui existent dans la société. « il n’est ni positif ni négatif, mais normal, d’être ensemble ainsi et de communiquer au moyen de toutes ces nouvelles technologies« . Pour autant, ce n’est pas parce que c’est naturel, que cela n’a pas besoin d’être questionné.
« Quel type de société voulons-nous mettre en place avec les nouvelles technos ? S’il faut savoir prendre en compte les risques, il faut surtout prendre en compte l’ensemble de notre rapport aux nouvelles technos, car derrière elles, il y a une définition de la vie en société, une définition implicite et normative de l’humain, du monde que nous voulons. Nous croyons ainsi que la mise en relation entre les gens doit être plus efficace, que plus il y a de médiation technique, mieux on communiquera. » La médiation est devenue centrale, mais l’erreur serait de porter le débat sur le « comment » uniquement, et non sur le « pour quoi » : « Nous avons une responsabilité collective : nous faisons erreur quand le dialogue porte uniquement sur le « comment » et non pas sur le « pour quoi » ». .
Revenant sur l’opposition classique entre l’expert d’un côté, et le grand nombre de l’autre, Jean-Michel Cornu, directeur scientifique de la FING, évoqua (.pdf) la figure de la termite qui, sans planification ni architecte, sans contrôle ni médiateur, parvient néanmoins à démultiplier la capacité d’innovation de sa colonie. Ce mode d’innovation par l’usage est d’autant plus adapté à la société de l’information et à son économie de biens non rivaux (je ne perds pas ce que je te donne, il n’y a pas de coût de duplication) : « je suis influencé par les autres, et les autres le sont par ce que je fais« .
Mais qu’en sera-t-il avec la prochaine révolution technologique qui s’annonce ? Les moyens de démultiplier l’innovation dans le numérique vont-ils arriver dans le monde réel ? On voit qu’internet à un impact, mais quel va-t-il être quand il va sortir de l’écran, évoquait Jean-Michel Cornu en faisant référence notamment à l’arrivée de l’imprimante 3D qui va nous permettre d’usiner et de rendre réel nos plus folles créations.
Faut-il regarder les objets ou bien les acteurs ?
Les réactions furent nombreuses dans la salle, essentiellement relatives aux questions de vie privée. Citons, ainsi,
- les risques de « function creep » (utilisations détournées) de ces technologies, et de blanchiment des données collectées (Sabine Delaitre, IPTS),
- quid des pouvoirs de la Cnil, de plus en plus désarmée, alors que les Etats déploient de plus en plus de programmes de surveillance non sollicités : Dossier Médical Partagé, carte d’identité électronique sécurisée, passeports biométriques… (Jacques François Marchandise, FING),
- quid du cordon ombilical virtuel que permet la « mobilité », et des risques associés de laisser ses enfants faire des choses que, sans bracelet électronique, on ne les aurait jamais autorisé à faire (Eric Culnaert, AEC),
- n’oublions pas qu’avant d’être « désirée » par des consommateurs, la surveillance est d’abord et avant tout un business de produits et technologies relevant du marché (cf. le Livre bleu du Gixel), et que ce n’est qu’après qu’elle devient un enjeu de société (Jean Marc Manach, InternetActu).
Répondant à Daniel Kaplan, pour qui « la vie privée ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt« , Dorothée Benoit Browaeys, de Vivagora, nota que, souvent, ce sont les objets et leurs applications qui cachent la forêt : « quelle va être la grille de lecture pour identifier et révéler les logiques de valeur ? Quelles sociétés ces systèmes veulent-ils construire ? Faut-il regarder les objets ou bien les acteurs ? »
Jean-Gabriel Ganascia, professeur d’informatique, de sciences cognitives et d’intelligence artificielle à Paris 6, rappela ainsi que ce n’était pas tant pour s’être implanté une puce sous le bras que Warwick avait fait scandale – dans le milieu universitaire en tout cas – mais parce que son initiative relevait plus d’une logique médiatique que scientifique. Michel Eimer, délégué aux TIC du Conseil régional d’Aquitaine, estima pour sa part que faute de pouvoir répondre au « pour quoi », on fabriquait ainsi du « comment »…
N.B. : les photos sont issues du set d’Arnaud Klein. Pour revisionner les débats, c’est sur le site des webcastors que cela se passe.
0 commentaires
avant d’être » désirée » ce genre de produit est imposé ou plutot est désirée dans une politique de la peur et non de la confiance …
avoir des caméras , des puces rfids en surveillances permanentes cela en dit long sur la vision de société que certains politique veulent nous faire avaler comme une pillule , pour le bien de tous et l’aisance de quelque uns …
a méditer avant de franchir le pas …
Si on prend l’exemple des SMS (prévu pour une communication top-down et complètement réapproprié par les usagers) est qu’on ne peut pas dire que les functions creep qui forgent les usages en dernière main ? N’est ce pas là un garde fou qui rentre dans une logique d’opt-in contre d’éventuel abus de controle ?