UpFing07 : Recomposer des responsabilités dans un internet multipolaire

S’il est une vision du monde propre à la pensée magique et aux apprentis sorciers, c’est bien celle d’un univers où les actions de tous rejaillissent sur tous. Dans l’univers numérique, décentré, constitué de pure information, où l’enchaînement des causes et effets semblent se diluer dans l’infini, comment chacun peut-il sentir son impact ? Comment reconstruire une société ? C’est la question qu’a posé Olivier Auber lors d’un atelier de la cinquième université de printemps de la Fing.

Vers l’homme diminué
Olivier Auber, innovateur multi-touche, ardent défenseur du bien commun numérique, a commencé son intervention par une redéfinition de la « sémantique de l’innovation » telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui par les apprentis sorciers. Selon lui, le premier type d’innovation, « l’innovation ouverte », correspond à la création d’un nouveau type de service ou de logiciel. Une telle invention s’accompagne souvent de la création de nouveaux termes. Exemple, le « blog », qui voit apparaître les « blogueurs »

Mais il existe aussi des innovations cachées qui reposent sur de lentes évolutions d’usage, qui ne portent pas forcément de noms, ou qui utilisent des vieux mots en en changeant leur sens. Le glissement du terme « citoyen » en est un exemple. En effet, des médias comme la radio ou la télévision ont changé le sens de ce mot. En adoptant les méthodes du commerce et du marketing, elles ont créé un nouveau domaine, celui de « l’industrie politique », dont le citoyen est le « consommateur ». Le consommateur apparaît comme un nouveau prolétaire pour employer une expression du philosophe Bernard Stiegler, voire comme un « homme diminué » à contrario de l’image vendeuse de l' »homme augmenté ».

« Comment un citoyen peut-il exercer ses droits et ses devoirs dans le collectif alors que le code constitutionnel, désuet désormais devrait céder le pas à celui de la consommation ? Comment peut-il exprimer une voix si ce n’est en prenant conscience de son statut de consommateur et en prenant ce statut à bras le corps, en utilisant des outils de consommateurs en créant par exemple un « syndicat de défense des consommateurs politiques » ? »

Fort de cette conclusion, Olivier Auber espère ainsi mettre les politiciens devant leurs responsabilités en publiant sur le Net une base de données des mensonges politiques. Les mensonges sont classés selon diverses catégories : certains sont des mensonges avérés, comme des contradictions dans le discours, l’énonciation de fausses informations, d’autres sont supposés, comme l’usage de grands mots dénués de sens réel. Grâce à un tel outil, qui fait suite à NotreConstitution.net dont il avait été l’un des animateurs, il devient possible de dépasser les limites de notre courte mémoire ou de nos facultés d’observation limitées en plaçant l’homme politique devant ses contradictions.

Michel Briand, adjoint au Maire de Brest, en charge de la démocratie locale, la citoyenneté et les nouvelles technologies a souligné combien la position d’Olivier Auber est justement celle d’un consommateur – qui s’assume. Pascal Renaud, socio-économiste à l’Institut de recherche pour le développement (IRD), a remarqué de son côté que l’idée de considérer les politiques comme des fournisseurs de services est précisément l’idée, « libérale », portée par le forum mondial de Davos : les Etats deviennent ainsi susceptibles de se retrouver en concurrence avec des service privés. Et de se demander au final, si une telle attitude consommatrice ne rejette pas toute idéologie.

Quand le regard artistique interroge nos responsabilités
Mais il n’y a pas que la politique qui est confrontée à ses responsabilités. Jean-Paul Fourmentraux, du Centre de sociologie du travail et des arts, intervint pour présenter le rapport des artistes numériques à la responsabilité, à la fois comme usagers et innovateurs.
Lorsqu’ils sont usagers les artistes essaient souvent d’apporter un éclairage sur notre emploi des nouvelles technologies. Ainsi le « collectif Jodi a-t-il créé une espèce de « virus artistique » qui multiplie des fenêtres pop-up et charge de petites applications sur le disque dur du visiteur ; Mark Napier a élaboré Shredder, un « navigateur alternatif ». Là aussi des « virus html » brouillent l’affichage des sites visités et les rendent illisibles, les transformant en expériences esthétiques.

D’autres artistes produisent des logiciels parodiques, comme Autoshop, un logiciel de manipulation graphique automatique. D’autres détournent certains aspects de la société de consommation, comme Matthieu Laurette qui créa le site web des produits remboursés…

Plus qu’un regard décalé sur l’usage des outils numériques, d’autres artistes projettent leurs regards un cran plus loin, comme des innovateurs. Ainsi ce jardin des hasards, une oeuvre plastique et sonore qui change en temps réel en fonction des données météorologiques, initiée par Bernard Gortais. Des innovations qui sont souvent le fruit des travaux conjoints d’un artiste et d’un ingénieur et qui mettent en perspective une attitude « prospective » de l’artiste ne va pas sans bousculer certaines identités professionnelles.

Quelles responsabilités dans un monde d’objet connectés ?
Michel Riguidel, de l’Ecole nationale supérieure des télécommunications, est ensuite intervenu sur les problèmes de sécurité et de responsabilité informatique. Selon lui, il est de plus en plus difficile de définir « les responsabilités ». Les difficultés venir vont apparaître tant de qui est tout petit (les nanos, la biotech…) que de ce qui est gigantesque (les grands réseaux internationaux). La délinquance informatique est en train de changer. Aujourd’hui, un hacker n’a encore que des pouvoirs très limités, mais bientôt, dit-il, chaque individu pourra avoir à sa merci la puissance informatique du gouvernement américain. Grâce au système des « objets connectés », chacun pourra « toucher » un objet situé en Papouasie, ou en Nouvelle-Guinée. « Aujourd’hui, les choses n’ont plus de contours. On ne peut plus compter les objets informatiques, ni les nommer ; cela entraîne du coup une déresponsabilisation générale »
Avec l’arrivée des NBIC, les failles se situeront surtout à l’interface entre l’informatique et le monde du vivant. Ce sont donc ces interfaces qu’il faut sécuriser.

« Aujourd’hui, les conséquences d’un clic de souris ne sont pas simples« , concluait-il. « Dans la chaine de confiance, l’utilisateur est responsable à 100 %. »

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